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Voila la Guantanamo italienne (pour migrants) - Un lager modèle : du fer, du ciment et des cages

Publie le mardi 7 février 2006 par Open-Publishing
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de Stefano Galieni traduit de l’italien par karl&rosa

Gradisca D’Isonzo [notre reportage] - Le mur d’enceinte est si haut, si gris et si long qu’il semble ne jamais devoir finir. Au sommet, entre les barreaux pliés à rostre on entrevoit des caméras braquées sur la route. Nationale 305.

A quelques centaines de mètres, la commune de Gradisca d’Isonzo, une petite ville de la province de Gorizia, tranquille comme tant de villages de la zone. Une belle terre, des vignes et des paysages doux, une terre de souvenirs amers, de guerres et de haines, une terre de casernes et de camps d’internement qui semblaient destinés à s’effriter, dans leurs fondations et dans la mémoire. Cela n’est pas arrivé avec la caserne Ugo Polonio : six mille mètres carrés compris dans une série d’édifices en forme de U.

Le porche gardé 24 heures sur 24 s’ouvre face à une allée bordée d’arbres, carrossable. De hauts conifères définissent un chemin droit désert, les cimes se plient et créent de la pénombre même par une journée comme celle-ci, illuminée d’un soleil inattendu.

"Tournez à gauche - nous indique avec fierté un des ingénieurs qui ont restructuré l’endroit - maintenant je vais tout vous expliquer". Escortés par des agents de police, par des carabiniers, dans un silence irréel et inquiétant, nous sommes dans le ventre du nouveau monstre, le Centre de permanence temporaire est en passe d’ouvrir ses portes. Tout est prêt et même, selon le Préfet, Roberto De Lorenzo, le centre est déjà ouvert, mais heureusement il est encore vide, hormis pour les travailleurs de la coopérative "la Minerva" qui en a assumé la gestion. Des visages fuyants d’hommes qui balayent ou rôdent dans ces girons infernaux les têtes basses, en saluant à contrecoeur ou qui sont assis aux tables clouées au sol, sur des chaises clouées elles aussi, mangeant un sandwich sous la lumière blafarde des néons et dans le blanc éblouissant et froid des parois fraichement peintes. Ils savent bien que des gens qui contestent l’existence de ce lieu sont en train d’entrer.

"Comme vous pouvez le voir, il y a des espaces réservés aux hôtes, 60%, aux forces de l’ordre et au personnel de la coopérative (40% au total) - continue notre guide, qui parle comme quelqu’un qui doit nous vendre un immeuble - A votre droite, vous pouvez voir les locaux destinés aux agents qui accompagneront les immigrés et qui éventuellement devront rester ici une nuit pour repartir ensuite avec leurs fourgons vides".

Des maisonnettes basses, des fenêtres et après, une grille automatique aux barres étroites, hautes et avec les mêmes rostres. Nous sommes dedans et la présence des barreaux lourds et étroits enveloppe et coupe le souffle.
Le tour continue et on précipite petit à petit dans un lieu oppressant et donnant la claustrophobie, ils nous montrent la salle des visites, avec un énorme banc pour séparer les parents des reclus, "le lieu de culte", une salle nue et encore à aménager, la bibliothèque.

En théorie, les visites et les espaces de socialité devraient être interdits au personnel de police : "Mais - nous explique-t-on - essayez de nous comprendre. Si quelqu’un doit rencontrer des parents ou son avocat, il doit être amené par ceux qui le surveillent et après ramené dans sa chambre, ce n’est que pour cela que l’espace est accessible aux agents, la gestion s’occupe de tout le reste".
Depuis ces locaux on accède aux deux allées, l’une plus large qui s’infléchit ensuite vers la droite, l’autre plus courte et rectiligne. La première est destinée aux hommes, l’autre aux femmes. "Ce centre pourra accueillir 180 hommes et 60 femmes - nous dit l’ingénieur - mais il y aura de l’espace pour des noyaux familiaux qui, ainsi, ne seront pas séparés". Nous sommes un moment déconcertés. Des noyaux familiaux ? Mais les mineurs aussi pourront donc séjourner ici ? Réponse embarrassée. Oui.

