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la perversion idéologique du libéralisme

Publie le jeudi 30 décembre 2004 par Open-Publishing

En mai 68, j’avais alors 18 ans, un slogan m’avait interloqué : nous ne voulons plus d’un monde où le risque de ne pas mourir de faim s’échange contre celui de mourir d’ennui.
Je me demande ce que l’auteur de cette pensée écrirait aujourd’hui.
Aujourd’hui où non seulement nous risquons de mourir d’ennui parce que nous n’avons plus de travail mais également de faim.
Dans l’antiquité les personnes indésirables étaient exilées, dans notre monde moderne elles sont exclues. Toute une catégorie de la population est exclue mais non pas pour un délit d’opinion, simplement parce qu’elle est en « trop ». Aurions-nous à ce point régresser depuis la Rome antique ?
Quelle perversion a fait que l’homme en est arrivé à rejeter ses semblables comme des mouchoirs en papier !

Depuis un quart de siècle, c’est à dire rien à l’échelle d’une nation et 25 ans de la vie humaine, nous assistons en direct à la transformation de nos sociétés. Nous en sommes autant spectateurs, acteurs que les victimes. Nous sommes passés d’une société qui était rigide, sclérosée, figée dans ses principes à une société « cassée » idéologiquement. Cet état à généré des conséquences inédites dans l’évolution du rapport de forces social. C’est en partie à cause pour nous tous, et grâce pour un petit nombre, à cette cassure, cette faiblesse dans la cuirasse des mentalités, bousculées par une remise en cause de dogmes centenaires, que c’est introduit une autre forme de pensée, une idéologie de remplacement, profitant de ce point de faiblesse providentiel.

C’est cette transformation des valeurs en une idéologie libérale, ne faisant référence qu’au marché, qui est le véritable symbole de la réussite des théoriciens et des détenteurs du capital.

Un groupe bien particulier attendait dans l’ombre des cénacles son heure de gloire - les détenteurs de capitaux - . Ils surent par un lent et méthodique travail de préparation, de sape des institutions, faire advenir ce qui les rendrait prospères. Comme un virus à l’œuvre, ils ont fait travailler pour eux l’organisme social et comme un cancer généralisé, phagocyter les partis, les syndicats et l’esprit citoyen.

Les crises ou plutôt les « situations » de crises qui ont suivi avaient déjà leurs remèdes car, en bons médecins, ces financiers des temps nouveaux, avaient acquis la science de la manipulation qui introduit la maladie et qui soigne cette même maladie.

Ainsi, le combat un instant orienté vers d’autres voies, vers plus de justice et d’équité, vers un autre système économique et de civilisation plus fraternelle où la richesse serait devenue un bien de répartition, ce combat fut perdu d’avance.

 »Ces bâtisseurs » ont construit le néolibéralisme ambiant qui occupe notre quotidien et dans la foulée l’uniformisation d’une politique et d’une économie « acceptable » que plus tard on reprit sous l’appellation de mondialisation, c’est à dire l’instauration de la précarité comme une loi naturelle et l’oblitération des consciences comme une évolution innée de notre perception cognitive, Je pourrais presque dire comme une mutation allant de soi, du moins le postulat de départ était- il bien le coma de notre libre arbitre. Comme on disait à l’époque de Pascal : la nature à horreur du vide, nous dirons aujourd’hui que la mentalité humaine ne peut pas se passer du profit. Tous ceux qui oseraient dire le contraire sont de gentils utopistes. C’est le résultat probant d’une logique froide et implacable.

Les hommes avaient perdu la foi, ils l’ont retrouvé : nous adorons à nouveau le « veau d’or ».

Ce travail de reconquête fût sans doute laborieux car il demandait de la finesse pour solidifier le terrain d’où allait essaimer des nouveaux pouvoirs décisionnels.

Comment ces pouvoirs se sont ils mis en place ?

Pour cela, je voudrais revenir un peu en arrière et ouvrir une page d’histoire, rappelons-nous :

Au sortir du second conflit mondial, un certain nombre de grandes institutions internationales sont nées de la volonté de tenir compte de l’expérience dramatique des conflits qui ont embrasé le monde durant la première moitié du XXe siècle. Les accords de Bretton Woods donnaient ainsi naissance au Fond Monétaire International (FMI), à la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) qui allait financer la reconstruction de l’Europe (Plan Marshall) puis devenir par la suite la Banque Mondiale. Dans la foulée, les États membres de ce nouvel ensemble signaient, en 1947, un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce dénommé le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Au-delà de ce foisonnement institutionnel, il faut bien comprendre les leçons de l’entre-deux-guerres qui fut une période de montée des nationalismes, d’exacerbation des tensions mercantilistes et de fermeture des nations guerrières. L’économie de guerre de l’Allemagne nazie était une économie de l’autarcie, qui refusait l’échange car elle refusait d’être dépendante de ceux qu’elle se préparait à attaquer. Certes, certains observaient que cette économie de guerre et de fermeture a donné de l’emploi aux Allemands... mais à quel prix -
C’est d’ailleurs pourquoi l’argument de la politique de l’emploi est ambiguë, notamment lorsque les hommes politiques nous disent que l’emploi doit être la préoccupation majeure de toute politique. Il n’y a pas de chômage dans une prison et le chômage (on disait l’oisiveté) était interdit et réprimé en Union Soviétique. On peut donner de l’emploi en demandant à des individus de creuser des trous, puis à d’autres individus de les reboucher. Mais, si l’on occupe ainsi les gens, on gaspille aussi leur temps ; ce sont des faux emplois. -Combien de trous ainsi rebouchés style emploi fictif économiquement s’entend.

