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Soda d’insertion avec ou sans bulles
Publie le mercredi 10 mars 2004 par Open-Publishing1 commentaire
Les Pennes-Mirabeau envoyée spéciale
Dans le vestiaire de l’usine Coca-Cola, Elisa, 17 ans, cheveux joliment
ramassés en chignon, quitte son survêt copie Adidas pour la tenue
obligatoire rouge Coca. Casquettée à l’américaine, la collégienne prend
des poses de gangsta rap devant la glace. « Attention les mecs,
rigole-t-elle, je travaille ici, je suis la patronne. » Sa copine Maria
entonne le dernier tube à la mode, Tragédie. Elles aiment aussi Star Ac,
Jennifer, mais pas Nolwen, trop première de la classe. Elles sont trois
filles, Elisa, Maria et Wassila, 16-17 ans. Dans le vestiaire hommes,
deux garçons : Hassan et Yassine. Elèves d’une classe d’insertion
professionnelle au collège Massenet, dans les quartiers nord de
Marseille, ils sont en stage durant une semaine à l’usine
d’embouteillage de Coca-Cola aux Pennes-Mirabeau, près de Marseille. Les
filles sont fières de leur uniforme. C’est la première fois qu’elles
mettent les pieds dans une entreprise. Leurs mères leur ont dit : « C’est
un bon boulot, ici. » Avant d’envoyer ses élèves, la principale de
Massenet, Marie-Pierre Van Huffel, leur a fait la leçon : « Arrivez à
l’heure, dites "bonjour madame", frappez avant d’entrer dans une pièce,
ne mâchez pas de chewing-gum, enlevez votre casquette... »
Coca, la pub n’est jamais loin
Chaque semaine, depuis décembre dernier, l’usine d’embouteillage
Coca-Cola des Pennes-Mirabeau, une des cinq unités de production de la
marque en France, accueille un groupe de cinq jeunes issus « des
quartiers défavorisés des Bouches-du-Rhône ». Des « jeunes à casquette »
dont on dit communément qu’ils ne veulent pas travailler, encore moins à
l’usine. En cinq jours d’immersion, la multinationale affirme vouloir
les « initier » ou mieux encore leur faire aimer le monde du travail.
L’opération est montée avec la préfecture du département. Partenariat
privé-public dans le cadre de la politique de la ville.
Traditionnellement habituée à sponsoriser des événements sportifs qui
« pétillent », Coca-Cola Marseille se lance donc dans l’insertion
professionnelle. Enième déclinaison de l’entreprise citoyenne ? Mauvaise
conscience d’une multinationale américaine à l’image régulièrement
contestée ? Ou réelle volonté de la direction ? « Nous souhaitons motiver
les jeunes à s’en sortir, dit Angel Llovera, directeur de l’usine. Si
nous arrivons à intéresser 30 % de ceux qui passent, ce sera déjà bien. »
A plus long terme, on devine un intérêt économique. D’ici juin, 150
jeunes des quartiers devraient « goûter au travail » sur les chaînes de
production. « C’est clairement une opération commerciale, dit cette
directrice de collège, mais nous avons tellement de mal à placer nos
élèves en stage dans les entreprises que nous avons accepté. Quand nous
avons une offre, nous ne la refusons pas. »
Le plus dur, la discipline
L’accueil des premiers groupes a parfois été sportif. La responsable des
ressources humaines, Laure Benoit-Cattin, parle de problèmes de
« discipline ». Plus directe, Elisa raconte que des élèves de sa classe se
sont fait virer au bout de deux jours. « Ils couraient dans tous les sens,
décrit un employé. Impossible de les tenir en place. Trop dangereux dans
une usine automatisée. On en a même retrouvé à l’extérieur qui faisaient
la circulation sur le rond-point à l’entrée de l’usine. Ça les faisait
rigoler. » Chef d’équipe chez Coca-Cola, Eric Dupuy, 37 ans, vient lui
aussi de « Massenet » comme Elisa ou Hassan. Un établissement des
quartiers nord de Marseille où, explique la principale, « 84 % des
parents ne travaillent pas. Dans certaines familles, les gamins sont les
seuls à se lever le matin ». Eric Dupuy a commencé à travailler à 15 ans
comme mécanicien. « Dans les quartiers, si tu te fais entraîner par ce
qui est autour, par la magouille, t’es cuit, dit-il. C’est une question
de personnalité. »
Un rapport différent à la loi
Sur les chaînes de production, les opérateurs ne se montrent pas
d’emblée très accueillants. « Les gars ne voulaient pas entendre parler
de ces jeunes, explique un salarié. Pas le temps de s’en occuper. L’un
m’a dit : "J’ai déjà mes gosses à la maison, je ne vais pas le faire en
plus au boulot." »
Non respect des consignes ou de la parole hiérarchique, Eric Dupuy en
est persuadé : « Nous, on avait la peur du prof, eux pas. » La principale
Marie-Pierre Van Huffel nuance. « Je ne sais pas s’ils sont plus durs
qu’avant, mais ils ont un rapport différent à la loi. Ils respectent la
loi quand ils y croient ou qu’elle leur apporte quelque chose. Ils
savent que, sans diplôme, trouver un emploi sera extrêmement difficile.
