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Une manifestation des travailleurs de Bagdad

Publie le mardi 3 mars 2009 par Open-Publishing

Nous publions un article qui date de 6 mois. Mais il offre l’intérêt de décrire le contexte dans lequel nos camarades iraquiens mènent la bataille syndicale. La question sociale demeure totalement évacuée par les médias bourgeois. Notre organisation continue d’appeler à soutenir les syndicalistes de la FCOSI (FWCUI) dans leur lutte contre l’occupation impérialiste, contre la bourgeoisie irakienne et contre toutes les forces de communautarisme.

Article de Daniel W. Smith (traduction CSR)

publié sur le site Iraqslogger.com, le 19 octobre 2008-

Le dimanche 19 octobre au matin, une manifestation organisée par les salariés du Ministère de l’industrie et des mines et les leaders syndicaux a eu lieu à la place Firdos, dans le centre de Bagdad. Ce lieu, connu en Occident car c’est là que la statue de Sadam Hussein fut abattue après l’invasion de 2003, était remplie de manifestants et de banderoles, et animée par des discours déterminés. Dans le même temps, des manifestations semblables avaient lieu à Nadjaf, Kut et Nassiryia.

Les salariés du Ministère de l’industrie et des mines, qui se charge de la planification et du développement de l’industrie irakienne, ont lutté contre une baisse de 30% de leurs salaires, mise en place le 1er juillet. Ce décret, qui fut instauré conjointement avec le Ministère des finances sous la pression du FMI, selon le ministre Faouzi el-Hariri, a été retiré face à l’ampleur des protestations à travers le pays. Cependant la question de la ponction sur les salaires des 4 mois et demi précédents n’a pas été résolue.

A 11 heures, plusieurs centaines de manifestants envahirent les rues, entamant un parcours de 2,4 km se terminant devant le ministère, avec l’espoir de rencontrer le ministre el-Hariri, auquel les manifestants reprochent d’avoir ignoré trop longtemps leurs demandes de résolution du conflit. « Puisqu’il ne veut pas nous parler, nous allons nous imposer à lui », a déclaré Adnan Abdel, un ingénieur. Selon un autre manifestant : « Nous n’obtenons rien, alors qu’ils s’enrichissent grâce à la corruption ».

La manifestation suivit une voie de la rue Sa’dun, dans le centre-ville, reprenant les slogans scandés par leurs meneurs dans des mégaphones. En tête de cortège, on portait 2 cercueils de fortune, histoire de rappeler à quel point de telles réductions de revenu sont dramatiques dans une situation sociale déjà dégradée. Une banderole signalait que le millier de familles touchées par cette mesure voteront aux prochaines élections (les élections provinciales ont eu lieu depuis, le 31 janvier). Les passants et les boutiquiers regardaient passer la manifestation.

Après environ 10 minutes, un véhicule blindé de l’armée, avec une tourelle équipée d’un canon, se posta devant la foule, bloquant le passage. Depuis que des murets de bétons coupent en deux la plupart des artères de Bagdad, il est plus facile de restreindre les déplacements d’une foule. Cette fois-ci les soldats avaient en plus choisi un endroit où des palettes de briques étaient alignées sur le trottoir. Les manifestants étaient encerclés par des véhicules et des gardes, les fusils en l’air.

Malgré les ordres de faire demi-tour, les manifestants restèrent, continuant à scander leurs slogans et faisant face aux soldats. Un homme fut frappé sur le bras à coup de crosse de fusil. Les journalistes qui prenaient des photos se virent intimer l’ordre d’arrêter. J’ai baissé mon appareil photo un instant, mais lorsqu’un soldat sembla s’avancer pour s’en emparer, j’ai fait semblant de ne pas le voir, et je me suis volatilisé dans la foule.

De part et d’autre personne ne voulait reculer, et tout le monde hurlait. La queue de la manifestation continuait à avancer, et la foule devint très dense. Un soldat tenta de prendre le micro et l’ampli d’un des orateurs, mais celui-ci résista. Les meneurs décidèrent alors de continuer à travers la ligne de soldats. Les soldats se retirèrent alors que la foule s’écoula subitement entre eux.

Les manifestants continuèrent vers le quartier suivant, plus bruyants et confiants qu’auparavant. Un peu plus loin, les soldats essayèrent à nouveau de les bloquer, mais ils rencontrèrent la même résistance et renoncèrent rapidement.

Lorsque les manifestants approchèrent du bâtiment du ministère, quelques coups de feu de sommation furent tirés, mais pas à proximité de la foule. Des hélicoptères survolèrent la manifestation. Les manifestants continuaient à avancer, encombrant la première grille de sécurité, où les voitures sont habituellement contrôlées. Plusieurs gardes du ministère apparurent, avec des drapeaux du Kurdistan sur leur uniforme (el-Hariri est kurde, et a emmené avec lui sa garde personnelle depuis le Nord de l’Irak). Beaucoup se sont étonné qu’un drapeau différent du drapeau irakien figure sur le bras de quelqu’un montant la garde autour d’un bâtiment du gouvernement irakien.

La foule se vit à nouveau intimer l’ordre de se retirer, mais à nouveau elle continua son chemin, jusqu’à la seconde grille de sécurité. Les meneurs affirmèrent qu’il n’y avait aucune menace de violences de leur part, mais qu’ils ne s’en iraient pas tant que Hariri n’aurait pas rencontré les représentants des salariés.

De l’autre côté de la grille, les gardes calèrent des bennes à ordures en métal contre elle, pour éviter qu’elle ne soit abattue, et poussaient dans le sens inverse des manifestants. La manifestation se transforma en sit-in, et la foule, subitement silencieuse, se mit à attendre.

Durant toute la manifestation, aucune des parties ne fit le choix de l’escalade face aux quelques incidents. Les intentions pacifiques des manifestants ne faisaient aucun doute. Les autorités ont donné l’impression de contrôler les évènements tout le temps, mais, au final, furent obligées de négocier, dans certaines limites cependant.

Après un moment, des représentants purent entrer pour rencontrer le ministre. Quelques heures plus tard, les gardes demandèrent aux manifestants s’ils permettraient à ceux qui avaient fini leur journée de travail de quitter le ministère pour rentrer chez eux. Tout le monde accepta, et la grille fut ouverte. Les gens de l’intérieur traversèrent la foule, à pied ou en voiture, échangeant des regards parfois ébahis avec les manifestants.

Juste après, les représentants des salariés firent leur retour, disant que le ministre allait parler de ce problème au premier ministre Nouri el-Maliki durant la nuit, et que el-Hariri avait affirmé que le bien-être des des travailleurs était une priorité essentielle à ses yeux. Falah Alwan, l’un des organisateurs, président de la Fédération des conseils et syndicats de travailleurs irakiens, déclara, alors que la foule se dispersait : « Nous attendrons la réponse deux jours. Puis nous reviendrons !”

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