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UTOPIE DU POUVOIR/POUVOIR DE L’UTOPIE

Publie le vendredi 6 janvier 2006 par Open-Publishing
3 commentaires

de Pierre Vexliard

Au sortir des journées d’été des Verts, Noël Mamère déclarait sur France 2 : "Les Verts sont dans une logique de pouvoir".

Dans la conjoncture actuelle, politique, écologique, économique, nationale et internationale, cette affirmation péremptoire sur une question primordiale rappelle l’urgence d’un débat dont les Verts ont à ce jour fait l’économie en s’engageant tête baissée dans l’engrenage de la course au "pouvoir".

Alors que des précurseurs de l’écologie politique comme Jacques Ellul (1) analysaient fort bien, dès les années 50, la vanité de la quête du "pouvoir", le parti écologiste, depuis 1992, s’égare vers le mirage.
Au début des années 80, le local minable des Verts Isère, à Voiron, s’ornait d’une affiche où l’on voyait un troupeau de moutons se diriger vers une falaise où les premiers commençaient déjà à tomber. Seul un mouton (vert) marchait à contre-courant. Depuis, il a fait demi-tour.

Les Verts semblent accepter l’idée que c’est par la participation au "pouvoir" qu’ils sont susceptibles de mettre fin aux dysfonctionnements qu’ils dénoncent et de mettre en œuvre les solutions qu’ils préconisent. Cette notion simpliste et répandue fait pourtant partie de celles qui ne résistent pas à un examen sérieux de la nature du "pouvoir".

Qu’est-ce que le pouvoir ?

Etymologiquement, ce qui rend possible. Mais le pouvoir politique est complexe et relatif. Sinon, c’est du pouvoir absolu, de la dictature, qu’il s’agit. Voulons-nous une dictature verte, comme d’autres ont clamé "tout le pouvoir aux Soviets" ?
On notera d’ailleurs que l’absolutisme du pouvoir a lui-même ses limites : les conjonctures économiques, internationales, et, surtout, les limites du cerveau de celui qui l’incarne, cerveau fortement ébranlé par cette notion même de toute-puissance. En outre, la limite biologique dans le temps (disparition du chef) induit des rivalités pour la succession,, rivalités visant souvent à abréger la vie même du potentat. (On se contentera de relire les drames de Shakespeare pour avoir un panorama ; on étudiera avec tout autant d’intérêt les coulisses de tous nos partis politiques, les Verts inclus).

Si le pouvoir n’est pas absolu, il est relatif, donc beaucoup moins le pouvoir.
Une monarchie parlementaire n’est pas une monarchie, mais une démocratie débarrassée de stériles joutes périodiques où des nains sans scrupule bernent des peuples entiers en se présentant comme le Messie. Panem et circenses une coupe du monde tous les quatre ans, une élection quinquennale, et le peuple est content.
Comme le montrait déjà Ellul dans les années 50, les bouffons qui prétendent incarner le pouvoir ont un marge bien étroite entre le réel pouvoir économique (de plus en plus planétaire et libéral), et le pouvoir technocratique (de plus en plus complexe et confiné dans des jargons inaccessibles au profane, citoyen ou élu).
La force même, avec toute sa puissance et son abjection, est impuissante entre les mains des plus puissants.
Malgré le KGB, l’Armée Rouge et ses milliers de missiles et bombes H, l’URSS s’est effondrée. Malgré la CIA, l’armée la plus puissante du monde, le dollar roi, les Etats Unis, déjà battus aux Viet Nam, s’embourbent en Irak et un coup de cutter suffit à faire s’effondrer le symbole de l’arrogance capitaliste.

La démocratie est une farce, lorsqu’on voit celle qui se targue d’en être le modèle la renverser sauvagement au Chili et ailleurs, voire prétendre de l’imposer par la force en Irak !

Dans le meilleur des cas, la conquête du "pouvoir" en démocratie repose sur l’escroquerie (quand on est moderne et poli, on appelle ça "la communication") où la politique spectacle fait des acteurs des politiciens (Reagan, Schwarzenegger, Montand ...) et des politiciens des acteurs plus ou moins doués (les "meilleurs" se reconvertissent, comme Tapie).
Bien sûr, la communication passe par la maîtrise du "quatrième pouvoir", la presse, surtout télévisée, qui à elle seule s’érige en star system, avec des perméabilités vers le pouvoir politique (voir Dominique Baudis ou ... Noël Mamère).

