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de demi-mensonges en contre vérités, comment construire un dictateur imaginaire.
Publie le samedi 19 mai 2007 par Open-PublishingLe 18 mai 2007, par Johann,
Le personnage du Président vénézuélien et son pays sont devenus un objet médiatique autonome, ayant sa propre vie, en dehors de ce qu’une vision honnête de la réalité peut fournir à l’observateur non-impliqué dans le champ journalistique(1). Petite revue de presse de décembre 2006 à mai 2007.
“Les craintes de dérives autoritaires du régime « chaviste » sont renforcées par la volonté du chef de l’État d’organiser un référendum sur la fin de la limitation du nombre de mandats successifs du président de la République. En clair : il souhaiterait se présenter pour un troisième mandat dans six ans. Si la réalité de la politique de Chávez a été jusqu’ici en retrait par rapport à la virulence de son discours, il dispose cette fois de toutes les clés pour sa « révolution socialiste du XXIe siècle ».” Libération
“Un nouveau dossier pourrait se révéler plus difficile à gérer pour Hugo Chavez : sa décision de ne pas renouveler la concession de la chaîne privée Radio Caracas Television (RCTV) qui prend fin le 27 mai. Le 22 avril, des milliers de Vénézuéliens sont descendus dans la rue pour défendre RCTV, proche de l’opposition et dont les émissions populaires sont très appréciées dans la population. Chavez accuse cette télévision de « putschisme ». « Nous avons 40 % de l’audience et nous employons 3 000 personnes, s’insurge Marcel Granier PDG de RCTV. Ne pas renouveler notre licence constitue une atteinte grave à la liberté de la presse dans notre pays. » Le dossier est actuellement étudié par l’organisation des États américains (OEA). « Si l’OEA nous condamne, nous sortirons de l’organisation », a menacé, lundi, Hugo Chavez. “ fin de l’article de Patrick Bèle publié dans le Figaro du 2 Mai 2007 intitulé “Chavez déclare la guerre aux institutions internationales”
Premier défaut du journaliste, il lit et se calque sur ce qu’écrivent les autres journalistes, et, pas n’importe lesquels, ceux de la presse dite de “référence”, à savoir le Washington Post, le Wall Street Journal, the Guardian, The Times, the Economist et, en France, le Monde, Le Figaro et Libération(2) Par cette facheuse tendance nous obtenons une sorte d’unanimité d’apparence pluraliste contre le processus en cours au Venezuela. Bien sûr la “carrière” de Chávez dans les médias n’est pas homogène, elle a subit des altérations, mais, en gros on peut dire, pour ce qui est de la presse française que l’on est passé d’un dictateur populiste peu crédible à vocation totalitaire à un personnage plus complexe et plus subtil, toujours populiste, toujours aussi irrationnel et brutal, mais sachant mener de manière habile et, forcemment sournoise, une diplomatie d’échelle régionale, capable de manoeuvrer afin d’atteindre peu à peu, on le pressent, le grade du dictateur communiste se tournant lui-même en ridicule aux yeux de la “communauté internationale”, mais maintenant son peuple-victime sous le baillon du totalitarisme.
N’oublions pas l’inévitable allusion au pétrole comme unique “arme” ou “moyen de paiement”, suivie généralement de la mention d’une ô combien compromettante amitié avec l’horrible Fidel Castro. “Avec 50 milliards de dollars de recettes pétrolières empochés chaque année - dont une bonne partie payés par les consommateurs américains -, Chávez a les moyens de servir sa « cause ». Son populisme antilibéral gagne du terrain et gonfle les rangs de ses obligés.”(3) "En face, Manuel Rosales, 53 ans, défend une « démocratie sociale » et dénonce « les dérives castro-communistes » d’un Président qui considère le dictateur cubain comme son « père révolutionnaire »”(4), “Le choc, il n’est pas entre des civilisations différentes. Il est entre ceux qui se sont convertis à la démocratie et ceux qui rêvent d’une société totalitaire.”(5) ;
Ainsi donc tout “évènement” au Venezuela méritant une couverture sera sélectionné en fonction de la conformité avec cette image préétablie (et qu’il convient d’amender quand décidemment la réalité la contredit trop cruement) et sera relaté au lectorat ainsi conditionné, sous forme d’un titre accrocheur, (“Chavez déclare la guerre aux institutions internationales”(6), “Chávez vise la réélection illimitée”(7)) allant dans le sens de ce préconditionnement, d’un sous-titre plus “objectif” (nous sommes tout de même dans la presse de référence) et d’un article contenant l’”information” englobée d’une suave rhétorique visant à rappeler que quoi qu’il s’y passe, au Venezuela il y a du pétrole, une ressource louche avec laquelle on peut “acheter” électeurs et peuples voisins, il y a Chávez, un bouffon populiste dont il faut se méfier car de tendance totalitariste.
