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Suicide en prison. Histoire d’une existence sans histoire. Vie et mort d’une certaine Gosbava
Publie le vendredi 8 juillet 2005 par Open-Publishing
di Maria R. Calderoni traduit de l’italien par karl&rosa
Elle est partie. Elle n’a rien laissé. Elle n’a rien eu. Il ne reste d’elle que ce nom qui a un goût d’étranger, Gosbava ; un nom comme un autre parmi ceux que il nous arrive d’entendre de plus en plus souvent, Omar ou Khaled ou Rachid, un nom comme un autre, des hommes comme des ombres parmi nous. Gosbava s’est suicidée dans une prison italienne, la prison turinoise Lorusso-Cotugno, grâce à l’expédient habituel et sûr : un drap providentiel attaché aux barreaux de la fenêtre est devenu une excellente corde pour se pendre.
Elle avait 31 ans et était née à Belgrade, on ne sait rien d’autre d’elle, dernier domicile connu à Busalla. Elle s’était retrouvée en prison pour de petits vols réitérés. Deux mois par deux mois, sa peine cumulée était devenue de deux ans, elle serait sortie en 2007. Elle serait sortie même avant, si elle l’avait voulu.
Mais Gospava ne voulait pas, elle a préféré de ne plus jamais sortir. Confuse, ébahie, sans paroles, sans amis, sans vie, là dehors. Elle a refusé son existence sans rien, elle n’aurait pas su quoi en faire. A peine en prison, elle avait manifesté ce refus, ce non qui ne voit pas d’issues possibles, elle l’avait fait en avalant de petits objets. Elle voulait mourir et aussi signaler de cette cellule son besoin d’aide désespéré. Ensuite elle avait inhalé le gaz du petit fourneau dont elle se servait pour cuisiner en prison.
Alors, pour l’empêcher de se faire du mal, avec les meilleures intentions, on lui a tout enlevé, c’est-à-dire ce presque rien que Gospava possédait, les lacets de ses chaussures, un porte-monnaie, son sac déglingué. Mais on n’a pas pu lui enlever le robuste drap : une véritable "chance", pour quelqu’un comme elle qui ne voulait pas sortir. Pour quelqu’un comme elle qui avalait des objets et inhalait le tuyau du gaz : quelqu’un comme elle qui, là dehors, n’avait le droit à rien. Gospava qui est morte il y a presque deux mois, le 12 mai dernier à 16h30 exactement, et qui, exactement depuis ce jour-là, gît dans la chambre frigorifique de la morgue, dans l’attente de quelqu’un qui puisse la saluer et l’enterrer. Elle n’a rien eu, elle n’aura peut-être même pas ça.
La prison est une boîte de corps non repris, a-t-on dit. Le monde du dehors aussi, parfois.