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Vote d’Haiti en faveur du Venezuela : un point d’inflexion dans la diplomatie haïtienne
Publie le mardi 24 octobre 2006 par Open-Publishing2 commentaires
« La peur du risque atrophie les diplomaties et le goût des risques calculés les fait grandir... »
de Gary Olius [1]
La délégation haïtienne à l’ONU vient de créer la surprise en choisissant de ne pas voter en faveur du Guatemala, aux cotés de son puissant voisin, les Etats Unis. Il s’agit d’un événement qui marque un point d’inflexion dans l’évolution de la diplomatie haïtienne. Au sens où l’entendent les mathématiciens, ce point est une étape où une courbe traverse délibérément sa tangente sans changer de signe ou son sens de variation. Dit dans un langage courant, c’est un refus systématique de la monotonie sans un abandon drastique de tendance. La décision des actuels dirigeants d’Haïti surprend parce qu’elle rompt d’emblée (1) avec le réflexe d’alignement sur la position des grands et (2) avec la logique du bol bleu [2] qui a caractérisé notre diplomatie au cours des 100 dernières années.
Bien évidemment, nous reconnaissons à l’instar de beaucoup de spécialistes haïtiens que cette décision comporte des risques majeurs, mais nous sommes enclins à penser que l’aversion pour le risque peut atrophier la diplomatie et la rendre léthargique. « Un pays où l’on est assuré pour tout est un pays éternellement condamné...il faut risquer dans l’existence » affirmait Louis Pergaud depuis le début du siècle passé. Tout ceci est pour dire qu’il entre dans l’ordre normal des choses que ceux qui sont aux commandes en Haïti doivent assumer des risques calculés si, réellement, ils souhaitent construire une diplomatie répondant aux exigences des intérêts supérieurs du pays, de ses idéaux d’Etat exportateur de liberté et viscéralement anti-colonisateur.
Cette dite diplomatie doit aussi se montrer solidaire de celle des autres nations qui ont accepté - malgré vents et marées - de faire front commun avec elle dans sa lutte de longue date contre toutes les formes de déséquilibre inacceptable entre les êtres humains et les peuples. C’est un acte d’un Etat qui se veut véritablement souverain et qui choisit de remettre ses pendules à l’heure ou même de régler son compte tant avec ses faux que ses vrais amis.
Au lieu d’y voir une action pro-Chavez ou anti-Bush, ne peut-on pas déceler - dans la décision de l’Etat haïtien de voter en faveur du Venezuela - une demande urgente de reformatage de la politique américaine à l’égard du pays ? Cette forme d’interrogation a l’avantage de créer des conditions favorables à l’éclosion d’un débat qui permettra, à terme, un renforcement effectif des relations haitiano-américaines.
Mais la choséité de la chose est que cette demande de réajustement risque de ne pas être perçue comme telle, faute par le gouvernement de ne pas effectuer - en toute cohérence - le suivi de son acte diplomatique et aussi à cause de l’irrépressible tendance de certains analystes haïtiens qui, dans leur conformisme exagéré, considèrent cette affaire uniquement sous l’angle réduit d’un rapport de forces qu’ils croient immuable ou éternellement intouchable.
Haïti est le seul pays de la région qui a sué du sang pour contribuer au bien-être de ses voisins et qui, en retour, n’a reçu que de l’humiliation. L’architecture de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti) en est une preuve vivante et il n’y a nul besoin de disserter longuement là-dessus. Notre pays sait ce que veut dire être solidaire et il connaît aussi les affres de l’angoisse de l’ingratitude. Nos devoirs envers les autres, nous les connaissons et les respectons. Comme tel, nous ne devons éprouver aucun complexe en défendant nos droits.
Les Américains éprouvent de la fierté rien que par le fait qu’ils constituent la nation la plus riche et la plus puissante du monde. Toutefois, du balcon de leur surpuissante opulence ils ne ressentent jamais le besoin de cette solidarité qui leur interdirait de croire qu’il est normal de cohabiter sur le même continent avec des Nations considérées comme de grands foyers de pauvreté (Honduras, Salvador, Haïti etc.). Les faits tendent même à confirmer que cette cohabitation correspond à leur vision de l’équilibre de la région, laquelle consiste à perpétuer chez les autres toutes les formes de faiblesse qui garantissent leur docile alignement aux cotés de la plus grande force dans des conjonctures particulières.
