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Une résistante s’interroge sur l’hommage rendu à Guy Môquet

Publie le vendredi 19 octobre 2007 par Open-Publishing

de Peiron Denis

Résistante dès l’âge de 18 ans, sauvée in extremis du peloton d’exécution un an plus tard, Ma­deleine Riffaud émet de fortes réserves quant à la lecture de la lettre de Guy Môquet prévue dans tous les lycées de France ce lundi. Madeleine Riffaud hésite entre colère et satisfaction.

Alors que les lycéens découvriront lundi la lettre de Guy Môquet, cette an­cienne résistante ne peut réprimer un sentiment de révolte. « On ne dicte pas du plus haut de l’État ce que les enseignants doivent lire à leurs classes. Les professeurs ont pour eux leur libre arbitre, et ils en font un bon usage » , fulmine la vieille dame, qui s’est rendue dans des centaines d’établisse­ments pour dire le courage des siens.

Si Madeleine Riffaud n’est pas loin d’approuver l’insoumission de certains professeurs, décidés à boycotter l’hommage national rendu au jeune résistant, c’est aussi qu’elle suspecte Nicolas Sarkozy d’avoir voulu en faire un « coup politique » . « On n’a pas le droit de manipuler, de récupérer de la sorte un texte aussi intime » , dit-elle, en évoquant le caractère « sacré » des lettres de fusillés.

« Qu’ils soient ou non croyants, leurs auteurs délivrent tous le même message : “Vous ne me pre­nez pas ma vie. Je la donne pour un monde meilleur” » , souligne celle qui, en 1944, a elle aussi rédigé, sous forme de poème, ce qu’elle pensait être son testament. Rainer – c’était son nom dans la Résistance – n’avait alors que 19 ans, deux ans de plus que Guy Môquet au soir de sa courte vie.

Après des semai­nes de torture (on l’avait laissée sans sommeil dans une pièce où d’autres résistants subis­saient nuit et jour les pires sévices, que l’on promet­tait d’arrêter à con­dition que la jeune femme livre le nom de son chef ), elle se savait promise au peloton d’exé­cution pour avoir abattu un sous­officier allemand en plein Paris. « Il fallait préparer les habitants de la capitale à l’insurrection.

J’ai dit à un de mes camarades : “Prête-moi ton pistolet et ton vélo. Ce soir, il y en aura un de moins” » , se souvient l’ex-membre des Francs-Tireurs partisans, qui doit sa survie à un échange de prisonniers, au début de l’insurrection, et aussi, assure-t-elle, à cette image de sainte Thérèse qu’une codétenue a glissée dans sa poche avant de partir pour les camps. Longtemps corres­pondante de guerre, Madeleine Riffaud parle aujourd’hui au nom des inconnus de la Résistance.

Et elle ne voudrait pas que l’on réduise l’ensemble du mouvement à une nouvelle icône nationale. « Guy Môquet n’aura hélas eu le temps que de tracer quelques inscriptions sur un mur. On pourrait évoquer des milliers d’autres parcours, souvent plus riches » , soutient-elle. Au fil de la conversation, cependant, les ré­serves s’estompent. Surtout quand elle apprend que d’anciens résis­tants se rendront, çà et là, dans les lycées, lundi, pour apporter leurs témoignages. « À condition qu’une mise en perspective soit entreprise, oui, la lecture de ce document peut faire sens » , finit par dire Made­leine Riffaud.

« Plus on parlera de la Résistance, avec la volonté de tirer des leçons pour l’avenir, mieux ça vaudra » , affirme-t-elle, tout en suggérant aux enseignants de lire, en plus de la lettre de Guy Môquet, celles écrites par d’autres résistants fusillés, notamment par les « cinq de Buffon », cinq lycéens parisiens qui, en 1943, ont payé de leur vie leur amour de la liberté.

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La Croix du 19 octobre 2007