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Venezuela : des milices populaires pour défendre le pays ?

Publie le jeudi 20 mai 2004 par Open-Publishing
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par Taynem Hernández

20 mai 2004

Le Venezuela est entré cette semaine dans une nouvelle étape historique de défense de sa souveraineté après l’appel lancé par le président Hugo Chavez, le dimanche 16 mai, à l’incorporation active de civils dans un plan de sécurité contre d’éventuelles agressions. Ce plan a été qualifié comme une « nécessité non ajournable » par des organisations populaires et comme un « pas grave » par l’opposition.

L’annonce d’un plan de défense de la nation, impliquant une croissance des troupes ordinaires, l’élargissement du nombre de réservistes et la création de milices populaires sous le commandement des Forces armées, a lieu une semaine après l’arrestation par des corps de sécurité de plus d’une cinquantaine de paramilitaires colombiens dans les alentours de la capitale vénézuélienne, Caracas. Il s’agit d’un fait sans précédent auquel ont été associés des groupes d’opposition d’extrême droite. Le gouvernement a également exprimé ses suspicions contre des secteurs de pouvoir aux Etats-Unis et en Colombie, des pays dont les autorités politiques exercent une pression permanente contre le président Chavez. Jusqu’à la fin de la semaine passée, un total de 114 paramilitaires avaient été arrêtés, ainsi que trois officiers actifs de la Garde nationale, tandis que des ordres de capture ont été délivrés contre trois hauts officiers retraités. Ces derniers avaient participé au coup d’Etat en 2002.

L’incorporation active de la population dans des opérations de défense est la mesure la plus décisive prise par le gouvernement pour appliquer concrètement le nouveau principe constitutionnel, établi au Titre VII de la constitution, qui prévoit que « la sécurité de la Nation se base sur la coresponsabilité entre l’Etat et la société civile pour la réalisation des principes d’indépendance, de démocratie, d’égalité, de paix, de liberté, de justice, solidarité, promotion et préservation de l’environnement et l’affirmation des droits de l’homme, de même que sur la satisfaction progressive des nécessités individuelles et collectives des vénézuéliens et des vénézuéliennes, sur les bases d’un développement soutenu et productif couvrant les besoins de la communauté nationale. Le principe de la coresponsabilité s’exerce dans les domaines économiques, social, politique, culturel, géographique, de l’environnement et militaire. »

Une telle conception élargit la doctrine de sécurité nationale sur laquelle s’étaient basée les Forces armées et qui réservait ces dites tâches exclusivement aux militaires. Depuis son approbation dans le texte constitutionnel, l’application de ce principe a été débattue au sein du secteur militaire ; certains officiers, comme le commandant en chef de l’Armée, Raúl Baduell, ont exprimé publiquement leurs réflexions sur le sujet.

L’exécutif a commencé ainsi à se préparer face à une éventuelle intervention étrangère, dont le premier pas concret aurait été, selon l’analyse gouvernementale, le déplacement paramilitaire jusqu’à la capitale, siège du pouvoir politique vénézuélien, comme l’a affirmé le vice-président de la République José Vicente Rangel, sur base d’indices recueillis par une enquête de la justice colombienne sur les liens qu’entretenait une fonctionnaire de cet organisme avec les mouvements paramilitaires et selon laquelle des cadres moyens des Autodéfenses unies de Colombie (AUC - les paramilitaires) développaient une opération de recrutement, de formation et déplacement de forces irrégulières vers le territoire vénézuélien. Il y a un mois, le sénateur colombien Gustavo Petro avait alerté, à Caracas, sur la présence et le positionnement militaire du gouvernement colombien à la frontière avec le Venezuela.

Bien qu’il n’y ait pas encore eu de définition publique du modus operandi de l’incorporation de civils à ces tâches, le plan coïncide avec des propositions faites, il y a deux mois, par le groupe guérillero Fuerzas Bolivariana de Liberación (FBL), lequel dans un communiqué public proposa la création de milices populaires en coordination avec les Forces armées.

