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Une brève histoire du sionisme politique(2)

Publie le samedi 24 février 2007 par Open-Publishing

II. Recherche de protecteurs

Le congrès de Bâle

L’Empire ottoman croule sous une dette publique colossale. Une situation économique telle, que la Turquie devient aux yeux de l’Europe, au tournant du siècle, " l’homme malade ". A partir de 1897, le comité d’action né du congrès de Bâle (29/08/97) avec la détermination sans faille de Herzl, n’aura de cesse que d’utiliser cette situation désastreuse afin d’atteindre son but.

Les tractations turques et allemandes

Et c’est tout naturellement que la commission sioniste, chargée de mener les tractations en vue de l’acquisition de la Palestine, s’atèle à convaincre, par l’intermédiaire de diplomates occidentaux, le Sultan turc du bien fondé des revendications sionistes et de tout l’intérêt financier qu’il peut en tirer. Mais le Sultan, tout en acceptant de favoriser l’immigration juive et l’achat de terres palestiniennes, refuse toute autonomie juive. D’ailleurs, l’implantation de colonies de juifs, originaires surtout de Russie, est déjà prise en charge, en accord avec le gouvernement turc, par des organisations philanthropiques juives, comme la " Jewich Colonisation Association " fondée à Paris en 1891 et financée par le Banquier Edmond Rothschild. L’immigration est dénoncée par les représentants arabes au parlement turc. Cela ne décourage pas pour autant le mouvement sioniste qui revient à la charge pour tenter de persuader le Sultan Abdul-Hamid de l’octroi d’une concession en Palestine, en Mésopotamie et pourquoi pas à Chypre en échange du financement de la dette publique et de l’investissement dans l’économie ottomane.
Le Duc de Bade, (oncle de Guillaume II, Empereur d’Allemagne) est l’intermédiaire entre celui-ci et Herzl pour intercéder auprès du Sultan. Dans une lettre datée du 22 octobre 1897, le Kaiser est sollicité par Herzl en ces termes : " ... Notre mouvement doit se battre amèrement avec les partis révolutionnaires qui voient en lui à juste titre un adversaire. Nous avons besoin d’un encouragement, même si celui-ci doit être gardé secret. Je place tous mes espoirs dans le Kaiser, qui regarde au-delà des mers, dans une vision aussi vaste que le monde... " (Manor, Yohanan. Naissance du sionisme politique. p 137)

La rencontre entre Herzl et le Kaiser a lieu le 19 octobre 1898 à Constantinople. Herzl revendique une compagnie foncière juive sous protection allemande. Fin juriste et homme politique de talent, Herzl est conscient que les actions philanthropiques en faveur de l’immigration juive relèvent du droit privé et ce n’est pas le but politique du sionisme tel que le défini Herzl. L’objectif principal du dirigeant sioniste, est l’obtention d’une reconnaissance officielle par une puissance sous une quelconque forme, par exemple une charte ou une concession. Une telle reconnaissance serait la preuve que le problème juif est politique et non humanitaire. Les tractations avec la " Sublime Porte " et l’Allemagne sont un échec. En 1903, le ministre de l’intérieur, l’antisémite Plehve, organisateur de pogroms, est également approché à deux reprises par Herzl. Ce dernier lui tint les propos suivants : " ...Aidez-nous à toucher terres plus vite et la révolte sera finie. Il en sera de même de la défection vers les rangs socialistes... " (Laqueur, W. Histoire du sionisme, p.191.).
Trente ans plus tard, Weizman dirigeant allemand sioniste fut reçu en audience par Mussolini pour l’aider dans sa tâche.
Dans le même temps le comité d’action se tourne vers la puissance britannique. Une règle est de mise dans toutes ces tractations : le secret.

L’allié britannique

L’Angleterre du Premier ministre anglais, Lord Salisbury, trop occupée par les développements de la guerre des Boers en Afrique du Sud, ne donne pas suite aux sollicitations du mouvement sioniste.
La persécution des juifs en Roumanie et en Russie, devenue intolérable, entraînera une forte immigration juive vers l’Angleterre ce qui poussera le gouvernement britannique à se pencher sur la question juive telle qu’elle est posée par le mouvement sioniste. Herzl fut invité le 22 mai 1902 par le gouvernement anglais à en débattre. Chamberlain alors secrétaire d’Etat aux colonies écarte " la solution Chypre " tout en étant favorable à une implantation au Sinaï et dans l’actuelle Gaza. Mais le gouvernement égyptien refuse toute concession échappant à son autorité. Ce nouvel échec du mouvement sioniste survient après l’atroce pogrom de Kichinev du 6 au 8 avril 1903. La volonté de stopper l’immigration juive et peut être des considérations d’ordre humanitaire décident Chamberlain à proposer au mouvement sioniste une concession dans l’Est- africain. A la veille de l’ouverture du 6 ème congrès (14 août 1903), Herzl reçoit une lettre de la division « Protectorat au Foreign Office » où il est fait mention de " ... La concession d’une vaste superficie de terres, la nomination d’un fonctionnaire juif comme chef de l’administration locale, toute latitude pour ce qui touche à la législation municipale et à l’administration des affaires religieuses... " (Manor, Yohanan. Naissance du sionisme politique. p 155).

Le grand homme d’affaire britannique et colonialiste connu Cécil Rhodes dont le nom donna celui de « Rhodésie », y fut sans doute pour quelque chose. Hypothèse non dénuée de sens quand on prend connaissance de la lettre envoyée le 11 janvier 1902 par Herzl et qui l’interpelle sans détour : ". Je vous en prie, envoyez—moi un texte disant que vous avez examiné mon programme et que vous l’approuvez. Vous-vous demanderez pourquoi je m’adresse à vous, Monsieur Rhodes, C’est parce que mon programme est un programme colonial... " (HERZL, "Tagebuch", Vol. 3, p 105). La proposition de Chamberlain marque une nouvelle étape du sionisme politique. Herzl a gagné une étape dans sa stratégie d’inscrire le sionisme comme mouvement politique sur la scène internationale. La coopération anglaise sera encore plus bénéfique 19 ans plus tard.

