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médias officiels sous controle et censure a nantes

Publie le mardi 14 décembre 2004 par Open-Publishing

Des immigrés expulsés à Nantes

ou les recettes d’un verrouillage médiatique

Comment faire pour ne pas rendre compte de façon explicite de la
décision d’expulsion prise par le maire de Nantes, le 27 octobre
2004, à l’encontre de trois familles étrangères (deux
algériennes et une congolaise) déboutées du droit d’asile ?
Comment s’y prendre pour rendre obscure la chronologie et la
compréhension des faits ? Comment traiter l’information pour que
les responsabilités soient diluées au point de ne plus pouvoir
les imputer à quiconque ? A qui et comment donner la parole dans
l’écriture d’un article pour construire a posteriori une
justification des décisions municipales ?

C’est à ces questions « déontologiques » qu’ont été confrontées
les rédactions des deux quotidiens nantais : Presse-Océan et
Ouest-France [1]. Pourtant les faits sont là : simples,
affligeants, incontestables et leur narration aisée... Trois
recettes permettent pourtant de verrouiller l’information

Recette n°1 :
Trouver des titres qui détournent l’attention

Le 27 octobre 2004 à 6h10 du matin, une trentaine de policiers, armés
d’un bélier, ont investi la maison des syndicats de Nantes pour expulser
les trois familles dont quatre enfants de 18 mois à 8 ans. Déboutées de
leur demande du droit d’asile cet été, elles avaient été hébergées
depuis par le diocèse de Nantes. Les locaux qu’elles occupaient étant
réquisitionnés pour la mise en place du plan hivernal d’hébergement
d’urgence, la mairie, contactée par les associations, s’est alors
engagée à trouver une solution. Mis pourtant à la rue, fin octobre,
c’est avec l’accord de tous les syndicats que le collectif des
sans-papiers et le collectif Enfants étrangers citoyens solidaires
installent provisoirement les familles dans une salle de la bourse du
travail le lundi 25 octobre et pensent leur offrir une protection dans
ce lieu hautement symbolique.

C’est pourtant là qu’elles seront arrêtées au matin du 27 par les forces
de l’ordre dépêchées par le cabinet du maire et, après un passage en
garde-à-vue, placées en détention avec les enfants à 9h 55. Suite au
tollé suscité par ces événements les 9 sans papiers sortiront du
commissariat central vers 18 h. À 18h30, les forces de l’ordre évacuent
sans ménagement la centaine de militants d’association qui occupaient le
hall de la mairie. Depuis des arrêtés de reconduite à la frontière ont
été prononcés.

Les titres embarrassés de la presse locale, le lendemain, sont à la
hauteur de leur gêne à traiter des faits qui touchent à l’image même de
la mairie dirigée par J.M Ayrault et viennent fortement contrecarrer les
stratégies de la communication municipale. On est loin, en effet, de
l’image de Nantes relayée, à l’envi, par les médias ou assénée, dans ces
mêmes médias, par l’achat d’espaces publicitaires. « Nantes, l’effet
Côte Ouest.... L’émotion fortifie les talents... Un géant tombé du ciel
(il s’agit de Royal de Luxe), un quatuor avec piano (il s’agit des
"Folles Journées"), c’est stimulant, c’est comme une émulation, un
besoin de renouveau... Deux mille chercheurs travaillent à Nantes,
inventent le futur, etc. » [2]

Les deux quotidiens nantais ont choisi de ne pas troubler le climat de
quiétude consensuelle qui pèse lourdement sur la démocratie
participative nantaise [3]et accepté d’être l’instrument d’un brouillage
et d’un verrouillage médiatique concernant ces déboutés du droit
d’asile. Ouest-France titre « Des sans-papiers gagnent un délai. À
Nantes, trois familles étrangères occupaient la Maison des syndicats »
et Presse-Océan « Deux familles menacées d’expulsion : la mairie de
Nantes occupée » [4]. Allez comprendre avec cela ce qui s’est passé la
veille !

Recette n°2 :
Mélanger le commentaire journalistique et la parole des élus

Le mélange entre le commentaire journalistique et la communication
politique permet de rendre invisible ce qui est visible.

