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Un ancien communiste à la présidence de Renault
Publie le lundi 19 janvier 2009 par Open-Publishing1 commentaire
Patrick Pelata, directeur général de Renault
Le dauphin de Carlos Ghosn n’y va pas par quatre chemins. A 53 ans, sans maître à penser, cet ancien militant communiste nippophile fonce. Pressé de sortir Renault du tunnel.
En septembre, il était encore inconnu du grand public. Jeudi 23 octobre, il est monté en première ligne. Ce jour-là, le nouveau directeur général de Renault devait présenter les résultats trimestriels de l’entreprise. Mais vu l’état catastrophique du marché automobile, Patrick Pélata n’y va pas par quatre chemins : la production du constructeur sera réduite de 20% au cours des trois derniers mois de 2008. Une mesure forte qui intervient un peu plus d’un mois après la décision de supprimer 6 000 emplois en Europe. Il y a des baptêmes du feu plus reposants. Mais le dauphin de Carlos Ghosn n’aspire pas à la tranquillité. Au moment de prendre la parole, il n’a d’ailleurs pas ressenti d’émotion particulière ni de stress. « Il fallait juste expliquer les choses au mieux », nous a-t-il dit. Il est comme ça, Patrick Pélata. Carré, franc du collier, pas spécialement versé dans l’introspection. Pas du genre à se lamenter ou à contourner un obstacle. La conjoncture est ce qu’elle est. Il y a un boulot à faire et il le fait.
Esprit libre
A 53 ans, Pélata est sorti de l’anonymat quand Ghosn l’a promu en octobre. Petites lunettes d’acier, ce père de quatre filles est un drôle d’oiseau. Un homme que tous ses pairs s’accordent à qualifier de brillant, dynamique, vif, gros bosseur. Lui se revendique d’abord esprit libre. Confirmation de Jean-Marie Dru, PDG de l’agence TBWA, qui a le budget Nissan : « Il est curieux, direct, et il dit ce qu’il pense, ce qui est rare à ce niveau hiérarchique. »
Il y a deux ans, Pélata confie au journal Le Monde vouloir cultiver sa capacité à ne pas penser comme Carlos Ghosn, qu’il est un des rares à tutoyer. « Ce que j’ai voulu dire, c’est que, de par ma culture, j’ai toujours évité d’être un flagorneur. C’est important d’avoir des points de vue différents et de les maintenir avec le bon niveau d’argumentation pour être sûr que tous les cas de figure ont bien été passés au crible. Avec Carlos Ghosn, quand je lui dis que je ne suis vraiment pas d’accord, je crois qu’il m’écoute, et l’inverse est vrai. J’en fais une question de professionnalisme. »
Produit de la méritocratie
Professionnel, Patrick Pélata l’est assurément. Entré chez Renault en 1984, ce X-Ponts connaît l’entreprise sous toutes les coutures, de l’atelier de l’usine de Flins à la direction du plan produits, du process au bureau d’études. Pour autant, son parcours et sa personnalité ne sont pas conformes au portrait-robot classique du grand dirigeant français.
Pélata est un pur produit de la méritocratie républicaine. Fils d’instituteurs, il passe son enfance dans le Cher, à Aubigny-sur-Nère, tout en restant attaché au village des Pujols, en Ariège, qui l’a vu naître. « J’y retournai pour les vacances et je séjournai dans la ferme de mes grands-parents, raconte-t-il. L’Ariège est un pays de longue tradition laïque, de gauche. Ca marque ! »
Au cours de sa scolarité, le jeune Patrick milite, manifeste contre la guerre du Vietnam, célèbre le centenaire de la Commune, mais prend aussi le temps de devenir le plus jeune pilote de France. Après le bac, il va en prépa au lycée parisien Louis-le-Grand, puis intègre Polytechnique. Dans sa promo, il croise Carlos Ghosn. Les deux garçons ne sont pas copains, mais partagent un point commun, celui d’être dispensé de cours militaires. « En étaient exclus les étrangers, dont Carlos Ghosn, qui avait la nationalité libanaise, et les marxistes, dont faisait partie Patrick », raconte son ami Samir Aïta. Pélata adhère à l’Union des étudiants communistes et à l’Unef. A l’X, il sera mis aux arrêts après un rapport au vitriol sur les conditions de travail dans les houillères du Pas-de-Calais. « En vérité, c’était un prétexte, raconte- t-il. On avait organisé une grève, ce qui était interdit, et j’étais considéré comme un agitateur. »
Sensibilité sociale
