Accueil > Un conte du Jour de l’An 2009

Un conte du Jour de l’An 2009

Publie le mercredi 31 décembre 2008 par Open-Publishing

La juste et l’enfant

Yvan était né en 1936 dans une famille immigrée de confession juive qui avait fuit l’Allemagne après l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

C’était un garçonnet aux cheveux bruns et aux yeux noisette, que ses parents avaient fait baptiser selon le rite protestant pour lui donner plus de chance dans un avenir qui leur semblait incertain.

Quand la guerre éclata en France, Yvan fut confié à des amis parisiens qui possédaient une maison et une ferme dans la Creuse, loin de la capitale, des alertes à la bombe et des restrictions alimentaires.

Yvan fut très triste de quitter sa mère qu’il adorait et son père qu’il vénérait, mais l’idée de faire un grand voyage avec la petite Françoise, sa camarade de jeux, atténua un peu la souffrance de la séparation. Il partit sur les routes de France, dans la vieille voiture surchargée de bagages et de souvenirs qu’on ne peut délaisser même en temps de guerre…

Yvan, Françoise, sa maman, sa grand-mère, chacun et chacune casés tant bien que mal, ne laissaient que peu de place au grand-père qui conduisait. La Peugeot brinqueballait, soufflait dans les cotes et paraissait dévaler les pentes. La route fut longue et fatigante. Ils croisèrent des cohortes de français et de françaises de tous âges qui marchaient en longues files, baluchons sur l’épaule, fuyant vers des contrées moins dangereuses.

Au village, le petit Yvan fit la connaissance de Judith, la fille du fermier qui gérait la propriété dans laquelle il logeait. La jeune fille se prit d’affection pour cet enfant sensible et intelligent, que cet univers nouveau intriguait. Elle lui fit découvrir les animaux, lui apprit à traire les vaches et à boire leur lait crémeux encore chaud, à donner le grain aux poules, à changer la litière des lapins.

Françoise et Yvan dégustaient le pain rond énorme cuit dans le vieux four de la ferme, les salades et les légumes du jardin. Un vrai festin et un festival de senteurs qu’Yvan ne connaissait pas !

Mais la vie n’était pas aussi facile qu’elle pouvait paraître aux enfants. Les grandes personnes devaient courir parfois bien loin pour trouver des œufs, des pommes de terre, des légumes et des fruits. Les déplacements s’effectuaient à vélos à cause de la pénurie d’essence ; aussi la vieille Peugeot se reposait-elle au garage, bien au chaud sous ses couvertures.

Les enfants n’allaient pas à l’école ; la maman de Françoise s’était transformée en institutrice pour leur enseigner quelques rudiments susceptibles de développer leur esprit et d’attiser leur curiosité.

Et les jours succédèrent aux jours, et les mois aux mois…

Les nouvelles de Paris étaient rares. Les parents d’Yvan allaient bien lui disait-on ; ils pensaient beaucoup à lui, espéraient qu’il était sage et l’embrassaient très fort. Yvan regrettait beaucoup de ne pas les revoir. On lui expliquait que c’était la guerre et qu’il avait de la chance d’être dans un lieu protégé de ses violences. Même s’il ne savait pas très bien en quoi cela consistait, il se taisait et essuyait une larme en silence.

C’est dans ces moments que Judith intervenait. Elle avait toujours une friandise qu’elle sortait de sa poche ; une promenade à proposer, un oiseau à aller écouter, une fleur à découvrir, une rivière où gambader avec des myriades de petits poissons qui se poursuivaient dans l’eau claire. Et Yvan retrouvait son rire et son insouciance d’enfant !

Judith acceptait la vie difficile de la campagne. Son amour des animaux et de la nature la rendait sereine, confiante en l’avenir et souriante dans l’adversité. Elle n’avait pas été longtemps à l’école, mais elle possédait une philosophie de la vie qui rayonnait autour d’elle. Sa richesse de cœur irradiait et Yvan en profitait. Il était son chouchou et il le savait !

On finissait par oublier que la guerre était toute proche, jusqu’au jour où une rumeur vint briser cette belle quiétude : ‘les Allemands arrivent ; ils sont dans le village voisin’. C’est un gamin à vélo qui a donné l’information et comme d’un coup de baguette magique, tout se transforme instantanément. Les femmes du village s’activent ; les vieillards prodiguent des conseils ; les enfants rentrent dans les habitations et Yvan est conduit rapidement dans la cachette du grenier de Judith, derrière la grande armoire ancienne. Le petit garçon doit se tenir tranquille, sans bouger, sans faire de bruit, jusqu’à nouvel ordre. Il lui faut obéir sans discuter !

