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Vénézuela : que penser de l’idée du socialisme du XXI° siècle ?
Publie le lundi 30 juillet 2007 par Open-PublishingVénézuela : que penser de l’idée du socialisme du XXI° siècle ?
Qui aujourd’hui dans se fait un idée de la taille des enjeux de la partie que se joue au Venezuela depuis huit ans ?
Fort peu de citoyens européens très certainement. Qui veut se forger une opinion sur le processus sociopolitique évoqué par les expressions générales de socialisme du XX° siècle ou révolution bolivarienne doit tout d’abord connaître quelques grands traits de la réalité vénézuelienne économique, sociale et politique.
Repères macroéconomiques
Sur les 83 millions de barils de pétrole qui sont consommés tous les jours dans le monde 3 viennent du Venezuela. Cela peut paraître un pourcentage minime. Mais comme les prix s’établissent à la marge sur les derniers barils disponibles, ce faible pourcentage peut peser lourd d’autant plus que le pays est un membre influent de l’OPEP. A 50 euros le baril cela représente près de quatre milliards d’euros par mois disponibles à l’export compte tenu de la consommation locale. Par rapport au nombre d’habitants, aucun pays d’Amérique latine ne dispose de tels revenus d’exportation. Cette somme de 4 milliards représente la majeure partie des exportations du Venezuela et 16% de la consommation des Etats-Unis, le premier client.
Malgré une nationalisation purement formelle datant de 1975, la production et la distribution du pétrole vénézuelien était contrôlée de très près par les Etats-Unis jusqu’à la grève insurrectionnelle du personnel de PDVSA (Petróleos de Venezuela) au début 2003. Cette grève insurrectionnelle et politique visait explicitement à faire tomber un président régulièrement élu pour 6 ans en 2000 et re-confirmé dans sa charge le 15 août 2004.
Ce contrôle du grand voisin du nord a cessé maintenant. On est en droit d’imaginer que si le pétrole vénézuelien pouvait être absorbé en totalité par le marché latino américain et chinois cela provoquerait dans l’immédiat une nouvelle crise mondiale du marché du pétrole qui pourrait faire encore monter les prix. Le relai possible par la production massive de biocombustibles demandera plusieurs années d’organisation de la production et d’adaptation de la consommation. De cette réalité, peu d’européens ont conscience. Avec des échanges directs pétrole-nourriture avec l’Argentine et, pétrole machines-outils avec le Brésil, le Venezuela pourrait quasiment se retirer du marché pétrolier mondial et maintenir ainsi les prix au plus haut niveau pendant longtemps dans le reste du monde.
Ces quelques informations macroéconomiques de base permettent de situer l’importance du Vénézuela sur l’ économie mondiale. Et ceci sans même mentionner des productions d’engrais, d’aluminium et d’acier maintenant nationalisées qui sont loin d’être négligeables dans le marché mondial.
Nouveau tissu économique local
Certaines réalisations économiques locales ou nationales permettent aussi de donner un éclairage sur les spécificités du projet économique en cours de développement.
L’ouverture énergétique vers les pays des Caraïbes permet à des « micro-Etats » de se détacher sensiblement d’une dépendance encombrante de l’aide du « Nord » dans le cadre du consensus de Washington. L’accord Petrocaribe régissant cette alliance énergétique est très clair. Il ne s’agit pas d’un don mais de conditions spéciales d’administration du pétrole. Le paiement étalé sur 25 ans devra se faire une partie en devises, l’autre en services (médecin, viande, semences, etc...). L’accusation de gaspillage par l’opposition est plus qu’hypocrite. De plus, en 2005, la compagnie CITGO (propriété de PDVSA aux Etats-Unis) a renvoyé pour la première fois de son histoire des bénéfices au pays. A ce propos il n’est pas inutile de rappeler que le Vénézuela est propriétaire de 16 raffineries de pétrole à en Europe et aux Etats Unis sans compter quelques autres comme celle de l’ile hollandaise de Curaçao. On comprend tout à fait dans ces conditions que le pays puisse être amené à réimporter des produits raffinés à partir de son propre pétrole sans que cela signifie nécessairement uune déterioration de l’appareil productif national.
Lorsque le Venezuela rachète des bons du trésor argentin, il trouve là un moyen de suspendre la dépendance de l’Argentine aux créanciers du Nord, d’écouler une grande partie de ses liquidités pour lutter contre l’inflation, de resserrer les liens avec une Argentine qui lui fournit nombre de biens manufacturés qui lui sont refusés par les Etats-Unis.
Le développement endogène, pilier de l’économie bolivarienne, entends aussi réduire les importations pour ce qui est des produits manufacturés. Notons le développement d’une industrie informatique avec l’aide chinoise et les projets de construction nationale de véhicules et de tracteursavec l’aide iranienne.
De plus, pour lutter contre le fléau de la dépendance aux importations, l’exécutif a promulgué un décret présidentiel qui oblige toutes les industries de bases (publiques ou privées) à fournir en premier les entreprises de transformation nationales et exporter uniquement l’excèdent. Les aberrations que constituait l’importation massive de T-shirt en polyamide, ou de casserole d’aluminium et leur vente à prix élevé n’auront plus lieu d’être.