Comme un tel contexte de fragmentation de l’espace international ne pouvait que dégénérer en conflit, il en est ressorti que le monde serait d’autant plus pacifié et civilisé que les pays seraient ouverts aux échanges. Dans cet esprit, les accords du GATT avaient pour objectif de promouvoir le « libre-échange ».

Remarquons au passage que, dans un monde réellement libéral, de telles organisations - qui sont en fait des administrations internationales financées par des fonds publics - ne devraient pas exister car elles sont le résultat de la volonté des dirigeants de vouloir « réguler » l’économie. Or, ce sont normalement les échanges qui régulent justement l’économie en faisant en sorte que les intérêts forcément contradictoires des uns et des autres (acheteurs et vendeurs, salariés et entrepreneurs, emprunteurs et prêteurs, exportateurs et importateurs) se transforment en équilibres (en offres et demandes), équilibres certes perpétuellement mouvants et toujours provisoires car les sociétés humaines sont forcément en mouvement. Mais, si les intérêts des acteurs économiques sont contradictoires à court terme (si je donne plus au salarié à l’instant, le patron et l’actionnaire perçoivent moins au même instant), ils deviennent complètement complémentaires et solidaires à long terme (pour que je puisse être salarié, il faut des créateurs d’entreprises ; pour pouvoir créer des entreprises, il faut des individus qui apportent leurs compétences ou du capital, etc.)

Mais je m’écarte de mon propos initial, penserez-vous, j’y reviens. Car ce que je veux faire comprendre c’est l’importance de la peur, preque atavique, tellement elle serait destructrice, d’un conflit mondial, il n’y avait donc pas d’alternative, dans les termes que le monde serait d’autant plus pacifié qu’il serait libéral et qu’il serait d’autant plus libéral qu’il deviendrait civilisé.
Le libéralisme pour beaucoup de nos contemporains est étroitement associé aux valeurs de paix et de civilisation. - Le libéralisme c’est la paix et la civilisation - sacré tour de prestidigitation -

Il était aisé d’introduire les leviers qui allait ouvrir toutes les portes de commandement et des pouvoirs de choix :
Ce fut donc l’application d’un autre remède, génial dans son application, le recours à un ordre, celui des conseillers et des experts, le placement des bonnes pièces aux bons endroits avec un discours oh ! combien évocateur - l’homme trouve son juste prix sur le marché - le meilleur moyen de réduire le nombre d’indigents est de ne pas les secourir - si les pauvres savent qu’il leur faut travailler pour ne pas mourir de faim, ils travaillent - si des hommes jeunes savent qu’ils n’auront pas de secours dans leur vieillesse, ils économisent - si les vieillards savent qu’ils auront besoin de leurs enfants, ils tâchent de s’en faire aimer... Nous touchons là au ressort subliminal de la peur du conflit dans un système capitaliste, celui de perdre la « liberté » du libre échange, (les loups étant dans les bergeries à l’insu du plein gré des moutons, la représentation pouvait commencer), d’où le recours à mon petit détour historique.

Je ne suis pas certain que dans un quart de siècle, l’effondrement du capitalisme et de sa philosophie libérale survienne, et coïncide, avec du recul, comme le retour à une période d’innovations brillantes et éclatantes, préfigurant les fastes d’une renaissance lumineuse, fraternelle, humaniste et équitable mais le doute est permis et j’entretiens l’espoir de me tromper. Car, sur tous les fronts nous voyons une autre révolution de l’information changer le tissu, le rythme et la substance de la vie. Nous parlons à peine de démocratie participative qui, je pense est déjà dépassée, alors qu’il faudrait penser démocratie anticipative quand l’histoire et l’avenir se télescopent aussi rapidement.

Nous ne pouvons plus nous borner à la simple observation des évènements, nous devons prévoir des cadres prévisionnels adaptés pour le super combat qui s’intensifie.
Je ne crois pas que nous assisterons à la reprise d’un drame révolutionnaire entraînant les masses, ni même au renversement des élites dont le terrorisme serait le catalyseur. Nous assisterons à, peut être, une nouvelle forme de résistance visible, invisible et certaines fois clandestine, éparpillée en mille îlots sur de multiples lieux, intervenant sur de multiples plans, sans doute pendant des années, petit à petit, pour réveiller de son coma traumatique notre conscience citoyenne. Un combat à été perdu mais pour certains une guerre continue.

Notes de l’auteur : Une opinion qui n’engage que moi mais qui nous concerne tous. On peut affirmer sans trop errer que le " NE QUID NIMIS " (rien de trop...) des latins a été un invariant dans toute la tradition de la sagesse universelle. A chaque fois qu’un excès, quel qu’il soit, est apparu dans l’histoire et a été présenté comme recommandable, l’humanité est tombée dans les pires déchéances.