Entre les deux allées, une cabine de direction d’où l’on pourra gérer le centre tout entier : un bouton pour éteindre et allumer la lumière, un autre pour les télés qui semblent abonder en tant que puissant anesthésique sans contre-indications.

Je parcours la petite allée destinée aux femmes : de part et d’autre, des barreaux et des grilles lourdes fermées par des loqueteaux, des cages, des cages à zoo, mais où l’on ne peut même pas faire passer de cacahouètes. Elle mesurent à peine 6 mètres sur cinq. Il est même difficile de voir le ciel. A terre, du ciment, que du ciment. Des cages qui communiquent en un long couloir intérieur qui mène jusqu’à la cantine, des cages séparées l’une de l’autre par des grilles qui seront fermées la nuit.

Une petite pièce avec des banquettes disposées dans les coins avec l’immanquable télé, la véritable chambre à coucher avec six lits, les matelas et les oreillers encore dans le cellophane, des étagères couleur ivoire pour rompre le blanc dominant et la lumière au centre, fastidieuse même le jour. D’un côté les toilettes, dépourvues de portes, les douches, les lavabos. Il y a tout mais tout est fixe, cloué aux parois et au sol, les chaises, les lits, les banquettes, un état de privation sensorielle qui rappelle les prisons spéciales de lointaine mémoire. Rester dans la cage quelques minutes mène à un sens d’étouffement, les députés nationaux présents, Russo Spena et De Zulueta, qui connaissent bien les centres, semblent étonnés, incapables de s’expliquer sur la base de quelle mentalité perverse une structure de ce genre a été projetée. La réaction des autres accompagnateurs est identique, on regarde autour de soi avec un air perplexe et horrifié, on touche de la main les barreaux de froid acier, on ferme les yeux pour imaginer à quoi peut ressembler la vie, ou plutôt la non vie, dans un endroit pareil.

L’éclat des choses neuves contient le pire de toute institution totale : qu’elle soit prison, asile ou camp de concentration, l’architecture parle et elle parle le langage de la négation des corps et de la volonté, celui de la domination sur le faible à travers la création d’une cathédrale de la punition. Les chaises sont d’un bleu sombre, elles aussi vissées ainsi que les tables, en haut l’omniprésente télé et les caméras, encore plus envahissantes.

Les internés mangeront des mets précuits, livrés dans des plateaux semblables à ceux des avions, avec des couverts rigoureusement en plastique. Tout est pensé pour éviter les bruits, le chaos, mais il est absurde de penser que cela soit possible. Il faut imaginer la structure à plein régime : 240 agents qui assureront à tour de rôle la surveillance, des services de 6 heures, 60 personnes en action. Un nombre non précisé de travailleurs de la Minerva qui ne devront que garantir l’assistance, selon leur président, se trouveront geôliers sans uniforme. Il est difficile de penser qu’un gigantisme de ce genre puisse fonctionner, il est difficile de ne pas imaginer ce qui arrivera quand les cages se refermeront, il est difficile de croire que comme d’habitude ce ne seront pas les policiers à garantir le "calme" avec leurs méthodes.

Ce n’est pas par hasard que les mêmes fonctionnaires de police du Silp [Syndicat italien des travailleurs de la police, ndt] demandent d’intervenir, d’arrêter l’ouverture de cette nouvelle Guantanamo.

Mais le temps presse : Refondation et les Verts demandent au moins un moratoire jusqu’aux prochaines élections législatives et à la formation du nouveau gouvernement, d’autres ont lancé une campagne informatique pour demander à la Minerva de renoncer à cette juteuse sous-traitance. Il suffit de taper sur le lien www.peacelink/appello_minerva.php et d’envoyer un message.
Nous sortons la gorge nouée, un conseiller régional synthétise en conférence de presse : "Mieux se faire dénoncer aujourd’hui que porter demain le poids d’avoir partagé des crimes contre l’humanité". Dans l’obscurité réapparaissent les murs extérieurs du centre et on a envie de demander à ceux qui encore, dans le centre-gauche, continuent à parler de nécessité et d’humanisation : entrez, regardez, humez l’odeur du renfermé et la peur de vivre en cage et expliquez-nous ce qui, de ce monstre, pourra être humanisé ?

http://www.liberazione.it/notizia.asp?id=3855

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