Le tissu productif du Venezuela a été renforcé par la création de dizaines de milliers de coopératives et d’entreprises de production sociale, qui en grande majorité sont situées hors de l’économie pétrolière et ne sont pas liées à l’industrie de base.
Enfin, la reprise en main des services de l’impôt par le gouvernement bolivarien a fait de cette entité la principale rentrée dans le budget de l’Etat avec le Pétrole, alors qu’elle représentait 22% lors de l’installation au pouvoir du Président Chavez.
Ces quelques traits permettent d’entrevoir la logique du projet économique qui s’esquisse en ce moment qu Vénézuela
Le social
Sur le plan social, il faut d’abord rappeler que, malgré des revenus moyens « per capita » relativement élevés (3000 euros par an) le Venezuela compte, sur une population totale de 25 millions, environ 15 millions d’exclus à revenus inférieurs à 400 euros par an . Les adultes actifs avec un salaire régulier (fonctionnaires, salariés de l’industrie et du commerce) ne sont guère plus de 5 millions. Ce sont eux qui font tourner la machine économique traditionnellemnt orientée en priorité vers les besoins des privilégiés, bénéficiaires locaux de la globalisation. Que faire des 60% d’exclus qui survivent en grande majorité grâce aux maigres revenus de la mal nommée « économie informelle » qui encombre les trottoirs de vendeurs à la sauvette de mauvaise marchandise de contrebande ? En Europe, une politique sociale d’assistance peut fort bien se concevoir quand les exclus ne sont que 10% de la population et qu’on peut les faire taire à moindre coût. Ce n’est pas le cas quand ils constituent la majeure partie de la population.
Cette situation explique qu’au Vénézuela, une fois votée fin 99 la nouvelle constitution de la V° république et surmontées les convulsions provoquées en 2003 par une opposition minoritaire désespérée de voir lui échapper le pouvoir (peut-être pour toujours ?) la cinquième République vénézuelienne est devenue « terre de mission ». En effet, le gouvernement n’arrive toujours pas à organiser ses interventions sociales en réorientant efficacement une masse de fonctionnaires en grande partie acquis à l’ancien régime du fait de leurs habitudes mentales et de la culture de la corruption qui ne s’efface pas facilement. C’est pourquoi, pour intervenir dans le domaine de la santé et de l’éducation, le gouvernement a du créer de toute pièce des « missions » animées par du personnel occasionnel recruté à la hâte dans le pays ou à l’extérieur.
La mission d’alphabétisation a permis d’apprendre à lire et à écrire à 1,5 millions de personnes de tous âges en un an (dans ses meilleures, années la IV république en alphabétisait 50.000 par an). on peut estimer actuellement l’analphabétisme résiduel à environ 1% de la population totale.
Par ailleurs, 13000 médecins et dentistes cubains ont effectué 70 millions d’actes médicaux en quatre ans auprès d’une population que ne visitaient pratiquement jamais les médecins vénézueliens en général plus préoccupés de leurs cliniques privées que de santé publique.
La grande majorité des écoles primaires fonctionnaient à mi temps (1/2 de l’effectif scolaire va à l’école le matin l’autre moitié l’après midi faute de locaux et de personnel. Au prix de grands efforts et de nombreux échecs, environ 15% des écoles sont passées à plein temps et servent sur place des repas aux élèves. Ce détail est fondamental pour éviter la désertion scolaire des enfants qui travaillent pendant leur temps libre ou vivent trop loin pour pouvoir revenir s’alimenter chez eux.
Parallèlement au système scolaire traditionnel, les déserteurs scolaires sont repris progressivement en main pour en faire des bacheliers ou des professionnels au lieu de travailler dans la rue ou de se livrer aux trafics de drogue ou de sexe. C’est ainsi que un demi million de bacheliers exclus des Universités entrent ou vont entrer dans les universités classiques ou dans nouvelles Universités bolivariennes crées pour faire bouger les traditions universitaires des élites.
Un demi million de chômeurs apprennent un métier et sont formés pour demander des prêts bancaires et former leur micro entreprise au sortir de la formation ou s’intégrer dans un monde coopératif en croissance rapide (8000 coopératives formées en deux ans).
Il reste beaucoup à faire, car les rues sont encore pleines de marchands à la sauvette. Les PME sont pleines de travailleurs non déclarés payés au dessous du salaire minimum (effet pervers de la loi de stabilité de l’emploi qui oblige les entreprises à garantir un CDI après trois mois de présence dans l’entreprise) Les vieux syndicats corrompus à l’américaine sont à bout de souffle, mais les nouveaux syndicats naissants sont trop faibles et trop liés au nouveau régime pour s’opposer efficacement aux abus des patrons du privé ou du public.
