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Keynes for ever ?
« …il est utile de comprendre que rien ne réclame que nous réinventions la roue du commerce. Keynes est déjà passé par là… »
L’opinion ainsi émise en conclusion par Susan George à son article paru dans le Diplo de janvier 2007 laisse entendre que l’autre monde possible a déjà été imaginé par Keynes dès 1933/34 dans sa « théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie » et surtout de 1942 à 46 dans le positionnement de la partie Britannique lors du bras de fer de Bretton Woods.
De manière succincte, les Etats-Unis défendaient l’idée d’un commerce mondial libre pratiqué avec les monnaies nationales qui inspiraient confiance sur le moment, le dollar US et en queues de comètes la Livre Sterling et le Franc.
Consciente de ne pouvoir maintenir le prestige et le leadership planétaire de la Livre en perte d’influence depuis la première guerre mondiale, la délégation Britannique tenta sous couvert d’universalité d’instaurer une monnaie commune reconnue pour les échanges internationaux, le Bancor, dans le cadre d’une OIC aux statuts plus démocratiques que le tandem FMI-GATT, avec un instrument monétaire l’UCI (Banque Internationale limitant les déficits et les excédents par un jeu d’intérêts positifs et négatifs).
Non corrélé à l’or, le Bancor ne pouvait que hausser le menton face au dollar, seule monnaie ayant encore une parité avec le métal et fleuron d’une économie en bon ordre de marche, mais pouvait recevoir l’assentiment du reste du monde.
On connaît l’histoire, FMI, Banque Mondiale et GATT, engendrant excédents puis déficits américains et dette du Sud et des mal lotis du Nord.
L’option Britannique mise en œuvre depuis 1946 aurait-elle fondamentalement modifié l’état du monde, ses déséquilibres ?
Répondre à la question permettra aussi de mesurer l’opportunité de lancer aujourd’hui les forces altermondialistes à l’assaut de la citadelle peut-être pour n’y planter qu’un drapeau.
Les vertus prêtées à l’OIC par Suzan George dans les domaines de la démocratie et de l’humanisme doivent être relativisées, comme instruments de promotion. En effet, l’auteure nous dit : « Le plein-emploi, le progrès social et le développement comptent au nombre de ses objectifs. Tout le deuxième chapitre de la charte traite des moyens de prévenir le chômage et le sous-emploi. Contrairement à l’OMC, muette sur ce sujet, l’OIC met l’accent sur des normes de travail équitables et sur l’amélioration des salaires. »
On peut, avec l’expérience, avoir perdu de son ingénuité et se reporter aux statuts du FMI (en tandem avec le GATT puis l’OMC) alinéas 2 et 5 de l’article 1 :
« …faciliter l’expansion et l’accroissement harmonieux du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et aux développement des ressources productives de tous les membres… »
« …donner confiance aux membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement à leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de corriger les déséquilibres de leur balance des paiements sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité nationale ou internationale. » [M. Drouin]
Le traité de Rome, celui de Maastricht n’en font pas moins pour le même résultat, l’essentiel résidant dans les politiques menées pour le compte de la sphère des affaires.
Sur le fond, il faut examiner le terme des échanges, quelque soit le type de monnaie utilisée, Bancor ou monnaie dominante, la question reste celle du rapport des valeurs réelles échangées.
On peut avoir avec le Bancor, le meilleur des équilibres comptables entre le monde industrialisé du nord et pays pauvres selon le vœu de Keynes, sans que pour autant les déséquilibres fondamentaux ne soient modifiés : on continuera d’échanger une heure de travail du nord contre dix, vingt ou trente du sud.
On pourrait se voir rétorquer, que telle est la voie de la transmission des gains de productivité… pourtant le rapport reste du même ordre lorsque le déplacement de technologie précède la production et son retour dans le cadre des délocalisations !
Il n’échappera à personne que l’un des rêves essentiels de l’altermondialisme, réduire et supprimer les écarts de traitement entre humains selon leur localisation ne peut être réalisé par ce moyen.
Le mécanisme prévu par Keynes, de « taxation » des excédents et déficits par l’organisme de tutelle, l’UCI, associé aux possibilités de faire varier les parités des monnaies nationales par rapport au Bancor, donc entre elles, par le jeu des dévaluations-réévaluations aurait constitué une incitation pour les pays pauvres à augmenter leurs exportations au détriment de la satisfaction de leurs besoins, au même titre que les pressions effectuées pour le remboursement de la dette dans le cadre actuel de la monnaie dominante.
La dette s’étant constituée somme toute en échange de quelque volume de produits (et d’intérêts), la pression politique pour son annulation pourrait conduire à un meilleur bilan que ne l’aurait permis l’étalon de Keynes, mais il ne faut pas en encenser pour autant Messieurs White et Truman.
L’intérêt de la proposition Britannique était ailleurs, après avoir dominé le monde grâce à une révolution industrielle précoce puis un réseau commercial dense, l’Angleterre, en raison du décollage industriel américain et de deux guerres victorieuses mais éprouvantes (les résultats étaient déjà patents) ne pouvait plus prétendre aux premiers rôles. La solution la plus avantageuse, consistait donc à partager le leadership avec le pays dominant en laissant aux autres puissances moyennes, France en particulier, la possibilité par leur position par rapport au Bancor de participer au festin selon leurs performances.
Il est certain que dans la sphère des pays industrialisés le Bancor par son universalité relative aurait atténué le privilège des Etats-Unis à financer leurs déficits commerciaux et budgétaires.
Cependant, le projet laissant une place à la négociation permanente des parités nationales avec le Bancor, la route des bons du Trésor américains n’aurait pas été coupée tant la domination tend à perpétuer la confiance des spéculateurs.
Mais rien n’aurait été différent quant aux termes de l’échange avec les déshérités de la planète.
Il n’est donc pas inutile de poursuivre la réflexion économique qui il est vrai n’a rien encore produit de global qui puisse rendre l’autre monde possible.