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Saint-Denis et sans-papiers - Evacuations policières... « de gauche » ?

Publie le mardi 16 janvier 2007 par Open-Publishing
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La brutale évacuation policière des sans-papiers et de leurs soutiens qui occupaient la fac de Paris VIII (Saint-Denis) dans la nuit du 22 au 23 décembre n’a pas suscité de grande réaction... Nous ne nous étonnerons guère de la « discrétion » des médias : le sujet, trop « sensible », risquait de déclencher une vague d’indignation, en pleine période de fêtes dégoulinantes de « bons sentiments »... Et surtout, en période pré-électorale. Eviter à tout prix la moindre mobilisation ! Notre attention est désormais détournée sur les petites phrases de tel(le) ou tel(le) prétendant(e) au trône républicain, leurs règlements de compte, leurs vagues promesses, leurs larmes de crocodile (vite essuyées) sur la misère des SDF - dont ces « charitables » politiciens sont eux-mêmes responsables ! Voilà qui fait les gros titres... Et malheur à ceux qui, par leurs luttes, ont l’« indécence » de ne pas respecter la « trêve électorale » ! Les sans-papiers continuent de se battre avec une inlassable détermination pour affirmer leur droit à l’existence ? Ils se font agresser par les CRS ? Ils se font enfermer dans des camps de rétention ? Ils se font expulser ? Silence - on vote !

Mais ce silence est d’autant plus choquant quand il est celui d’organisations qui prétendent défendre les sans-papiers. Aussi muettes sur l’évacuation qu’invisibles pendant l’occupation ! Pourquoi un tel black-out ? Y auraient-ils des sans-papiers non défendables ? Des occupations non soutenables ? Des violences policières non condamnables ? La raison de ce silence complice me semble se nicher dans le fait suivant : le conseil d’administration de l’université de Saint-Denis (où est activement représenté le Conseil régional d’Ile-de-France) et son président - qui, rappelons-le, ont appelé la police pour évacuer les occupants - sont connus pour être... « de gauche » ! ! Pour ceux qui penseraient qu’il s’agit d’un regrettable « accident de parcours », je voudrais préciser que la même abomination a été commise à deux autres reprises au courant du seul mois de décembre dans la même ville de Saint-Denis. Là aussi, sans grande réaction... Le 4 décembre, la municipalité « de gauche » - avec un maire PCF - appelait la police pour déloger les sans-papiers qui occupaient la piscine désaffectée. Le 27 décembre, elle persistait et signait en faisant chasser par la police le Collectif de sans-papiers du 93 qui tentait de récupérer le local où il tenait habituellement ses permanences à la Bourse du Travail...

Plusieurs de nos lecteurs, informés par notre site des événements, expriment leur indignation mêlée d’étonnement. Comment des élus de cette gauche anti-sarkozyste ont-ils pu oser recourir aux sbires du même Sarkozy pour faire le sale boulot que, par ailleurs, ils dénoncent : réprimer les sans-papiers ? Certains y décèlent un retour au « parti de Vitry », quand, la veille du Noël 1980, le maire PCF de cette ville de la banlieue parisienne envoya un bulldozer détruire un foyer de travailleurs maliens - tout en appelant cyniquement, lui aussi, à « faire barrage au racisme » ! Quelques autres interlocuteurs tentent par contre de justifier l’injustifiable : La municipalité de Saint-Denis n’a-t-elle pas défendu, par ses prises de positions et par ses actes, des sans-papiers ? Les instances dirigeantes de l’Université de Saint-Denis n’ont-elles pas dès le début proclamé leur « solidarité aux sans-papiers qui occupent depuis lundi les locaux de l’Université », s’engageant même « à apporter toute [leur] aide, afin d’obtenir une régularisation » ? Tout cela est vrai - tout comme il est vrai que les mêmes ont lancé les CRS contre eux ! Alors, qu’en est-il ?