Malgré toutes difficultés, on voit se profiler dans ce pays un nouveau modèle socio-économique basé sur un secteur public surpuissant entouré d’une nuée de coopératives et de micro entreprises de service et de sous-traitance. Un tel modèle ne pourra probablement jamais être reproduit ailleurs. Aucun pays ne dispose d’un secteur public industriel d’une puissance relative comparable à Petroleos de Venezuela. Mais ce pays pourrait devenir un laboratoire d’expérimentation économique et sociale sans équivalent en Amérique latine et dans le monde.
Innovation politique et idéologique
Le président et son entourage, s’identifient sans ambiguïté avec la gauche nationale et internationale, mais sont en fait à la fois pré et post-marxistes. En effet ils puisent une partie de leur inspiration dans les trois racines principales d’une pensée politique nationale ayant présidé d’abord aux guerres d’indépendance de l’Amérique latine (Simon Rodríguez, moins connu que son élève Simón Bolívar) puis aux révoltes sociales qui ont donné lieu à diverses guerres civles (Ezequiel Zamora). L’Equipe gouvernementale actuelle ne se réfère à aucun modèle de référence mais construit laborieusement son chemin en marchant vers une démocratisation progressive à tous les niveaux. :
Démocratie communautaire formant des individus responsables dans leurs communautés,
Démocratie participative à la mesure de la formation qui leur permet de participer aux décisions,
Démocratie productive là où ils arrivent à administrer les moyens de production.
Ces efforts seront longs et difficiles, les échecs partiels seront nombreux et un échec total est toujours possible surtout si une intervention extérieure brutale du grand voisin du nord vient étouffer un rêve trop beau pour lui donner une chance de devenir vrai.
Mais ce qui a été réalisé résulte d’un mélange d’audace et de réalisme jamais réalisé dans d’autres pays. Ce mélange résulte d’une analyse originale des trois structures emmêlées dans le social total :
La structure politico juridique qui sert à la fois de squelette et d’enveloppe au corps social.
Le contenu de cette structure est le siège des échanges économiques et sociaux.
Le bain dans le quel vit le social total est le contexte culturel et idéologique.
La stratégie des « révolutionnaires bolivariens » du Venezuela, a consisté à s’attaquer en premier à la structure politico juridique qui était le point faible du système. Une fois cette position consolidée, ils s’efforcent maintenant de transformer le tissu socio économique. Grâce au contrôle de l’appareil de production pétrolière ces transformations peuvent être induites relativement rapidement. Mais les transformations induites peuvent facilement échouer sur l’écueil culturel et idéologique qui, déjà globalisé, pèse encore très lourd sur tous les esprits. Malgré les innombrables bourdes des dirigeants de l’opposition trop sûrs d’eux pour comprendre la stratégie de leurs adversaires. ces résistances culturelles et idéologiques sont encore beaucoup plus fortes que l’imaginaient les partisans de la révolution bolivarienne et du socialisme du XXI° siècle. Le non-renouvellement de la concession accordée à la station de télévision vénézuélienne privée RCTV par le gouvernement de Hugo Chavez est tout le contraire d’une attaque contre la liberté d’expression et le droit à l’information. Cependant cette mesure légitime a provoqué des réactions sincères et spontanées d’une multitude de gens que le mouvement bolivarien considérait comme sociologiquement acquis à sa cause.
La liberté de choisir entre les idées naissantes d’un développement d’une Amérique latine centrée sur elle-même et unie pour organiser à sa manière les bien-être de ses populations et la soumission aux normes de la globalisation dictées par les pays du nord est essentielle à la réussite du projet bolivarien. Sans une adhésion sincère et librement consentie par la majorité de la population à ce projet l’échec sera sévère et sans doute définitif. Pour en juger, il faut maintenant attendre de voir comment s’organise la formation du Parti socialiste unifié à partir des 5 millions d’individus qui se sont inscrits comme volontaires pour y militer.
Rien n’est écrit dans le ciel, mais les européens feraient bien de resituer cette tentative vénézuelienne dans le contexte des menances qui se profilent et qui risquent de mettre à bas le système capitaliste mondialisé.
Ce système est incapable de faire face au changement climatique qui s’annonce ce qui demanderait une discipline mondialement acceptée pour changer les priorités et créer une nouvelle civilisation adaptée à la survie de l’espèce.
Il est également incapable de corriger les méfaits de l’exclusion dont vivent les privilégiés et qui engendre les violences symétriques du terrorisme et de la répression sociale.
Il est même incapable de faire face à une nouvelle crise monétaire et boursière tant les instances internationales sont soumises aux exigeances du maintien des privilèges.
C’est à l’aune de ces incapacités qu’il faut évaluer la tentative vénézuelienne qui n’est pas si éloignée des idéaux de liberté, égalité, fraternité de la première République française qui aussi prétendait les partager avec tous les pays.
Cette tentative nous rappelle une évidence que l’histoire du siècle passé nous enseigne clairement. Il est vain de croire qu’on peut partager les richesses. Il faut plus modestement admettre que l’on ne peut que tranquilement partager la pauvreté matérielle et profiter au mieux des richesses naturelles, culturelles et affectives qui elles sont indéfiniment renouvelables.