Deuxième défaut du journaliste de la presse de référence, il a un ego surdimentionné, mais il est employé par des actionnaires très riches et très intéressés par la stabilité du régime démophobe dit de “démocratie représentative”. D’où l’impossibilité pour lui de changer d’avis et de revenir sur ses écrits précédents sans porter un coup à sa crédibilité mais surtout à son employabilité. De sorte qu’il lui faut filer la métaphore jusqu’au bout, maintenir en vie cet objet médiatique vendeur, en occultant ce qu’il faut pour pouvoir faire valoir son talent, sans trop avoir l’air de mentir ; “Le président américain arrive dans une région irriguée depuis des années par l’antiaméricanisme virulent que le président du Venezuela, Hugo Chavez, finance avec les revenus du pétrole de son pays, troisième fournisseur de brut des États-Unis.”(8). Ainsi de vagues dépêches AFP seront brillamment enrobées en articles d’envoyé spécial, que l’on s’imagine au bord de la piscine d’un grand hotel, se rêvant écrivain-journaliste, à l’instinct infaillible, interprète visionnaire des soubressauts du monde.
Dès lors, par des procédés journalistiques bien connus et qui sont appliqués à maintes reprises sur des “objets médiatiques” très variés, nous obtenons une sorte de cercle à l’intérieur duquel peut se développer une argumentation et des points de vues distincts mais au-delà duquel aucun de ces journalistes n’oserait s’aventurer. D’où l’occultation systématique de ce qui pourrait aller à l’encontre du discours de convenance sur Chávez et la politique du Venezuela, et, lorsqu’il faut bien parler de ce qui s’y passe concrètement, chacun s’emploie avec les ressources qui sont les siennes à masquer, minimiser, décrédibiliser les réussites objectives accumulées par le gouvernement bolivarien comme son incontestable respect du pluralisme et des canons de la démocratie. Ainsi donc, faisant fi des immenses avancées démocratiques et du profond bouleversement politique et social que connaît la société vénézuélienne, notamment dans sa partie la plus pauvre, les journalistes de Libération, du Monde et du Figaro s’appliquent à fabriquer l’image d’un tyran assis sur une bombonne de pétrole faisant la nique de manière boufonne et irréaliste à la toute puissante administration état-usienne. En bons élèves de la pensée unique néolibérale, ils n’hésitent pas à utiliser des formules rhétoriques usées jusqu’à la corde pour formater l’opinion publique dans le sens de ce qu’ils aiment appeler le “réalisme”, à savoir qu’il n’y a pas d’alternative crédible au neolibéralisme.
Parmi ces procédés rhétoriques on peut citer celui qui consiste à apposer une formule épithète à un nom ou une institution, déjà dénoncée dans les années soixante par H. Marcuse(9) , “Le très populiste et anti-impérialiste président vénézuélien, Hugo Chávez”(10) , le probabilisme, "il n’y a pas eu encore d’incidents... malgré la tension ... palpable"(11), ou l’utilisation de formules verbales et de certains champs lexicaux visant à colorer de manière négative la réalité par l’activation de connotations, “Alors que le chef de l’Etat s’est arrogé le pouvoir de légiférer et que le Congrès a été mis en veilleuse.. “(12) , “Avec en plus le levier des pétrodollars qui lui donne, sinon une stature, du moins une audience mondiale. Chavez arpente la planète et cajole sans relâche les adversaires des États-Unis. Il fraye avec l’Iran, achète des armes aux Russes et noue des alliances énergétiques avec la Chine ”(13) ; enfin la plus grossière qui consiste à volontairement laisser de côté tout un pan de l’information, faute de place, nous dira-t-on, voire à carrement mentir ; “Mais pour se donner des marges de manoeuvre, rien ne paraît suffisant au « lider bolivarien ». Ainsi il a décidé, en décembre dernier, la création d’un parti unique regroupant l’ensemble des partis qui le soutiennent”, notez comment le journaliste de Libération amène cette information de la création d’un parti uni de la gauche Vénézuélienne, le PSUV (Partido Socialista Unido Venezolano), de façon à ce que le lecteur, qui partage cette connivence de la gauche “réaliste” et, grâce à Libération, est au fait de ce qui se passe au Venezuela, traduise : Chávez est en train de s’arroger les pleins pouvoir avec la mise en place d’un parti unique, nous sommes bien en face d’un régime potentiellement totalitaire de type staliniste, on ne m’y reprendra pas deux fois...