On voit donc que "le pouvoir " n’existe pas, qu’il est un cocktail fragile de facteurs et d’artifices, qu’il est potentiellement dangereux, et qu’en tout cas il ne contribue en rien à la conscience cognitive ou morale de ses administrés. Tributaire d’élections trop rapprochées, il s’enferme dans le clientélisme, le corporatisme, le consumérisme, la démagogie, le court terme, toutes notions diamétralement opposées aux valeurs de l’écologie.

Dans cette conjoncture pourtant analysée par ses précurseurs, l’écologie politique a fait le choix de vouloir à TOUT prix être partie prenante de ce pouvoir politique (Que ce soit Lalonde puis Voynet et consorts avec les socialistes, ou Waechter et re-Lalonde avec la droite).

En choisissant de s’allier (s’aliéner) à une "gauche" disparate, sans réels projets ni imagination, incapable de remettre ses dogmes en question autrement que pour devenir gestionnaire du libéralisme triomphant, on se berce de l’illusion que l’on fait avancer la cause de l’écologie.
L’électorat écologiste réel ne dépasse guère les 3% (le reste étant un votre protestataire ne représentant en aucun cas une position volontariste susceptible de changer durablement les modes de vie et de consommation). Ne serait-ce pas un déni de démocratie, voire un réel danger de rejet définitif de nos thèses, que de vouloir imposer à une majorité des solutions auxquelles elle n’est en aucun cas préparée ?
Un porte-parole des Verts (un certain "Tasseau", peut-être), déclarait récemment "Ce n’est pas demain que les Verts auront 51% des suffrages, hélas !"
Mais malheureux, la PIRE des choses qui pourrait arriver aux Verts serait d’obtenir 51%, ou même 65% des suffrages ! Surtout après des campagnes d’une démagogie éhontée comme celle de Noël Mamère, promettant aux jeunes shit et rave parties à volonté, plus mille euros mensuels d’argent de poche pour s’entraîner au développement durable.
Les gouvernements élus sur des programmes novateurs finissent soit par rentrer dans le rang et gérer comme leurs prédécesseurs (voir la "gauche" en France, en Allemagne, en Angleterre etc.), écœurant leurs électeurs sans convaincre leurs adversaires, soit par être balayés de façon plus ou moins violente (Chili 73, Nicaragua hier, Venezuela actuellement, Brésil demain.).

Par un double déni de démocratie, Dominique Voynet puis Cochet ont prétendu faire avancer la cause de l’écologie en participant à un gouvernement libéral, gestionnaire et technocratique. Loin de rallier qui que ce soit à l’écologie, leurs pitoyables prestations n’ont fait que discréditer les Verts dans l’opinion.
Au delà des postes ministériels, la lamentable course aux sièges de députés, en l’absence de scrutin proportionnel "condition non négociable" de l’alliance" achevait de jeter le discrédit sur le parti écologiste. Sur quoi achoppaient les discussions avec le P.S en 2002 ? Sur le programme autoroutier ? Sur le renouvellement du parc nucléaire ? La politique Africaine ? Le Gatt ? Non ! La pomme de discorde, c’était une circonscription gagnable où parachuter le petit cul de jean-Luc Benhamias !

Les effectifs des Verts fondent. Personnellement, adhérent continu depuis 1984, je n’ai pas repris ma carte en 2003.
Dans le même temps, on refuse du monde au Larzac, Attac, Greenpeace, la Confédération paysanne, tous les altermondialistes ont le vent en poupe. Lors de la campagne 2002, Pierre Rabhi remplissait le Prisme à Seyssins avec une salle enthousiaste. Quelques semaines plus tard, la même salle, emplie au tiers, assistait, atterrée, à la prestation technologico-médiatique de Noël Mamère.