On a beau dire que les USA représentent le premier bailleur de fonds d’Haïti, mais en allant au fond des choses on peut se rendre compte que cette affirmation n’est qu’une atroce ironie. Car s’il est vrai que l’enveloppe affectée annuellement « au pays » se chiffre en centaine de millions, on est forcé de reconnaître que plus de 70 % de cette manne va directement aux ONG et celles-ci les utilisent comme bon leur semble. Toute velléité de contrôle de ce secteur par l’Etat haïtien se solde toujours par une opposition caractérisée de l’Ambassade américaine.
On se rappelle la déclaration de James B. Foley qui qualifiait de harcèlement un dispositif que le Ministère du Plan a voulu mettre en place pour vérifier systématiquement les interventions de ces organisations. Alors que bon nombre d’observateurs estiment que si les milliards déboursés par les USA pouvaient se convertir en appui direct à la mise en place des infrastructures de développement économique et social, Haïti ne serait jamais comme elle est aujourd’hui : un pays exsangue à tous les points de vue. Si ce n’est pas délibérément voulu, le moment est opportun pour réclamer un changement à cet égard. Le vote d’Haïti à l’ONU traduit, peut-être, ce besoin.
Une des priorités déclarées du gouvernement actuel est le renforcement des institutions démocratiques existantes et la mise en place de celles qui sont prévues dans la constitution du pays. Dans ce domaine, les USA offrent aussi leur coopération. Mais comment ? Ils viennent par exemple d’octroyer 40,000 dollars comme appui direct au Parlement pour l’achat de certains matériels et des dizaines de millions à des ONG internationales dans le cadre d’un programme de « gouvernance » en faveur d’Haïti. Des financements de ce genre, on en a connu une kyrielle, mais une bonne partie de ces fonds finissent leur périple sur les comptes bancaires des experts internationaux et les impacts sur le pays restent toujours invisibles. Sous cet aspect précis, il serait souhaitable que quelque chose change. Rien ne dit que le vote en faveur du Venezuela n’est pas l’expression d’un malaise gouvernemental avec cette façon de faire.
Haïti fait face depuis plusieurs années à de graves problèmes d’insécurité causés pour la plupart par des supporteurs armés d’Aristide et des gangs formés à partir d’un flot de délinquants que l’immigration américaine y déverse périodiquement. Les faits sont tels que si les responsables haïtiens arrivaient un jour à mettre hors d’état de nuire les bandits des bidonvilles, il y aurait très peu de chance que la composante de l’insécurité liée à la présence des déportés des USA soit maîtrisée sans un arrêt des déportations. Le pays est obligé tristement d’assumer les coûts sociaux d’un problème qu’il ne peut contrôler ni dans le temps et ni dans l’espace.
La réalité est celle-ci : quand les enfants haïtiens sont reçus en terre américaine ils sont éduqués suivant le modèle en vigueur dans ce pays. Ils peuvent devenir de bons citoyens et d’excellents professionnels tout comme ils peuvent devenir de dangereux délinquants. Dans le premier cas, toutes les conditions leur sont offertes pour pouvoir travailler à la prospérité de leur pays d’adoption et dans le second cas ils sont tout bonnement déportés vers Haïti pour donner libre cour à leur dextérité dans l’art de voler, de kidnapper et de tuer... La prospérité est pour eux et la terreur est pour nous. En toute légalité, en toute diplomatie. Là aussi, il faut que les choses changent ; et le vote d’Haïti à l’ONU est, peut-être, pour réclamer ce changement.