Patrick Pélata sera membre du Parti communiste français pendant une petite dizaine d’années. Il démissionne en 1982, quelques mois après le coup d’Etat du général Jaruzelski en Pologne. Mais reste proche de la mouvance marxiste. Au milieu des années 1980, il signe à plusieurs reprises dans Société française, la revue économique du PCF, sous le pseudonyme de Patrick O’Hara. Chez Renault, en revanche, il ne milite pas, ce qui lui vaut la méfiance des instances syndicales. « Son histoire personnelle plaide en faveur d’une sensibilité sociale plus marquée que chez d’autres dirigeants, indique Pierre Nicolas, délégué CGT au Technocentre de Guyancourt. Mais, pour le moment, elle ne s’est pas manifestée. »
Aujourd’hui, le dauphin de Ghosn ne sait plus trop ce qui distingue la gauche de la droite. « J’ai visité les plus grandes usines automobiles russes, roumaines, chinoises. J’ai vu ce qu’étaient les régimes qui avaient oublié la notion de marché. Je pense que j’ai mis plus de temps que beaucoup de gens à comprendre ce qu’est le marché, mais peut- être aussi l’ai-je mieux compris. C’est un moyen de mettre en relation de la meilleure façon possible les besoins des clients et un outil de production. Les entreprises doivent être pilotées pour faire ça bien. »
Et, quand ça va mal, il faut agir. La crise actuelle, Pélata la déplore, mais elle est là. Alors, les suppressions d’emplois, il les assume. « Si nous ne les faisions pas, nous mettrions Renault en péril. Avec des coûts d’exploitation plus élevés que nos coûts de production, ce n’est pas tenable. On peut nier le problème et partir dans un scénario à la General Motors. Mais si on ne le nie pas, on doit faire face. » Le directeur général est un rationnel. Sans être un ayatollah du marché. Il dit, par exemple, ne pas être arc-bouté sur un objectif de marge opérationnelle. « Le marché ne peut pas tout faire. J’ai toujours été impressionné par le gouvernement chinois, qui sait être dirigiste tout en étant capable de faire jouer le marché de façon dynamique. »
Interlocuteur redouté
Le fils d’instituteurs reste imprégné par ses années militantes. Elles ont fait de lui un interlocuteur redouté, car difficile à balader. Pas de place pour l’à-peu-près. « On entre dans son bureau avec des questions, on ressort avec un axe de travail », indique Béatrice Foucher, directrice de produit. « Pélata a un côté dogmatique, et c’est très dur de le faire changer d’avis, dit un ancien. Il détecte immédiatement les faiblesses dans une présentation. Il peut être alors un peu brutal, quitte à le regretter ensuite. Quand il est satisfait, il distribue les bons points comme un maître d’école. » Le bras droit de Ghosn est hyper- actif. « Il suscite l’échange, pose beaucoup de questions, mais, comme il est très rapide et qu’il a parfois tous les éléments en main, il lui arrive de filer directement à la conclusion avant que tous les intervenants aient eu le temps de s’exprimer », indique Bruno Ancelin, directeur du programme Mégane. Pour autant, le numéro deux de Renault ne se prend pas pour une icône. Rien à voir avec Ghosn, où chaque froncement de sourcils doit être interprété. Pélata a le tutoiement facile, et reconnaît ses erreurs. « En Iran, je croyais sincèrement que nous produirions 100 000 véhicules cette année, dit-il. Nous en sortirons environ 60 000. »
Esprit analytique
L’homme n’a pas de maître à penser. Ses opinions, il se les forge lui- même. Quand Renault fut victime d’une série de suicides en 2007, il mena sa propre enquête. « Le stress est partout, dit-il. La complexité est anxiogène, et Renault est une entreprise trop complexe. Les salariés doivent savoir où l’on va. La cohérence dans la durée apporte plus de sérénité. »
Pélata aime regarder le spectre dans son ensemble. Un trait de caractère qui lui vient de son passé de chercheur. Au début des années 1980, il écrit une thèse sur l’arrivée du fordisme en France, publie un rapport sur l’industrialisation de la Basse- Normandie, sur l’automatisation dans les usines automobiles. Il rencontre ouvriers, patrons, syndicalistes, ingénieurs. « J’ai pu comprendre comment les gens voyaient une même réalité différemment », dit-il. Ce côté analytique constitue un trait majeur de sa personnalité, une des grandes différences avec Ghosn, dont l’esprit est plus synthétique.