Soyons lucides : la "logique de pouvoir" chère à Mamère et à quelques autres ne paie pas (2) . Elle ne sert qu’à flatter l’ego d’une poignée d’"éléphants" servant de plantes vertes à une classe politique archaïque et prisonnière de facteurs qui la dépassent.

José Bové, comme Marcos au Mexique, comme Ellul avant eux, réaffirme que le seul pouvoir possible et légitime est celui de la société civile, la conscience et l’expression populaires, le contre-pouvoir.

L’imbécile qui criait "José à l’Elysée" au Larzac n’avait vraiment rien compris, pas plus que les Verts qui voudraient se servir de la popularité du moustachu pour leur tirer les marrons du feu aux Européennes (après avoir sollicité le barbu Abbé Pierre voici quelques années).

Ce ne sont pas les élus qui vont sauver la planète (surtout dans le cadre d’accords avec des technocrates productivistes de "gauche" ou de "droite"). Un élu, c’est un militant perdu.
On peut utiliser les élections comme un moyen de présenter nos idées, mais toute tentation de participation à une majorité ne peut être que contre-productive.

Le pouvoir est une utopie, un mirage, un suicide,

Seule l’utopie du contre-pouvoir peut faire avancer les mentalités et construire dans le long terme. Comme l’agriculture biologique, elle demande plus de temps, plus de peine, mais elle seule peut construire dans le long terme (3).

Ceci est ma dernière contribution à un débat mort-né et pourtant essentiel.

Si les Verts s’engagent tête baissée dans des années électorales sans réflexion approfondie vis à vis du pouvoir politique et de ses limites, ils seront les fossoyeurs de l’écologie politique.

Elirez-vous aujourd’hui vos représentants au CA des Verts Isère sans leur demander de se positionner clairement par rapport aux échéances électorales à venir ?

Elirez-vous demain vos représentants au CA des Verts Rhône-Alpes et au CNIR dans les mêmes conditions ?

Continuerez-vous à cautionner les navrantes luttes de pouvoir de celles et ceux qui prétendent parler au nom et dans l’intérêt de l’écologie politique (4) ?

Pierre Vexliard (5)

Le Village 38210 La Rivière / pierre.veck @wanadoo.fr


1 Lecture indispensable : Jacques Ellul, l’homme qui avait presque tout prévu de Jean-Luc Porquet (le Cherche-Midi) 2003

2 C’est vrai aussi pour les autres partis : le PC a payé cher sa participation au gouvernement "de gauche" tandis que la LCR et Lutte Ouvrière s’envolaient à la présidentielle. Quant au P.S. ... sans commentaire.

3 "Never doubt that a small group of thoughtful committed people can change the world. Indeed it is the only thing that ever has." (Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens engagés et réfléchis puisse changer le monde. En fait, c’est la seule chose qui y soit jamais parvenue)
Margaret Mead (Anthropologue américaine, 1901-1978)

4 Propulsée par Cohn Bendit, Voynet jure qu’elle n’a aucune ambition électorale. En 98, Elle jurait qu’elle refuserait tout maroquin. Mais ce n’est qu’un exemple...

5 Ancien conseiller regional vert, oui, mais élu sur liste autonome, dans un groupe autonome d’opposition à l’exécutif de Millon, et n’ayant jamais ralenti, au contraire, l’activité militante sur "le terrain" et dans le parti durant le mandat.

Messages

  • j’avoue trés humblement que les querelles de chapelles des verts , camouflées sous une pseudo reflexion sur l’utopie du pouvoir et le pouvoir de l’utopie , me laissent sans voix et sans voie pour les comprendre et agir avec eux !
    claude de toulouse .
    ps : ou du moins avec certains d’entre eux .

  • Salut PF, content de lire ton texte et d’utiliser ce moyen.
    Ta critique du pouvoir a le mérite d’être claire en l’état ; mais elle appelle une suite : comment fonctionnent ces
    contre-pouvoirs, en fait et en droit ? Quel bilan faire des expériences passées, en particulier ds les pays du Nord ? Comment cela s’articule-t-il avec les insdtitutions des États en place, et selon des régimes différents (tiers Monde ou Europe...) ? Bref, t’es obligé d’aller plus loin et de ... développer. Salut, À bientôt. François Vuillez.