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Routes des Tamarins : L’annonce d ’emploi qui scandalise
Publie le lundi 13 septembre 2004 par Open-Publishing“On vend des gens !” La phrase, lâchée hier d’un ton glacial par un responsable de l’Agence nationale pour l’emploi (Anpe), fait froid dans le dos. Dans son collimateur, l’annonce d’emploi publiée à deux reprises, jeudi et hier, dans les pages du Quotidien, et intitulée “Grand Jeu de la Route des Tamarins”. Pour ceux qui ne l’auraient pas aperçu, le placard se poursuit ainsi : “On recherche ferrailleurs, coffreurs, chefs d’équipe coffrage - Récompense un Aller-Retour Réunion/Paris.”
Le cadeau semble plus qu’alléchant, mais ne concerne pas les résidants actuels de l’île. Et le texte de poursuivre : “Vous avez en métropole ou à l’étranger, des amis ou des membres de votre famille qui exercent dans les métiers des travaux publics et qui souhaitent venir à la Réunion. Axion recherche, pour la construction de la route des Tamarins, des personnes qualifiées pour des contrats de longue durée.”
Commentaire outré d’un responsable de la Région : “D’un simple point de vue philosophique, c’est scandaleux ! Nous sommes en pleine marchandisation de l’individu ! Pour ma part, je n’avais encore jamais vu de publicité de cette nature.”
Même dégoût auprès de l’Association régionale de formation du bâtiment et des travaux publics (Arfobat) et de son secrétaire général, Charles-Henri Gérard : “Faire de l’emploi un commerce, c’est inconcevable, effrayant et inadmissible !”
à la direction du travail, le sujet fait grand bruit. “C’est la première fois que je vois ce style de chose, note, énervé, son directeur, Serge Leroy. C’est délirant et totalement inopportun ! Il faudrait gratter sur la Loi informatique et libertés, car donner le nom d’un ami ou d’un membre de sa famille sans lui demander son avis...” Silence. “En attendant, maintenant qu’on a tiré le petit bout de la ficelle, je ne vais pas le lâcher !”, assure le responsable. Mais à en croire Axel Zettor, secrétaire général de l’UIR-CFDT, il semble bien qu’il y ait “un vide juridique” en la matière, mais “tirer l’emploi à la loterie, jouer ainsi à la roulette russe, mais c’est de la provoc !”
Quoi qu’il en soit, la question de la légalité ou non de cet encart reste le tiers émergé de l’iceberg. à l’opposé, Axion, l’agence d’intérim en charge du recrutement, se garde de contours aussi apparents. “Je ne sais pas ce que c’est.” La réponse, on ne peut plus laconique, circule en boucle de l’Anpe à la chambre de commerce et d’industrie (CCI), en passant par la Fédération réunionnaise du bâtiment et des travaux publics (FRBTP) et l’Arfobat. Et pour cause, à lire les annonces légales du Quotidien daté d’hier (page 35), on tombe sur trois sociétés : Axion Ouest, Axion Nord et Axion Sud-Est. Lancées le 2 septembre avec chacune un capital de 15 000 euros, leur travail s’avère en tout point identique, soit “toutes opérations industrielles et commerciales se rapportant à la délégation et à la gestion du personnel intérimaire ou temporaire de toutes qualifications et dans tous les secteurs d’activités”. En outre, les trois sœurs jumelles siègent au Port, sous la même boîte aux lettres, au 14 rue Sully-Prud’homme, et avec le même gérant, à savoir un certain Jean-Jacques Charolais.
UN FLAMBEUR
AMATEUR DE PÉTANQUE
ET DE BAGNOLES
Grand amateur de cartes et de pétanque, circulant dans une grosse Mercedes noire, cet ancien proche de Joseph Sinimalé - quand celui-ci occupait les fonctions de maire de Saint-Paul - semble davantage porté sur la flambe que sur la bonne gestion financière de ses activités.
Le fichier consulaire de la CCI recense pas moins de quinze sociétés affiliées à Jean-Jacques Charolais, dont neuf sont aujourd’hui radiées - entre autres la SDS, Netalis, la Société de manutention de la Réunion, la Réunionnaise de dépotage et de manutention, Mascareignes Intérim et les Travaux publics des Bengalis. Seraient toujours en activités, en dehors des trois Axion, Sun production Océan Indien et Conseil investissement immobilier.
Son nom apparaît aussi dans la faillite du club de football, la Saint-Pauloise, à la fin des années 90. Il vient en outre de réaliser une opération immobilière des plus juteuses à Cap Homard, à Saint-Gilles, revendant une villa pour près de 2 millions d’euros à un promoteur qui envisagerait d’y ériger un immeuble d’habitation. On se demande bien quel promoteur immobilier...
Jean-Jacques Charolais est également le fondateur et le créateur d’Intérim océan Indien (IOI), la première agence à avoir développé le travail temporaire à la Réunion en 1990. Celle-ci, également basée au 14 rue Sully-Prud’homme au Port, a été rachetée en janvier dernier par Maximin Chane-Ki-Chune, propriétaire du groupe Quotidien, et Alain Bailly, l’un de ses principaux associés. Contacté hier après-midi par téléphone, M. Chane-Ki-Chune n’a pas souhaité répondre.
En attendant, tandis qu’élus, syndicats, chefs d’entreprises et intellectuels débattent en ce moment sur la “préférence régionale”, l’annonce d’emploi devrait laisser plus d’un chômeur perplexe. D’autant que, dès le début du projet de construction de la route des Tamarins, la Région avait clairement affiché sa volonté politique de donner la priorité d’embauche à ceux qui résident à la Réunion. Pour ce faire, le conseil régional a financé un dispositif spécifique, en partenariat avec l’Anpe, la FRBTP et l’Arfobat et les acteurs concernés (CCI, chambres de métiers, missions locales...) pour que les Réunionnais puissent bénéficier de ces emplois.
“QUE LA RÉGION ASSUME SES RESPONSABILITÉS !”
Hier matin, Michel Vergoz a tôt fait de réagir, au micro de Radio Réunion : “C’est le symbole de l’échec de la gestion prévisionnelle de la formation”, s’est indigné, “estomaqué”, le leader du Parti socialiste. “C’est dans un pays en voie de cessation de paiement comme l’Argentine que l’on voit de telles pratiques ! La Région est directement concernée en tant que maître d’ouvrage de ce chantier. Qu’elle assume ses responsabilités !”
Du côté de la Pyramide inversée, on s’estime “consterné” par la démarche effectuée par Axion et le journal du Chaudron. “La Région n’a strictement rien à voir dans cette affaire”, certifie Paul Vergès, pour qui les propos tenus par son opposant socialiste s’assimilent à de la “fausse nouvelle”, voire de la “diffamation” : “Y en a qui produisent du verbe, d’autres essaient de produire des emplois !”
Selon le président de l’exécutif régional, “tous les besoins exprimés par la fédération du BTP ont été pris en compte et sont satisfaits. Cette opération n’a rien à voir avec ceux exprimés depuis des années par nos partenaires. Si nous faisons erreur, il n’y aura pas de route des Tamarins. C’est inadmissible d’avoir à la base une tromperie, mais je suis convaincu que je n’aurai pas à prendre cette décision.”
Quelle sera la réaction de la Région ? Intentera-t-elle une action judiciaire à l’encontre des auteurs de l’annonce ? à moins que la direction du Travail ne vienne jeter un œil dans ce micmac et ne prenne elle-même les affaires en mains. Quoi qu’il en soit, les choses pourraient ne pas en rester là, tant cette histoire tombe dans un climat social déjà on ne peut plus tendu.