Lorsqu’en 1998 ce dernier cherche des volontaires pour partir à Tokyo redresser Nissan, Pélata se positionne immédiatement. Il est féru de culture japonaise. Le cinéma, avec les classiques Ozu, Mizoguchi, Kurosawa. Et la littérature (il lit en ce moment Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, de Haruki Murakami). Il connaît aussi le pays. Il y était allé au début de sa carrière et en était revenu frustré de n’avoir pu appliquer dans les usines Renault les process de qualité qu’il avait vus sur place. « Parmi les Français partis chez Nissan, il était le plus ouvert, témoigne Serge Airaudi, consultant qui les a épaulés à Tokyo. Il a tout de suite compris que, dans la culture nippone, réaliser des ventes et des profits n’est pas un but, mais un moyen de pérenniser l’entreprise. »
Tropisme nippon
Avec ses interlocuteurs japonais, Pélata la joue subtil. Il parvient même à rester zen, lui qui manifeste d’habitude des tics d’énervement quand il trouve que les discussions s’éternisent. « Il a joué le système Nissan de l’intérieur pour le faire avancer, indique l’un des « Renault boys » qui l’a accompagné. Il a par exemple recherché des quick wins [objectifs à court terme] en lançant des modèles différenciants, comme la 350 Z ou le crossover Murano, redonnant un sentiment de fierté aux salariés. Les Japonais ont alors compris que ce gars-là n’était pas un mercenaire et ils l’ont suivi, comme ils avaient suivi MacArthur au lendemain de la guerre. »
Pour Pélata, le séjour dans l’Archipel agit comme un révélateur. Pas seulement parce qu’il y rencontre sa seconde femme, la publicitaire Ayami Nakao, mais parce que le redressement de Nissan le propulse aux premières loges. De retour chez Renault en 2005, il a d’ailleurs du mal à se défaire de son tropisme nippon. « Quand j’étais chez Nissan » reste une de ses expressions favorites. A tel point que ses collaborateurs l’ont mis à l’amende chaque fois qu’il prononce la phrase fatale.
Mais, à Boulogne, l’esprit de Nissan ne peut pas tout. En charge de la direction du plan, produit, programmes, ce qui lui vaut le surnom de 5 P, Patrick Pélata ne parvient pas à relancer la machine. Le modèle emblématique de Renault, la Laguna, ne s’impose pas. Le seul vrai succès du groupe de ces dernières années, la Logan, est un véhicule qui porte la signature de Louis Schweitzer.
Promotion d’urgence
Le 1er septembre, Pélata est nommé à la tête de la région Europe. Dans le métier, beaucoup y voient une disgrâce. Ce qui sera démenti six semaines après, quand il sera promu directeur général. « Que ce soit moi ou un autre, il fallait créer ce poste, dit-il. Car, depuis un mois, un mois et demi, l’entreprise est plus réactive, la cadence des prises de décision s’accélère. Toutes les deux ou trois heures, vous avez un fournisseur qui dit : je ne livre pas les pièces si vous ne payez pas comptant. »
Conséquence de cette nomination, Patrick Pélata échange beaucoup plus avec Carlos Ghosn. Ses journées de travail qui commencent à 7 heures et se terminent à 22 heures, se sont encore allongées. Un cadeau, la direction générale de Renault ? A cette question, Patrick Pélata répond avec un sourire sar- donique : « Peut-être pas. Mais Carlos Ghosn n’est pas là pour faire des cadeaux. »
UNE ROUTE BIEN TRACEE
24 août 1955
Naissance aux Pujols (Ariège).
1974
Polytechnique.
1981
Chercheur à l’Ecole nationale des ponts et chaussée.
1984
Entrée chez Renault. Chef d’atelier à l’usine de Flins.
1998
Directeur du développement de l’ingénierie véhicule.
1999
Directeur général adjoint de Nissan.1er sept.
2008
Directeur de la région Europe de Renault. 13 oct.
2008
Directeur général de Renault.
Ce qu’ils disent de lui
Pierre Loing, directeur marketing de Nissan : « Il n’est pas comme la plupart des ingénieurs qui pensent que c’est uniquement la machine qui fait le succès. Lui, il est également féru de sciences sociales et s’intéresse aux aspects qualitatifs. » Pierre Veltz, économiste : « Il aime décortiquer les problèmes. Il fait partie des gens qui pensent que l’on peut changer les choses. » Didier Leroy, ancien de Renault, directeur de l’usine Toyota à Valenciennes : « Il sait où il veut aller et rien ne l’arrête. » Bruno Ancelin, directeur du programme Mégane : « Il a un oeil laser. Vous lui présentez un dossier de 60 diapos, il détecte celle qui pose problème. » Samir Aïta, responsable de la version arabe du Monde diplomatique : « Il a fêté son second mariage en 2002 sur un Bateau-Mouche. D’un côté, il y avait un groupe d’Américains, amis de sa femme. De l’autre, ses copains « gauchistes ». Et à un moment, on a chanté L’Internationale. » Pierre-Alain de Smedt, ex-directeur général adjoint de Renault : « Patrick est un homme de produits. Il a l’auto dans les tripes, de l’essence dans les veines. »
IL AIME
Le judo.
Le ski de randonnée.
Léonard de Vinci.
La sociologie.
IL N’AIME PAS
La flagornerie.
Le théâtre nô.
Les maoïstes.
La démagogie.
Nicolas Stiel
Messages
1. Un ancien communiste à la présidence de Renault, 20 janvier 2009, 22:42
Un dingue en résumé