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FSE : un rendez-vous altermondialiste contre les « cavaliers de l’apocalypse »

Publie le jeudi 14 octobre 2004 par Open-Publishing

de Thomas Lemahieu

« À combien on en est ? Ah, je ne sais pas. Jane, combien d’inscriptions ? » Aux prises avec un listing de plusieurs mètres, la jeune femme s’époumone : « 12 000 ! » À quelques - dizaines d’heures de l’ouverture, vendredi matin, du troisième Forum social européen (FSE), on s’active au siège du secrétariat britannique chargé de l’organiser. Évidemment plus la date se rapproche, plus la pression monte. « C’est le bordel, mais alors, grave », s’exclame un jeune Français venu il y a quelques jours de Châteauroux pour donner un coup de main. État des lieux sur la ligne de départ.

Délégués. D’après les derniers décomptes, en dehors des Britanniques, ce sont les citoyens de « l’État espagnol », comme on dit dans la langue alter- mondialiste, qui devraient constituer le plus gros contingent : près de 2 000 militants viendront de la péninsule ibérique. Les Allemands seront dans les 1 500, suivis par les Italiens et les Français (autour de 1 000 pour ces deux pays). Les Grecs, qui accueilleront le quatrième FSE à l’automne 2005 ou au printemps 2006 - une assemblée européenne d’organisation du forum devrait trancher cette question ce jeudi matin -, ne seront pas en reste avec, eux aussi, près d’un millier de participants attendus. Venus de l’Est, on promet plusieurs centaines de Hongrois, Russes, Tchèques, Polonais, Roumains ainsi que des ressortissants des Balkans. Pour l’heure, ce sont les Anglais qui font quelque peu défaut, mais, promettent les organisateurs locaux, « c’est juste parce qu’ils ne s’inscriront qu’à la dernière minute ». Dans ce contexte, la barre de 60 000 participants au FSE de Florence (50 000 en France l’année dernière) paraît toutefois hors d’atteinte.

Inauguration. À la différence de ce qui s’est passé à Florence en 2002 et à Paris-Saint-Denis-Bobigny-Ivry en 2003, il n’y a ni fête ni meeting d’« ouverture » officielle du FSE de Londres. Ce soir, devant un parterre réduit à mille participants, Ken Livingstone, maire de Londres (réintégré depuis le début de l’année dans le Parti travailliste), prononcera un discours d’accueil pour les « délégués », en compagnie d’Aleida Guevara, la fille du Che, de Susan George (ATTAC France), de Meena Menon (Forum social mondial de Mumbai, Inde), de Frances O’Grady (TUC, la confédération syndicale britannique), de Thenjiwe Mtintso (ANC, Afrique du Sud) et de Gerry Adams (Sinn Féin, Irlande du Nord). De son côté, dans un cinéma londonien, le réalisateur militant Ken Loach présentera une version remontée - la « director’s cut » - de son film Bread and Roses.

Finances. Dans un pays où l’ensemble des services publics subissent un démantèlement minu- tieux depuis le début des années quatre-vingt et où, dans le même temps, les administrations locales ont été progres- sivement privées des moyens de mener les politiques publiques qu’elles entendent, ce troisième FSE n’aurait pas été comparable aux précédents sans l’apport financier (aux alentours de 400 000 euros) de grosses fédérations syndicales britanniques comme Unison (services publics), TGWU (transports et docks), GMB (précaires), NAFTHE (enseignement supérieur), CWU (poste et télécommunications) et RMT (rail). La mairie de Londres a, elle, versé près de 625 000 euros pour ce FSE. Le quotidien de référence The Guardian « soutient », lui aussi, l’événement en offrant quelques pages de pub gratuites, en échange d’un accès « privilégié » aux stars de l’altermondialisation présentes pendant ces trois jours. Dernier poste de « recettes » pour le FSE, les droits d’inscription pour les « délégués » s’élèvent à 45 euros (30 euros pour les précaires et les étudiants).