La nature coloniale du sionisme politique

Le mouvement sioniste s’inscrit dans la mission civilisationnelle et coloniale de l’Europe. En effet, Herzl pense l’Etat juif comme un Etat tampon entre l’Orient et l’Occident : " Pour l’Europe nous constituerons là-bas un morceau du rempart contre l’Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie " (HERZL, Théodor. L’Etat juif trad.française.Lipschutz Paris 1926 p.95.)
La solution " Ouganda " entraînera une crise dans le mouvement sioniste. Au 6 ème congrès deux tendances s’affrontent alors : les " sionistes sans Sion "ou " les Ougandistes ", dont le porte-parole est I.Zangwill, et les " sionistes de Sion " majoritairement originaires de Russie, menés par Menachem Ussishkin.

Le mouvement sioniste est au bord de l’éclatement et il faudra toute l’habileté de Herzl pour dénouer la crise. Le congrès décide avec 295 contre 178 l’envoi d’une commission d’enquête en Ouganda. Mais Herzl n’y survivra pas. Il meurt le 3 juillet 1904. Au 7 ème congrès, réuni à Bâle du 21 au 22 août 1905, le chef de file des " Ougandais " Zangwill quitte l’organisation sioniste et fonde " la Kew Territorial Organisation " avec pour programme : « un territoire pour les juifs qui ne veulent ou ne peuvent pas rester dans les pays où ils vivent ». Le 7 ème congrès apaisera la crise ougandaise en prenant une position au dosage bien étudié :

"...un foyer reconnu publiquement et garanti juridiquement et repousse toute activité de colonisation hors de la Palestine et de ses contrées avoisinantes, c’est à dire la Mésopotamie ou la Syrie du Nord... " (Manor, Yohanan. Naissance du sionisme politique. p 170)
" Il est intéressant de noter que les juifs de Palestine dans leur grande majorité furent des ougandais ". (Koestler, Arthur.Ed Ciré/poche. Analyse d’un miracle. p.70)
Sous la direction de David Wolffson, le mouvement sioniste entame de nouvelles démarches en direction des puissances qui refusèrent d’inscrire le problème de l’émigration à l’ordre du jour de la 2 ème conférence de la Paix de la Haye de 1906 ou de réunir une conférence internationale consacrée à cette question.
De 1907 à 1909, le mouvement sioniste connaît alors une période d’incertitude et de flottement. Début 1907, la grave crise financière turque encourage Wolffson à entamer des démarches auprès de la Turquie afin « de vendre » les propositions suivantes :

• Le gouvernement turc autorise l’immigration de 50.000 familles juives de Russie et de Roumanie dans les provinces de Syrie, de Beyrouth et dans Jérusalem (les lieux saints exclus) pendant 25 ans. Le gouvernement turc met à la disposition des immigrants pour y fonder des colonies agricoles.

• Ces immigrants seront des sujets ottomans jouissant des droits et des devoirs de tout citoyen et devant accomplir leur service militaire. (D’après Yohanan Manor, la population juive de Jaffa et de Haïfa partie pratiquement de zéro atteint respectivement, en 1907, 800 et 3000 habitants.)

• En échange de ces droits, le mouvement sioniste mettra à la disposition du Sultan la somme de 50 millions de Francs.

Moins d’un an plus tard, " les Jeunes Turcs ", (officiers de l’armée et opposants politiques turcs dont faisait partie Mustapha Kemal), destituent Abdul Hamid et instaurent un régime constitutionnel. Cette nouvelle situation donne espoir au mouvement sioniste. Mais cet espoir est de courte durée car, redoutant le nationalisme arabe, le nouveau pouvoir turc met fin à cette alliance judéo-turque.

Durant cette période, quatre organisations sionistes sont présentes à Istanbul, " l’Alliance Israélite Universelle ", le " Hilfsverein ", la " Jew colonisation Association " et la " Jew Territorial Association ". Chacune négocie pour elle-même et, afin de gagner la confiance du gouvernement turc, aucune ne déclare qu’elle est sioniste. A partir de 1908, ayant compris que l’Empire ottoman n’échappera pas à la dislocation, le mouvement sioniste s’adapte alors aux différents environnements nationaux, tenant compte des intérêts des différentes puissances. La guerre des Balkans puis la grande guerre approche.
Aussi en Allemagne est créé un " comité pour la libération des juifs de Russie " soutenu par le gouvernement allemand. Au contraire, en Angleterre vers 1908, avec Weisman, les sionistes se déclarent en faveur de l’Entente Cordiale France-Angleterre. Aux Etats-Unis, les sionistes adoptent la position américaine de neutralité.

En pleine guerre des Balkans, Ben Gourion s’installe à Constantinople où il fait ses études de droits. Son objectif est de devenir député au parlement turc et d’obtenir du gouvernement turc une autonomie juive dans le cadre de l’Empire. Début 1913, il milite avec Ben Zvi pour créer un corps de volontaires juifs dans les rangs de l’armée ottomane. Ce sont les Turcs eux-mêmes qui mettent fin aux espoirs que Ben Gourion avait placé en eux après avoir pris connaissance de ses liens avec les sionistes britanniques. Il est arrêté, emprisonné puis expulsé. (Thénes, Catherine. " Anti-impérialistes et Tiers mondistes ", p 130).