Troisième défaut du journaliste, il a tendance à porter son regard de manière ethno- et sciocentrée, c’est ce qu’on appelle des effets de position et de disposition(14). C’est-à-dire qu’il lui devient impossible d’imaginer une politique étrangère qui puisse être portée par d’autre valeurs que la recherche de la puissance, de l’hégémonie et de l’intérêt, “le président Hugo Chávez, qui depuis son élection fin 1998 n’a cessé de clamer ses ambitions panaméricaines ”(15) ; car la pensée des relations internationales de Machiavel à Kissinger en passant par Ricardo ne laisse pas de place à la solidarité internationale, l’entraide, le don gratuit, en dehors de l’intérêt économique ou sécuritaire. De même tout discours et action politique basée sur une autre idéologie que la sienne, toute affirmation selon laquelle un peuple n’est en aucune raison tenu de suivre le “modèle” occidental, leur semble irrationnelle, indigne d’être prise au sérieux, “Il se rêve en « leader mondial » de l’anti-impérialisme”(16). Pire encore, ses fréquentations et ses préjugés lui impriment des attentes particulières quant à la manière dont un chef d’Etat doit se comporter pour paraître sérieux, réaliste, tout homme qui ne porterais pas cravate et qui se comporterais comme l’homme du peuple qu’il est, sera vu comme un populiste, un mégalomane voué aux gémonies de la presse occidentale, voire un bouffon dont on peut tout au moins se gausser ; “...des rodomontades qui rencontrent un immense succès.”(17). Ils lui préfèreront l’homme du monde, le riche, ou celui qui fait semblant, au moins, de jouer le “jeu”, celui du bourgeois gentilhomme.
Bien évidemment tous les lecteurs de ces journaux n’en sont pas dupes pour autant, en témoignent les nombreux commentaires souvent incendiaires à l’égard de tel ou tel article, mais, il est difficile de s’opposer à une telle machine de guerre qui tire sa force non pas de la subtilité de ses attaques mais bien de leur caractère répétitif. Des demi-mensonges, des contre-vérités répétées à outrance, chaque fois qu’il s’agit du Venezuela, finissent par produire une vérité, surtout lorsqu’elles viennent de tels journaux, surtout lorsque “la presse est unanime”.
Il va de soi qu’en l’absence de preuve nous nous refuserons à parler de manipulation voire de complot, préférant imputer ces distortions à des caractéristiques sociologiques propres au champ journalistique, pour ce qui est de la France au moins, car, il est désormais certain qu’un plan de “guerre psychologique” est mis en oeuvre par le Département d’Etat Américain. “Guerre psychologique” qui connaît une deuxième phase plus agressive (après le coup d’Etat manqué du 11 avril 2002), lancée par Mme Rice, en janvier 2005 dans son célèbre discours sur la “force négative” de Chávez en Amérique du Sud, et appuyée par la conférence de presse de Richard Boucher, porte parole du Département susmentionné, indiquant que “...le Gouvernement des Etats-Unis a de sérieuses préoccupations envers la politique antidémocratique et préjuciable du président Chávez et de son gouvernement”(18). Ainsi se diffuse dans les médias de masses étasuniens l’image de dictateur que l’on connaît, reprise en coeur par le reste de la presse occidentale et, plus grâve, à l’intérieur même du pays concerné. Les médias privés Vénézuéliens, ayant pris une part active dans le coup d’Etat de 2002, pratiquent une désinformation en règle visant à monter la population vénézuélienne contre son propre président pourtant réélu avec plus de 62% des suffrages.
Johann Caracas, le 18 Mai 2007.
1. Voir Patrick Champagne, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Éditions de Minuit, 1990. 2. Nous occultons ici volontairement le Monde Diplomatique car, s’il est bien un journal de référence à l’international, traduit en plusieurs langues, il n’est manifestement pas lu par les journalistes français écrivant sur le Venezuela. 3. “Le plan Bush contre Chávez”, éditorial du Figaro du 8 Mars 2007 par Stéphane Marchand 4. “Chávez vise la réélection illimitée, Le président sortant donné favori pour la présidentielle face à son rival Manuel Rosales.”, par J-H Armengaud, envoyé spécial de libération à Caracas, le 4 décembre 2006. 5. mardi 6 février 2007 Philippe Val de Charlie hebdo accuse dans une entrevue donnée au journal Libération, parlant de Chávez et Castro, au passage mis sur le même plan que Kim jong Il. 6. Article de Patrick Bèle publié dans le Figaro du 2 Mai 2007. 7. Libération, art. cit. 8. Stéphane Marchand, art. cit. 9. Voir l’Homme Unidimensionel, 1964. 10. Marc SEMO, le 25 décembre 2006 dans un article du journal Libération consacré au politiquement correct pendant les fêtes... 11. J-H Armangaud, Libération, art. cit. 12. “Démocratie participative à la Chávez”, Le Monde du 21 Avril 2007. 13. Stéphane Marchand, Le Figaro, art. cit. 14. Voir “l’Idéologie, ou l’origine des idées reçues”, Raymond Boudon, Paris, Fayard, 1986 (en poche : Seuil/Points, 1992) . 15. “Hugo Chávez dit« Ciao » à la Banque mondiale et au FMI”, par Vittori de Filippis, dans le Monde du 2 mai 2007. 16. “Jeu de dupe autour du pétrole brut”, Par J-h Armengaud dans le Libération du 13 mars 2007. 17. Stéphane Marchand, art. cit. 18. Conférence de presse du 14 janvier 2005 citée par Eva Golinger dans “Bush Vs Chávez : la guerre de Washington contre le Venezuela”, chap. 8.