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Révisionnisme à l’italienne

Publie le dimanche 7 janvier 2007 par Open-Publishing
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de Giustiniano Rossi

Dans la course générale à l’opportunisme, où se distingue une si grande partie de l’actuelle gauche italienne, à commencer par la désormais "historique" invite, en 1994, à faire la paix avec les "gamins de Salo’", de Luciano Violante, actuel président des Ds et président de l’époque de la Chambre des Députés, nous assistons à une nouvelle entrée, celle du directeur de Liberazione.

Piero Sansonetti soutient, prévoyant que tous les lecteurs de Liberazione (le quotidien proche du Parti de la Refondation communiste, NdT) – il est juste de le souligner – pourraient ne pas partager son opinion, qu’il fut injuste de "fusiller Benito Mussolini, il y a 61 ans, après un procès d’une minute seulement et d’exposer ensuite son cadavre, dans la rue, à Milan, pendu la tête en bas, avec les corps de Claretta Petacci et de certains des membres de la hiérarchie fasciste fusillés à Dongo".

Justement ces jours-ci, il y a tant d’années, le 3 janvier 1925 exactement, Mussolini, dans un de ses discours à la Chambre pour se défendre de l’accusation, historiquement prouvée, d’avoir fait assassiner, six mois auparavant, le député socialiste Giacomo Matteotti, déclarait qu’il assumait, à lui seul, la responsabilité politique, morale, historique de ce qui s’était passé.

Matteotti avait dénoncé, dans le mémorable discours à la Chambre des Députés du 30 mai 1924 qui lui coûta la vie le 11 juin de la même année, le résultat des élections de 1924, règlementées par la loi Acerbo, qui permettait à la liste qui aurait récolté au moins 25% des suffrages d’obtenir les 2/3 des sièges au Parlement.

Est-ce un hasard si l’utilisation des bulletins blancs en faveur des candidats fascistes rappelle ce qu’a récemment dénoncé Enrico Deaglio à propos des élections d’avril 2006 ?

Rappelons pour tous ceux, si nombreux, qui n’ont pas de mémoire, les paroles textuelles de Mussolini :

"Si les phrases plus ou moins estropiées suffisent à pendre un homme, sortez la potence, sortez la corde ! Si le fascisme n’a été qu’huile de ricin et matraque, et non pas au contraire une superbe passion de la meilleure jeunesse italienne, c’est de ma faute ! Si le fascisme a été une association de malfaiteurs, je suis le chef de cette association de malfaiteurs. Si toutes les violences ont été le résultat d’un certain climat historique, politique et moral, et bien c’est moi qui en suis le responsable parce que ce climat historique, politique et moral c’est moi qui l’ai créé avec une propagande qui va de l’intervention [dans la première guerre mondiale, NdT] jusqu’à aujourd’hui."

Il apparaît évident que c’est le peuple italien lui-même, devant lequel Mussolini avait fait cette déclaration solennelle, qui le condamna à mort, prenant acte de sa prise de responsabilité et que son procès ne dura pas une minute seulement, mais vingt ans, alors que la sentence de condamnation fut prononcée par le CLNAI [Comité de Libération Nationale de l’Italie du Nord, NdT], qui représentait ce peuple depuis plus d’un an lorsqu’il fut fusillé.

On ne peut en dire autant de l’exposition de son cadavre piazza Loreto à Milan (lieu de précédentes expositions infâmes de partisans torturés et tués, dues aux occupants nazis et à leurs serviteurs fascistes), suspendu la tête en bas, avec les corps de Claretta Petacci et de certains des responsables fascistes fusillés à Dongo. Il s’agit d’une page obscure – dans le climat de l’époque, il est bon de ne pas l’oublier, fruit de quatre ans de guerre et de vingt-deux ans de fascisme – dont les auteurs sont restés anonymes. Le CLNAI mit fin à cette horreur, à peine en fut-il informé.