Passons en revue les différentes justifications. Je ne vais pas m’attarder trop longuement sur le peu de sérieux des arguments sur la sécurité avancés dans le cas des occupations de la piscine et de la fac de Saint-Denis. Outre que les autorités municipales et universitaires pouvaient facilement - si elles voulaient vraiment soutenir ces luttes - assurer la sécurité, les occupants ont montré dans les deux cas leur responsabilité et leur capacité à l’assurer eux-mêmes. La présidence de l’Université, dans son communiqué du 22 décembre, « a exhorté les occupants de surseoir à l’occupation pour éviter tout incident ». Mais le seul « incident » sérieux qui a eu lieu, c’est l’intervention des policiers qui, faisant « surseoir à l’occupation », ont molesté des centaines d’occupants et envoyé 11 personnes à l’hôpital ! Remarquons, pour terminer sur ce point, que, quand des occupations concernent des autorités de droite, il y a moins de préoccupation sur la sécurité à gauche... Non, la question est avant tout politique, et ce sont surtout des arguments politiques qui ont été mis en avant pour justifier les évacuations policières.

Force en effet est de constater que tant qu’il s’est agi de manifester contre Sarkozy et la droite au pouvoir, pas de problème. Par contre, maintenant, dès qu’une mobilisation concerne une « autorité » de gauche, il semble que, pour une certaine gauche, cela soit une autre histoire. La mairie de Saint-Denis a même accusé les occupants de sa piscine de « faire le jeu du ministre de l’Intérieur »... Et, pour les empêcher de « faire le jeu » de Sarkozy, elle n’a rien trouvé de mieux que de faire appel à Sarkozy !! Hallucinante logique (dialectique ?) que celle des bureaucrates, toujours prompts à dénoncer les « manipulations » dès qu’ils sont en désaccord avec des luttes... Puisque c’est la gauche qui détient le (un) pouvoir, il faudrait donc revoir à la baisse (si ce n’est cesser) les luttes, reconsidérer l’expression des revendications... (L’argument avait été déjà employé dans les années Mitterrand et Jospin, avec les dommages que cela a entraînés pour la grande majorité de la population.) Les problèmes sociaux auraient-ils disparu ? Cette société fondamentalement inégalitaire aurait-elle changé de nature par le miracle des urnes qui ont porté la gauche aux affaires universitaires, locales et/ou nationales ? N’est-il toujours pas nécessaire de briser la résistance de ceux qui détiennent fermement le pouvoir économique et qui font passer le profit avant l’humain ? Mais, nous dit-on, la municipalité de Saint-Denis a obtenu dans le passé des régularisations et la présidence de l’Université s’était engagée à en obtenir du préfet... Certes, et rien de cela n’est négligeable (même si l’on peut douter fortement de la capacité d’une université à réussir là où tout a échoué). Mais cela fait des années que les sans-papiers voient les régularisations au compte-goutte, au cas par cas, pendant que la grande masse d’entre eux continuent de se faire surexploiter, d’être privés d’une vie personnelle normale, d’être traqués par la police, de se faire expulser ! Comment, dans des conditions aussi dramatiques, certains peuvent se permettre de leur prêcher la patience, de s’en remettre à quelques notables et élus ? ! Il y a bien longtemps que les sans-papiers - et pas seulement eux - ont compris qu’il fallait compter avant tout sur leurs propres forces, leur organisation, leur détermination.

Mais, nous objecte-t-on à nouveau, mener une occupation dans une ville ou une fac de gauche, c’est se tromper de cible... Non, en occupant la piscine puis la fac de Saint-Denis, les sans-papiers ne se trompaient pas. Ils croyaient au contraire que la soi-disant « cible » - puisque de gauche - était leur allié, qu’elle leur serait favorable, qu’ils pourraient en attendre un total soutien. (Jusqu’au bout, ils ont même pensé qu’il était inconcevable que soient mises à exécution les menaces d’évacuation policière.) Mais alors, argumente la mairie (avec un certain paternalisme), pourquoi ne pas avoir négocié avec nous avant d’occuper la piscine... Est-il besoin de « négocier » une action avec les élus de gauche ? Ne se disent-ils pas sans condition du côté des luttes des sans-papiers ? Ou alors n’acceptent-ils que les luttes qui leur conviennent ou qu’ils contrôlent ? Désolée, messieurs les bureaucrates, mais la souffrance et le ras-le-bol explosent bien souvent sans attendre d’autorisation, sans respecter les « consignes du parti », et en prenant des formes s’écartant des voies convenues. C’est néanmoins le droit le plus strict de la mairie, comme de quiconque, de ne pas être d’accord avec telle ou telle forme de lutte. Dans ce cas, il convient - tout en étant aux côtés des sans-papiers mobilisés - d’en débattre démocratiquement pour essayer de les convaincre d’autres formes de lutte, sans chercher à imposer ses vues contre la volonté des gens... et encore moins d’appeler la police ! Curieuse conception de la démocratie qui fait appel à la matraque policière pour régler les divergences au sein du camp des opprimés ! Une municipalité de gauche ne devrait-elle pas au contraire se faire la tribune de toutes les luttes qui éclatent dans sa commune ? De même pour une présidence universitaire de gauche.