"Je n’ai rien à attendre de vous, disent-ils. Si j’arrive à quelque
chose, ce sera par moi-même." »
« Donner une image sympa de l’usine »
Chaque jour, distribuer les clés des vestiaires, rappeler les consignes
de sécurité (contre le bruit assourdissant des machines, protéger ses
oreilles d’un bouchon de mousse jaune), trouver une équipe pour encadrer
les stagiaires. Pourquoi Coca-Cola s’impose-t-elle des contraintes
logistiques supplémentaires ? L’usine de Marseille est prospère. Les
lignes de production roulent jusqu’à saturation, boostées par
l’engouement pour le Coca Light ou le Coca Lemon (9 % de croissance par
an). L’usine embauche (une cinquantaine de personnes en trois ans). A la
fabrication, les visages ont rajeuni (36 ans de moyenne d’âge). Mais
l’entreprise a besoin de profils spécialisés, comme des techniciens de
maintenance, qu’elle a du mal à trouver. « Nous voulons attirer les
jeunes vers l’industrie, explique le directeur, Angel Llovera. Leur
donner une image plus sympathique de l’usine que les clichés à la Zola. »
Pas de diplôme, pas d’emploi
Il y a dix ans, l’usine des Pennes-Mirabeau ressemblait à une « grotte »,
se souvient un des employés. Pas de chauffage l’hiver, charges lourdes à
apporter. Aujourd’hui, les bouteilles se gonflent automatiquement, se
remplissent et s’emballent toutes seules. Derrière leur écran de
contrôle, les hommes sont là pour optimiser la production. « Je croyais
qu’une personne écrivait sur la boîte le nom "Coca-Cola" », dit Wassila,
jeune fille rêveuse. Avec les avancées technologiques, le niveau exigé à
l’embauche a grimpé automatiquement. Les derniers opérateurs, recrutés
sur les chaînes, ont un bac ou un BTS. « J’aimerais bien travailler chez
Coca-Cola, dit Elisa, mais j’ai bien vu qu’il faut le bac. Je ne l’aurai
jamais. » La jeune fille est arrivée l’année dernière des Comores.
« Là-bas, l’essentiel est d’aller à l’école, dit-elle. Avoir 17 ans en
sixième, c’est pas grave, ici c’est la honte. » A Marseille, Elisa, qui
n’a jamais connu son père comme de nombreux élèves de sa classe, a
retrouvé une mère qui vit de ménages.
Filles vendeuses, garçons mécaniciens
Elisa comme Yassine sont dans une classe d’insertion professionnelle :
parallèlement au cycle classique du collège, le module projet
professionnel (MPP) accueille pour quelques mois tous ceux en « grande
difficulté scolaire » ou débarqués récemment en France. Les plus chanceux
poursuivront leur scolarité en CAP ou BEP. Les autres se retrouveront
sur le marché du travail. Sans formation. Elisa comme Maria sont
pressées : travailler au plus vite. Du haut de leurs 17 ans, elles
affirment : « Il faut être jeune pour être vendeuse. » Le bac paraît trop
loin. Dans leur classe, toutes les filles veulent travailler dans un
magasin de fringues. « Et les garçons, dans la mécanique », rigole Elisa.
Quand il est arrivé en France, Yassine ne connaissait du français que
« bonjour-bonsoir ». « Quand tu comprends mal la langue, mécanique, c’est
facile à dire, dit-il. Aujourd’hui, on le dit même en arabe. » Dans son
foyer, les éducatrices lui ont expliqué que la plomberie, « c’était bien
aussi ».
« Il sait déjà ce qu’est le travail »
En haut d’un enchevêtrement de tapis roulants saturés de canettes à
boire, Brahim Khoumeri, 57 ans, regarde les petites boîtes défiler.
Détecter les défauts avant remplissage du liquide à bulles. 25 ans de
travail posté en trois-huit, une famille restée en Algérie. Rapidement,
il a repéré Yassine, grand ado taiseux. « Lui sait déjà ce qu’est le
travail. » Des gestes, des initiatives, une assurance, qui démentent les
discours sur une jeunesse je-m’en-foutiste. Jeune Marocain de 17 ans,
Yassine a vendu du poisson au port de Casablanca. Il est arrivé en
France l’année dernière, caché sous le châssis d’un camion. Clandestin
mais mineur, il a pu s’installer légalement en France. Son avenir
immédiat : trouver, lui aussi, un emploi.
« Il faut savoir faire des concessions »
La réparation est technique. La sous-tireuse, celle qui remplit
bouteilles et canettes, est en panne. Pour lui montrer « la bête » de
l’intérieur, Elyamine Berahia, jeune employé Coca-Cola, appelle Yassine.
Ils se sont reconnus (« t’es du bled comme moi »). Une petite famille, un
bon boulot, Elyamine, un brin paternaliste malgré ses 29 ans, donne
quelques conseils. « Accroche-toi, ne sois pas rancunier comme mes petits
cousins. Dans le monde du travail, il faut savoir faire des
concessions. » Mais, derrière l’appel à la soumission, pointe un malaise
: la politique sécuritaire ciblée sur les « jeunes des cités » l’énerve
prodigieusement. « Si je n’étais pas père de famille, dit Elyamine, je me
serais taillé d’ici depuis longtemps. Le Québec ou l’Australie. »
Visant l’essentiel, Yassine se verrait bien travailler chez le géant
américain : « Il y a la cantine, le Coca est gratuit et on peut fumer à la
pause. » Mais du « stage découverte » au contrat de travail signé
définitivement, le circuit est toujours aussi fermé. Le dernier jour du
stage, le jeune homme demande comment s’y prendre pour se faire
embaucher. « Adresse-toi à une société d’intérim, lui répond un employé.
Pour un premier poste, Coca-Cola ne recrute que comme ça. »
Messages
1. > Soda d’insertion avec ou sans bulles, 15 mars 2004, 18:01
bravo cocaexperience a continuer