Carlo Rosselli, fondateur du mouvement Justice et Liberté, évadé de l’île de déportation de Lipari et réfugié en France fit, quelques années avant d’être assassiné à Bagnoles de l’Orne, par les cagoulards français, sur ordre de Mussolini justement, une intéressante analyse du délit Matteotti et de la réaction de Mussolini ; il décrit bien le vieil opportunisme dont une si grande partie de la gauche italienne était déjà affligée.
Dans les Cahiers de Justice et liberté du 8 juin 1934, il écrivit :

"Ce fut une crise de passage et de liquidation qui dépouilla le fascisme en en révélant les méthodes de brigands et la substance de classe et en l’obligeant à précipiter la dictature, mais ce fut aussi une crise qui mit en lumière la tragique faiblesse des oppositions officielles. L’illusion de l’Aventin [lieu où s’étaient retirés les députés antifascistes, NdT], à qui les jeunes demandaient à cette époque de renouveler le mythe du "Jeu de Paume"en revendiquant face aux masses le pouvoir, reposait sur le manque de conscience de la gravité de la défaite subie par les forces ouvrières entre 1921 et 1922, non seulement en Italie mais dans toute l’Europe. Manque de conscience non seulement chez les chefs mais aussi chez les masses et de tous les partis, y compris communistes".

Et encore :

« Matteotti était isolé. Quand il termina son réquisitoire improvisé à la Chambre, un de ses camarades (Baldesi) – mort il y a quelques semaines dans un silence digne – l’interpella brusquement : "Ainsi, tu veux notre mort à tous ?" ».

« Quant aux masses populaires qui se montraient les premiers jours en état d’effervescence, malheur à qui aurait tenté de les mettre en mouvement ! Seuls les communistes et les minorités de jeunes demandèrent la grève générale. Mais les oppositions ne voulurent pas, pour ne pas effrayer la bourgeoisie et le souverain ».

« L’Italie vécut ainsi six mois dans une atmosphère d’illusion et de romantisme, oscillant entre la rébellion moraliste et puritaine et les complots de couloir. Jusqu’à ce que le 3 janvier, Mussolini – forcé, à ce qu’il paraît par ses partisans les plus fidèles – porte le débat sur le terrain de la force. Si vous voulez ma mort, venez me chercher. Les plus jeunes eurent immédiatement la sensation que Mussolini avait gagné la partie et qu’il ne restait plus désormais que la voie insurrectionnelle. Mais il n’y eut pas moyen de faire entendre la réalité aux chefs de l’Aventin. Ceux-ci, qui concevaient la révolution sous la forme de la démission de deux ministres militaires, jugèrent que ce discours était la dernière tentative désespérée de sauvetage d’un homme désormais liquidé dont il ne valait pas la peine de se soucier. Et ils attendirent les décrets de Villa Ada [résidence privée de Mussolini à Rome, NdT]. Il y en a qui attendent encore ».

« Croire que l’on peut vaincre avec des armes légales l’adversaire qui a déjà gagné sur le terrain de la force. Goûter d’avance les joies du triomphe tandis qu’on reçoit le coup le plus dur. Eviter tous les problèmes (Gobetti disait : "l’Aventin a un mythe, le mythe de la précaution") en espérant que la bourgeoisie oublie 1919. Attendre que le roi et les généraux retirent les marrons du feu avec la seule intention de les remettre, à peine moins brûlants, à six mois de la date, à ces messieurs de l’opposition. Supposer que les valeurs morales pusisent à elles seules, renverser les rapports de classe… »

« La démagogie fasciste l’a habituée [la jeunesse] à regarder la réalité des choses et des rapports de classe ; et si une crise résolutive devait s’engager, elle saura miser sur les objectifs décisifs : les armes, les masses, le pouvoir. L’affaire Matteotti ne soulève pas son dédain enflammé. Il lui semble naturel que du fait qu’il y ait eu parmi plus de cent députés un homme de sa qualité, Mussolini l’ait fait supprimer. Pas de commémoration donc, puisque tout a été dit ; puisque, lors de ces dures années, est arrivée la génération des Matteotti. Le fils de Matteotti a vingt ans  ».

Etant établi que nous non plus, nous n’aimons pas les commémorations, il nous semble que les mots de Rosselli donnent largement matière à réflexion, au vingtième comme au vingt-et-unième siècle. N’en déplaise aux apôtres de la non violence de salon (ou de rédaction) – absit injuria verbis – et aux opportunistes d’hier et d’aujourd’hui, nous voudrions pouvoir dire nous aussi "le fils de Matteotti a vingt ans".

Aujourd’hui !

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