Il me paraît insuffisant de fustiger ici l’hypocrisie morale - d’autant que je crois que beaucoup sont sincères, en tout cas parmi les militants de gauche - mais plutôt une ligne politique qui conduit à transformer les Dr Jekyll en Mr Hyde, les défenseurs de sans-papiers en expulseurs de sans-papiers... On touche ici concrètement, douloureusement, la contradiction de cette gauche institutionnelle qui, d’un côté, affirme être en faveur des plus défavorisés par la société capitaliste et qui, d’un autre côté, en assure loyalement la gestion dès qu’elle accède à un quelconque pouvoir (universitaire, municipal, gouvernemental...), repoussant aux calendes grecques tout projet de transformation radicale de cette société. C’est pourquoi les élus et dirigeants de ces partis peuvent prendre certaines mesures progressistes, ponctuelles et limitées, mais aussi effectuer des revirements spectaculaires. La gestion loyale d’une société par nature inégalitaire ne peut conduire, même avec les meilleures intentions du monde, qu’à se retourner contre les couches populaires que l’on dit vouloir représenter et défendre.

Les dirigeants de cette gauche-là n’en sont pas à leur premier revirement en matière de sans-papiers. Rappelons simplement les premiers mois du gouvernement Mitterrand. Après des décennies de droite au pouvoir, la victoire du candidat de gauche a suscité de grands espoirs en 1981. D’autant que les premières mesures prises semblaient aller dans le bon sens. Notamment pour les sans-papiers : 130000 régularisations ont été obtenues (plus exactement, arrachées de haute lutte, suite aux mobilisations des années antérieures). C’était aussi l’époque de l’abolition de la peine de mort... Mais, peu après, la gauche au gouvernement se convertissait à l’austérité de droite, et allait s’engager dans « la lutte contre l’immigration clandestine », avec ce que cela signifie d’atteintes au regroupement familial, de persécutions policières, d’enfermement dans les camps de rétention, d’expulsions... Y compris de mesures contre les immigrés en situation régulière... Y compris contre les ouvriers d’origine maghrébine qui, dans l’automobile, ont osé ( !) faire grève sous un gouvernement de gauche et qui furent scandaleusement dénoncés par le premier ministre d’alors pour être manipulés par les intégristes musulmans... Déjà !

Il faut savoir tirer les leçons de ces expériences et des politiques menées par cette gauche « gouvernementaliste » : Le combat en faveur des couches populaires ne passe pas par une gestion respectueuse de cette société mais par un combat pour sa transformation radicale, un combat au centre duquel figure la défense inconditionnelle des plus vulnérables, des plus opprimés d’entre tous.

A l’approche de nouvelles échéances électorales, les sans-papiers semblent considérés par bon nombre de partis comme des trouble-fête qu’il convient de renvoyer dans leur « clandestinité »... Plus que jamais, la vigilance s’impose. Tous ceux qui les soutiennent - quels que soient leur engagement ou leur sensibilité politiques -doivent empêcher que leurs voix soient étouffées et se mobiliser pour populariser et élargir leurs luttes. En ce qui nous concerne, nous nous engageons à leur offrir une tribune et à soutenir activement leurs actions, sans distinction aucune, et au-delà des querelles intestines qui peuvent avoir lieu entre tel ou tel collectif et, y compris, à l’intérieur d’un même collectif. La lutte contre l’oppression est indivisible.

Aurélie Messaoudi-Lévy

Post-scriptum - Le MPE donnera la parole à des participants et animateurs de l’occupation de Saint-Denis en publiant prochainement sur son site les interviews qu’ils lui ont données.

www.mouvement-egalite.org

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