La journaliste de Ouest-France, loin dans le corps de son article,
explique incidemment : « Mais hier matin, c’est l’expulsion. Sans
violence (sic). Dans un communiqué, la ville de Nantes (il n’est pas
écrit le cabinet du maire) reconnaît qu’elle a donné l’ordre d’évacuer
(ce n’est plus une expulsion par la police, suivi d’une arrestation et
d’un placement en détention) après avoir cherché, en vain (re-sic), une
solution d’hébergement provisoire. » Non, à Nantes, il n’y avait pas de
solution d’hébergement provisoire comme le déclare à Presse-Océan
l’adjointe au maire, déléguée à la solidarité : « Au titre de la
protection maternelle et infantile (on fait dans le social et
l’humanitaire à Nantes), nous avons proposé aux familles de trouver (il
n’est pas dit : nous avons trouvé) des solutions d’hébergement pour les
femmes et les enfants, mais cette solution a été refusée d’emblée
(bigre !). Ils (c’est qui ils ?) ne veulent pas être séparés (Quand
même, ces étrangers, ils se croient tout permis) » [5]..

L’adjointe au maire, devenue pompière pour l’occasion, donne alors le
fin mot de l’histoire. Le cabinet du maire n’est pas responsable de
l’expulsion mûrement réfléchie qu’il a demandée à la police : « Les
familles étaient dans un lieu municipal. On ne pouvait accepter une
telle occupation... C’est un sac de noeuds (re-re-sic) qui nous est
arrivé là.. » Et Presse-Océan ajoute son commentaire : « La ville de
Nantes (tous les nantais donc ?) ne pouvait faire davantage que
d’assurer le relais de la préfecture -faute de pouvoir décisionnaire
(re-re-re-sic. Qui pourtant a pris la décision ?) dans cette
histoire..." [6]
Ce n’est pas moi, c’est l’autre. Moralité, c’est la fatalité qui a
conduit, par hasard, 9 personnes au commissariat.

Recette n°3 :
Ignorer ou minimiser ce qui dérange

A force d’atténuations et de dissimulations, le journalisme de
complaisance parvient à laisser entendre qu’il ne s’est rien passé.
Dormez braves gens On vous informe

L’affaire aurait pu s’arrêter là, si le mardi suivant n’était inaugurée,
à l’initiative de la municipalité, la semaine « Solidaire ici et
ailleurs » au centre Cosmopolis. Premier débat où était convié le tout
Nantes humanitaire : « Demandeurs d’asile, une chance pour Nantes »,
illustrée par l’exposition témoignage d’un « grand » reporter
photographe.

Comme quoi, la fatalité, quand elle a mauvaise conscience, a le pouvoir
de se jouer du calendrier.
200 personnes, rassemblées par les collectifs Enfants étrangers citoyens
solidaires et de Soutien aux sans-papiers, se sont invitées au débat.
Les bien-pensants d’un côté et de l’autre les trublions avec des
banderoles « La droite expulse, la gauche collabore », dans un dialogue
un peu chaud. Pourtant, il ne s’est pratiquement rien passé selon
Ouest-France [7] et surtout il n’y a rien à en dire de plus qu’une
phrase dans un article consacré au collectif des sans-papiers : "A
Cosmopolis où démarrait la semaine, ils (les collectifs) ont fait
entendre leur voix ". Affirmation amplifiée par Presse-Océan qui lui
consacre quatre colonnes au titre particulièrement limpide : « Solidaire
ici et ailleurs : les collectifs de soutien aux deux familles
algériennes s’invitent au débat. » Pour le journaliste envoyé sur place,
l’adjoint au maire présent, Yvon Chotard « a préféré ne pas s’exprimer,
estimant que la mairie n’avait rien à ajouter » [8].

Tous les présents ont constaté le contraire. Après avoir fait pleurer
les présents en question sur la misère matérielle de « ces gens venus
des pays pauvres », ce membre du barreau nantais, auréolé de ses
engouements passés pour la mouvance situationniste, a accusé les membres
des collectifs « d’être instrumentalisés par l’extrême gauche » et
« d’instrumentaliser des enfants et des familles en situation difficile
 ».
Il lui a été rétorqué que les personnes arrêtées à Nantes étaient
peut-être en France parce qu’elles fuyaient la pauvreté mais d’abord,
parce que menacées dans leur pays, elles demandaient le droit d’asile.

On attend encore les clichés du reporter photographe sur cet épisode
nantais de leur errance. Il pourrait les sous-titrer : « Nantes, une
chance pour les demandeurs d’asile ».

Pierre Nyébolo

[1] Editions du 28 octobre 2004

[2] Au hasard des pages de publicité dans la presse hebdomadaire ou
quotidienne, nationale ou locale

[3] Mathias Le Galic : « La démocratie participative, le cas nantais ».
Editions de l’Harmattan. 2004

[4] Editions du 28 octobre 2004

[5] Deux des enfants connaissent des problèmes de santé dont de l’asthme

[6] Edition du 28 octobre 2004.

[7] Édition du 3 novembre 2004

[8] Édition du 3 novembre 2004

source : ACRIMED

http://www.acrimed.org/article1855.html

réseau résistons ensemble

http://resistons.lautre.net