La présence paramilitaire dans la capitale n’est pas le seul conflit auquel le gouvernement vénézuélien a dû faire face. Le processus de changements, appelé par ses leaders révolution bolivarienne et que Chavez qualifia, le dimanche 16 mai, d’anti-impérialiste, est déjà passé par un coup d’Etat en avril 2002 et par un lock-out pétrolier de deux mois, durant lequel les installations de PDVSA (la société pétrolière nationale, N.d.T.) furent l’objet d’actes de sabotage. A la fin de février de cette année, une manifestation de l’opposition avait dégénéré en affrontements violents durant quatre jours, au cours desquels l’incursion nocturne de groupes irréguliers non identifiés avaient été dénoncée.

Au cours des deux dernières années, 87 dirigeants paysans, engagés dans la mise en application de la Loi des terres (réforme agraire, N.d.T.) et près de 50 politiciens, tous partisans du ’chavisme’ et militant dans les régions frontalières (avec la Colombie, N.d.T.), ont été assassinés par des groupes paramilitaires, selon les accusations des victimes.

« Les paramilitaires sont présents dans les régions frontalières du Venezuela depuis des décennies. Avec les gouvernements antérieurs, ils agissaient à l’abri des autorités en complicité avec des propriétaires terriens. Mais leurs activités ont crû ces dernières années. Le mois passé, en une semaine, ils ont assassiné quatre dirigeants », explique Braulio Álvarez, directeur de la Coordinadora Agraria Nacional Ezequiel Zamora, une des alliances dans laquelle se structure le mouvement paysan pour la distribution de terres et le développement agricole, prévus par la loi, en vertu de laquelle 2 millions d’hectares ont été distribué à 120.000 familles et coopératives.

Selon Álvarez, il y a des conflits dans six régions du pays, dont trois frontalières avec la Colombie, à cause des agissements de ces groupes irréguliers.

La situation des paysans avait déjà été expliquée au Conseil national de défense par la Coordinadora qui avait proposé la création de coopératives de vigilance pour protéger les cultures et l’intégrité physique de ceux qui participent aux ensemencements collectifs. « Nous ne voulons pas être des policiers ou des délateurs. Nous voulons seulement assumer la responsabilité qui nous revient en vertu de la constitution ».

La création de milices populaires a alerté au sein de la Coordination démocratique -regroupant différents secteurs d’opposition au gouvernement - la totalité de ses porte-parole qui ont affirmé le lundi 17 mai que l’objectif était d’armer des partisans du chavisme pour persécuter les adversaires du gouvernement et imposer un régime dictatorial. Une position qui s’oppose aux initiatives qu’analysent actuellement les groupes de base qui soutiennent le président Chávez.

« Notre travail est clair face aux prétentions de l’impérialisme et du paramilitarisme. Nous, organisations populaires, faisons un travail social et de vigilance révolutionnaire, de contrôle social (contrôle de ce que font les autorités publiques, N.d.T.), avec une préparation non militaire », assure Pedro Infante, membre de la Coordinadora Nacional de Organizaciones Populares (Conaop), qui regroupe plus de 3.000 mouvements de base dans tout le pays.

Essentiellement implantée dans les centre urbains, la Conaop a commencé récemment à organiser des volontaires pour participer à la mission de santé Barrio Adentro, un programme gouvernemental composé, pour l’instant, de médecins cubains et destiné à apporter une attention médicale immédiate et préventive aux zones les plus pauvres économiquement. Cette mission s’est développée en étroite collaboration avec des organisations communautaires, dont beaucoup sont regroupées au sein de la Conaop.

« Nous sommes en train de promouvoir une structure qui, parallèlement à la nôtre, serve à collecter des informations », explique Infante en affirmant que ce travail s’inscrit dans le cadre de l’unité civico-militaire. « Au cas où ce serait nécessaire, nous pourrions fournir de l’information comme, par exemple, le nombre de réservistes qu’il y a dans chaque quartiers, ce qui servirait à les mettre à la disposition des commandants des Forces armées, ainsi qu’à activer une structure paramédicale ».

La Coordinadora Agraria et la Conaop sont d’accord pour souligner l’importance de réactiver la préparation prémilitaire, décrétée au début de ce gouvernement comme une matière obligatoire dans l’éducation de base mais peu mise en pratique dans la majorité des institutions publiques et privées.

Dans ce cadre-là, l’annonce du Plan de défense de la nation a déjà ouvert un large débat dans les secteurs pro-gouvernementaux qui discutent des formes d’incorporation de la société civile à cette tâche.

Adital, 19 mai 2004.

 Traduction : Frédéric Lévêque, pour RISAL.

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