Les Allemands sont là un quart d’heure plus tard. Il s’agit de soldats isolés. Personne ne sait où se trouvent leurs compagnons. Ils paraissent corrects, mais les femmes du village ne leur font pas confiance. Ils sont jeunes, en pleine force, et puis il y a le petit Yvan qu’ils ne doivent absolument pas découvrir.

Ils entrent dans la ferme de Judith, la plus proche, et demandent de l’eau ou un peu de vin. Judith les sert comme une automate, le regard baissé, obsédée par la pensée d’Yvan. Ils ne devinent pas la frayeur qui accélère les battements de son cœur et les prières muettes qu’elle fait pour que le petit ne manifeste pas sa présence...

Les soldats partirent enfin en remerciant Judith et personne ne les revit jamais. Yvan sortit du grenier sans comprendre pourquoi on l’y avait consigné. On lui expliqua la vérité lorsque Judith fut désignée comme « Juste ».

****

Bien des années plus tard, Yvan était devenu un homme respectable et respecté. C’est à cette période qu’il décida d’aller vivre en Israël.

Judith, qui avait suivi la carrière brillante de son protégé, se réjouit de ce qui lui semblait être une excellente nouvelle, sans rien soupçonner des problèmes auxquels il allait être confronté.

****

La guerre de Gaza

Yvan pensait que la Palestine appartenait depuis des siècles au « peuple juif », ainsi qu’il l’avait lu dans les récits bibliques, et que l’existence de l’Etat d’Israël dans cette partie du monde était justifiée par ces écrits anciens.

On pourrait se demander comment une personne athée comme Yvan, acceptait sans rechigner les assertions d’un texte religieux, inventé et rédigé par quelques hommes érudits ? Un historien israélien ne venait-il pas de démontrer l’inexistence d’un « peuple juif » et de déconstruire, de ce fait, le mythe du « peuple élu » ?

Comment dans cette optique, faire correspondre la nécessité d’une occupation de la Palestine par les croyants de confession juive, avec la réalité rationnelle qui prouve que les « juifs » n’ont aucun droit ancestral sur cette terre ? En s’appuyant sur le texte de 1947 des Nations Unies sur le partage de la Palestine en 2 Etats, et en le respectant !

Or c’est en mettant en exergue le crime d’holocauste rebaptisé « Shoa », que l’Etat d’Israël s’octroya tous les droits depuis 1948 : il s’implanta, se battit, s’agrandit, expulsa, confisqua, démolit, rasa, occupa, colonisa, détourna, clôtura, enferma, opprima, affama, bombarda, et tua des familles entières, membres du peuple palestinien qui ne lui avait jamais rien fait.

Yvan découvrit toutes les horreurs dont les enfants ou petits-enfants de déportés étaient capables. Il écouta les explications et tenta d’analyser avec objectivité les thèses des sionistes. En vain ! Car rien ne permettait de cautionner le comportement de la « démocratie » israélienne qui bafouait toutes les Résolutions de l’ONU et la 4ème Convention de Genève, construisait le mur de la Honte et de l’Apartheid malgré l’interdiction de la CPI, poursuivait la colonisation en dépit de tous les accords signés avec la partie adverse, etc.

Et comment expliquer qu’après des mois de blocus de la Bande de Gaza, Israël extermine dans une guerre sans merci la population affamée et affaiblie, se comportant comme les gouvernements les plus réactionnaires qu’il a jadis dénoncés ?

Yvan se rappelait quand ses parents étaient rentrés des camps, amaigris mais si heureux d’avoir survécu et de le revoir. Ils lui avaient raconté l’horreur. Les bourreaux nazis avaient été poursuivis et punis ; pas tous, pas assez, mais certains au moins ! Il lui semblait pourtant retrouver en Israël les sentiments qu’il imaginait n’appartenir qu’aux régimes fascistes. L’histoire ne donnait-elle aucune leçon aux humains ?

Ou ne serait-ce pas plutôt l’impunité dont ce pays bénéficiait depuis des décennies de la part des Occidentaux, qui laissait le champ libre au déversement de sa haine des Arabes et aux crimes qu’il commettait à leur encontre. D’ailleurs l’UE en « rehaussant » les relations de coopération avec cet Etat, avait une grande part de responsabilité dans la recrudescence actuelle de ses crimes de guerre.

Déçu et heurté par ce constat amer, Yvan décida de rentrer définitivement dans son pays, la France, pour retrouver sa maison, sa famille, ses amis et la quiétude d’une nation en paix.