Organisations « affiliées ». En dehors du syndicalisme britannique (avec la confédération TUC en tant que telle, mais aussi à travers les fédérations citées ci-dessus et les unions locales), les très grosses organisations non gouvernementales (ONG) anglaises, comme Oxfam, Amnesty International, Jubilee Debt Campaign ou War on Want, participent, au premier rang, à ce FSE. Au niveau du pays, ce n’est pas négligeable : en effet, jusqu’ici, dans le mouvement altermondialiste, la repré- sentation de la composante britannique avait été largement captée par les « réseaux » plus informels comme Globalise Resistance et la Stop the War Coalition, eux-mêmes guidés par une petite formation trotskiste, le Socialist Worker Party (SWP). À un niveau sans égal jusqu’à présent, les associations religieuses, voire les Églises pour certaines d’entre elles, prennent également part à ce FSE. Avec la Ligue anglaise de lutte contre le racisme, l’Association musulmane de Grande-Bretagne (Muslim Association of Britain) et le Conseil musulman britannique ont - fait assez inconcevable ailleurs que dans une société très avancée dans le commu- nautarisme - mis sur pied un programme de séminaires centrés sur l’islam et le rôle des musulmans dans le monde. Mais dans le même temps, au Conway Hall, où les délégués retirent, à partir de ce matin, leurs accréditations, on ne se prive pas, par voie d’affiches, d’interpeller vigoureusement tous les « opiums du peuple ». Normal : c’est un temple de la libre-pensée et il est, lui aussi, organisateur du FSE.

Slogan. Les affiches officielles du FSE hurlent, sur fond arc-en-ciel, qu’un « Autre monde est possible ». En petit comité, l’équipe anglaise d’organisation a, malgré le caractère continental du FSE, décidé de mettre en avant le monde et non pas l’Europe. « Dans le débat public en Grande-Bretagne, l’Europe, le modèle social ou la constitution ne sont vraiment pas des thèmes populaires », tente de justifier un syndicaliste de l’extrême gauche britannique. Des propos à faire grincer un des papes de l’alter- mon- dia- lisation en France qui va, ces jours-ci, répétant : « Ce forum ne sera ni social ni européen. »

Thèmes. La guerre en Irak est sans conteste le sujet central de ce FSE aux yeux des organisateurs britan- niques. La lutte contre le racisme et la montée des populismes d’ex- trême droite mobilise particulièrement les Anglais. Viennent ensuite les thèmes habituels pour la cinquantaine de plénières : environnement, démocratie, citoyenneté, droits sociaux, justice, mondia- lisation finan- cière, médias, culture, etc. Alors qu’un forum des autorités locales et un forum parle- mentaire accompagnent en parallèle le FSE, deux séances de dialogue, au sein du forum, avec les partis politiques sont également programmées. Comme une confirmation de ce qui s’est passé à Paris-Saint-Denis-Bobigny-Ivry, derrière les « vitrines » des plénières, ce sera proba- blement dans quelques arrière-salles parmi les 160 séminaires que l’on produira la plus grande richesse politique dans la construction, pas à pas, des alternatives. Bon nombre de rencontres porteront ainsi sur « l’avenir du mouvement », sur « ses stratégies et ses perspectives » ainsi que sur les perspectives politiques à gauche et sur le rôle de l’altermondialisation dans les débats en cours.

« Assemblées ». Les réseaux féministes ont réussi à maintenir, non sans quelques difficultés, à l’intérieur du processus du forum, une « assemblée des femmes » programmée vendredi matin, ; elle s’achèvera avec la proposition d’une « initiative féministe pour le non à la constitution ». Au cours de leurs rendez-vous respectifs, les chômeurs et les migrants prendront plus que probablement, eux aussi, une position tranchée sur la constitution. Enfin, discuté lors de l’assemblée des mouvements sociaux, qui aura lieu dimanche matin, l’appel traditionnel dit « des mouvements sociaux » cible prioritairement, dans une version encore provisoire, le traité en débat dans les vingt-cinq pays de l’Union. « Au moment où le projet de constitution européenne entre dans la phase de ratification, nous tenons à affirmer qu’une consultation directe des peuples de l’Europe est nécessaire, affirme l’appel des mouvements sociaux. Ce projet de constitution ne répond pas à nos aspirations. Il "constitutionnalise" le libéra- lisme comme doctrine officielle de l’Union européenne ; il consacre la concurrence comme fondement du droit communautaire et de toutes les activités humaines (...). Il maintient le social dans le statut de pièce rapportée d’une construction européenne fondée sur le primat du marché, et acte, de fait, le démantèlement déjà programmé des services publics. »

Manifestation. Dimanche après-midi, en clôture du FSE, la manifestation sera, aux yeux des Britanniques, le point d’orgue d’une mobilisation qui risque d’être résumée à la seule opposition à la guerre en Irak. « Il est temps de partir ! Bush dehors ! Les troupes dehors ! » affirment les affiches collées au secrétariat d’organisation du FSE et signées seulement par Stop the War Coalition et la Muslim Association of Britain. Le cortège s’achèvera par un grand concert à Trafalgar Square. « Nous sommes fiers de répondre présents au carnaval des résistances contre les deux cavaliers de l’apocalypse », explique Pandit G, chanteur du groupe Asian Dub Foundation.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-10-14/2004-10-14-405374