L’insécurité gagne du terrain, Haïti ne dispose ni de gendarmerie ni d’armée pouvant l’aider à faire face à cette frénésie sanguinaire que les malfrats imposent à la société. Dans ce contexte, il appartient à la Police Nationale de faire régner la paix. Malencontreusement, les agents de cette force publique sont mal formés, mal pourvus et mal rémunérés. Plus de 25% d’entre eux, dit le DG (Directeur général) de cette institution (Mario Andrésol), sont des voleurs de grand chemin et des corrompus de la pire espèce.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a réclamé une réforme en profondeur de l’institution et en a délégué la tache à la MINUSTAH, mission co-dirigée officiellement par un guatémaltèque et un américain. Jusqu’à présent, rien n’est fait et cette dite mission dépense à cœur joie des milliards de dollars, dont la majeure partie provient du trésor public américain. A la Police Nationale (sous embargo et dépourvue de tout) qui s’expose journellement à la puissance de feu des gangs armés, l’Ambassade américaine a promis une aide de dix millions échelonnée sur plusieurs années. C’est beaucoup, diriez-vous. Mais en fait, c’est bien peu comparativement aux débours déjà effectués en faveur des casques bleus dont l’utilité et l’efficacité sont remises en cause par une écrasante majorité de la population haïtienne. Il faut que cela change et le gouvernement, peut-être, a voulu le dire à sa manière par le vote contre le Guatemala.
En dépit des énormes sacrifices consentis par les Haïtiens pour les USA, Haïti ne représente pas grand chose aux yeux des américains. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les propagandes malfaisantes qui ont ruiné notre réputation et détruit notre industrie touristique, secteur qui supportait dans les années 70 plus de 25% de notre PIB. On doit se le rappeler..., même la très prestigieuse revue scientifique « Science et Vie » a dû se mettre dans la partie pour contrer la méchante argumentation américaine faisant croire que les haïtiens sont responsables du 4H, ancienne appellation du SIDA dans laquelle un des H voulait dire Haïtien.
De plus, les données sur les investissements directs des grandes entreprises américaines dans la région placent Haïti dans le dernier peloton de la classification, par ordre d’importance décroissante, des pays bénéficiaires de capitaux provenant de la république étoilée. Alors, au nom de quoi certains veulent faire croire qu’Haïti avait le devoir moral de suivre les consignes de vote dictées par les Etats Unis ? Notre pays a déjà prouvé sa grande solidarité avec quasiment tous les pays de la région et ce sont toujours eux qui ne ratent aucune occasion pour lui manifester leur répugnante ingratitude. Ils ne peuvent absolument rien exiger de nous, en termes d’appui diplomatique, quand ils se retrouvent dans des situations peu confortables tant qu’ils ne se repentent pas de leur manque avéré de respect à notre égard.
Dans ce sens, nous comprenons la décision des dirigeants haïtiens de soutenir le Venezuela car, hormis tout ce que nous avons déjà mentionné, les USA ne sont nullement disposés à nous aider à explorer les possibilités d’exploitation de sources alternatives d’énergie en substitution du pétrole dont la hausse continue du prix risque de mettre en banqueroute notre petite et anémiée économie. Et c’est sans aucun doute ce dernier aspect de la question qui a poussé la majorité des pays de la CARICOM (Communauté Économique de la Caraibe) à voter en faveur de la République Bolivarienne puisque aucun d’entre eux n’a les moyens de faire face aux coûts économiques et sociaux d’un baril de pétrole quand il se vendra à plus de 100 dollars.
Contact golius@excite.com
[1] Economiste et Doctorant en Gouvernement et Administration Publique
[2] (Bol mis pour Kwi : Symbole de la mendicité en Haïti) (Bleu : Symbole de l’espoir). Bol Bleu : le fait d’appuyer un pays tiers uniquement dans l’espoir de bénéficier de quelques miettes (en toute indignité).
Messages
1. > Vote d’Haiti en faveur du Venezuela : un point d’inflexion dans la diplomatie haïtienne, 27 octobre 2006, 22:41
Un autre point de vu....Si il y a eu des abus de la part des ONG operant en Haiti, il est cependant necessaire de remarquer que les institutions Haitiennes sont trop corrompus pour pouvoir leur faire confiance avec l’argent des contribuables etranger.
1. > Vote d’Haiti en faveur du Venezuela : un point d’inflexion dans la diplomatie haïtienne, 28 novembre 2006, 02:09
Hélas, vous n´avez pas totalement tort ! Mais vous n´êtes pas sans savoir aussi que les ONG ont beaucoup d´intérêts dans un Etat faible et dirigé par des immoraux : La preuve la plus éloquente est la grande mobilisation de ces organisations dans la campagne de René Préval. Ce que plusieurs candidats ont, d´ailleurs, dénoncé haut et fort...