Sarko-Kärcher nouvel ami des « jeunes de banlieue » ?

Dernière info : la rencontre dont il est question ici a été "organisée" par Khadija Dati, devenue depuis porte-parole de Sarkozy (pour les "banlieues" ?)

Par Aurélie Messaoudi-Lévy
vendredi 15 décembre 2006
www.mouvement-egalite.org

A en croire la grande presse qui a relayé complaisamment la « rencontre avec les jeunes des quartiers populaires » de mercredi dernier (organisée avec une « association de banlieue »), le ministre-candidat « renoue le dialogue avec les jeunes ». Fini le kärcher ? Regardons-y de plus près.

Je suis de nature méfiante, limite paranoïaque : déjà, je ne connais pas cette association pour s’être mobilisée contre les discriminations et injustices racistes (ou autres). En plus, une association qui prend pour nom « Bleu-Blanc-Rouge » (BBR) me paraît a priori suspecte (il y a bien longtemps que le drapeau tricolore ne représente plus le symbole de la liberté, de l’égalité et de la fraternité - témoin la fête du FN baptisée des mêmes couleurs !) Enfin, au détour d’une info pro-Sarko, vous apprenez que parmi ces responsables il y a un juriste employé au Conseil général des Hauts-de-Seine (un bastion que Sarkozy a hérité d’un autre ministre de l’Intérieur, tristement connu, Pasqua, dont le talent à échapper à la justice me surprend toujours...). Plusieurs (pas tous, prend-on la précaution de nous préciser) sont membres de... l’UMP. Un autre est diplômé de l’Essec et analyste financier. Le profil type du « jeune des quartiers populaires », n’est-ce pas ? Ce dernier, (...), expliquait ainsi avoir l’oreille du ministre : « A Beauvau [le siège du Ministère de l’Intérieur], on a trouvé notre projet très challenging. » Très challenging ! ? Vous aussi, vous reconnaissez bien là le parler de la « banlieue » (il est vrai que la banlieue c’est aussi Neuilly-sur-Seine !)... Ah ! j’allais oublier : l’association est domiciliée à Argenteuil, une municipalité dirigée par le député-maire UMP Georges Mothron.

Passons maintenant à la réunion spectacle du 13 décembre. Je n’y étais pas invitée mais les journalistes oui, largement. Si l’on en croit celui de Libération, 1500 invitations avaient été lancées, mais « à peine un tiers était effectivement présent, plus costumes-cravates cheveux gris que représentants des quartiers ». On n’en sera pas surpris outre mesure ! Au premier rang - tout un symbole ! - les cadets de la police et, derrière, une ribambelle de chefs d’entreprise...

Certains, à gauche, ont crié à la récupération électoraliste. C’est un peu court (et aussi un peu hypocrite de la part - entre autres - de certains « royalistes » qui, bien sûr, eux, ne sont pas électoralistes !) Il est certain que Sarkozy va à la pêche aux voix et qu’il ne renâclera pas à ratisser large. (Il vient de signer le « pacte écologique » d’un autre Nicolas : Hulot !) Mais, je doute qu’il pense vraiment pouvoir séduire ces jeunes et leurs parents. Peut-être, hors « banlieues », certains « libéraux » indécis qui se convaincront qu’il n’est pas l’irresponsable pyromane qui a mis le feu aux poudres en novembre 2005... La démagogie est loin d’être absente chez Sarkozy, comme chez ses concurrents. Mais c’est devenu une mode dangereuse - par trop « populiste » à mon goût - de réduire la politique à une pure démagogie ou à une simple « soif du pouvoir », même s’il ne faut pas écarter cet aspect. En fait, des programmes politiques sont en jeu.

Sarkozy a un programme, et il n’en a pas changé, au moins sur cette question. Et il le dit : Je serai « ferme avec ceux qui empoisonnent la vie des autres, mais juste avec ceux qui veulent s’en sortir. » C’est une autre façon d’exprimer la politique de « discrimination positive » qu’il prêche régulièrement. Une politique d’ailleurs partiellement en œuvre (les « emplois-jeunes », les collèges et lycées en ZEP,...) et dont l’inefficacité est notoire. Au mieux, cela limite la « casse » mais n’apporte aucune solution aux inégalités. En tout cas, pour la grande majorité des personnes que l’on prétend vouloir « discriminer positivement » ! C’est une petite minorité qui « s’en sort » : « Nicolas Sarkozy invite place Beauvau la banlieue qui réussit », titrait le Monde. (Mais cette « banlieue qui réussit » s’empresse de la fuir !) Aux USA, patrie de l’« affirmative action », c’est uniquement à la « classe moyenne » noire que cela a profité, introduisant et accentuant la division sociale au sein de la population issue de l’esclavage.

Mais c’est précisément ce que vise cette politique ici : diviser les populations issues de l’immigration et dégager une « élite » qui pourra servir de tampon entre une masse discriminée et le pouvoir en place. C’est déjà ce à quoi sert l’association « BBR » ! Mais il y a des effets encore plus pervers. La « discrimination positive » censée combattre le racisme est elle-même un facteur de racisme, alimentant la rancœur du « beauf » : « On fait toujours tout pour ces gens-là et rien pour nous » ! En même temps, c’est un outil de stigmatisation : « On fait tout pour vous - donc si vous ne réussissez toujours pas, c’est votre faute. » Sarkozy le dit lui-même : Je serai « juste avec ceux qui veulent s’en sortir ». Pour les autres, la grande masse des autres, on ressort le kärcher ! Pour dire les choses plus précisément encore : afin de tenir cette jeunesse méprisée et paupérisée (et, si besoin, la contenir par la répression policière), Sarkozy a bien compris que, dans le même temps, il fallait pouvoir exhiber sur la scène médiatique quelques symboles de « réussite » : un présentateur de TF1, un préfet « musulman », quelques « BBR »...

Publié sur : www.mouvement-egalite.org