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L’écologie ne change rien

Publie le mercredi 2 juin 2010 par Open-Publishing

Résumé :
Après avoir réalisé un score important aux dernières élections régionales, le mouvement français Europe écologie (EE) qui réunit le parti des Verts et de multiples organisations périphériques est divisé sur la manière de capitaliser sur ces résultats ; d’un côté se trouve une tendance à faire nettement primer le parti Vert, autour de l’ex-soixante-huitard Daniel Cohn-Bendit, et de l’autre une tendance plus "ouverte" autour de la jeune secrétaire nationale, Cécile Duflot. Pour autant, la perspective nationale réformiste qui unis ces deux tendances est bien plus forte que tout ce qui peut les diviser.

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L’alliance hétéroclite Europe écologie (EE), formée autour du parti Vert depuis 2007, a réussis une percée aux derniers scrutins français (de 12 à 20 % suivant les régions aux européennes de juin 2009 et de 9 à 16,5 aux régionales cette année), s’établissant comme la troisième force politique du pays derrière le PS et l’UMP.

On y trouve des altermondialistes comme José Bové, l’ex-juge d’instruction Éva Joly qui s’était illustrée dans la lutte contre la corruption, ou encore la « Fédération régions et peuples solidaires » qui est elle-même un regroupement des partis régionalistes de France, de nombreux responsables d’associations de la "société civile", et quelques dissidents du PS ou du PCF.

Ses succès permettent aux Verts français d’envisager de jouer un rôle politique de "faiseurs de rois" comparable à celui des Verts allemands, lesquels s’allient aussi bien avec le SPD socio-démocrate (à Berlin et dans le gouvernement fédéral) qu’avec la CDU de droite (à Hambourg et en Sarre).

Mais pour cela, ils doivent pouvoir s’assurer du contrôle de la « galaxie » Europe écologie. C’est sur le meilleur moyen de réaliser ce contrôle que portent les dissentions actuelles au sein des Verts.

Daniel Cohn-Bendit, la figure emblématique du parti Vert en France et en Allemagne, est signataire avec d’autres dirigeants historiques des Verts comme Dominique Voynet et Alain Lipietz d’un « appel du 22 mars » [la date a été choisie pour évoquer le mouvement étudiant de tendance anarchiste de 1968 dit « mouvement du 22 mars » auquel il avait participé], qui appelle, en des termes très prudents, à « consolider la singularité politique de notre mouvement et penser sa métamorphose organisationnelle, dans le sens de l’autonomie, » c’est-à-dire à transformer par étapes EE en un parti à part entière.

Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts depuis 2006, y a répondu le 11 avril dans un texte appelant à : « un parti-société, tourné vers l’extérieur et en perpétuelle transformation, » comprendre : une organisation plus lâche, laissant plus de place aux négociations locales, qui pourrait intégrer (et rejeter) telle ou telle tendance suivant les besoins électoraux du moment.

Une « réunion de crise » a été organisée le 15 avril pour tenter d’aplanir les divergences entre ces deux tendances, dans l’attente d’un congrès en fin d’année, « Je veux que la création du mouvement intervienne fin 2010, pour pouvoir se positionner sur les primaires et négocier avec le PS, » a déclaré Cohn-Bendit au Monde.

La seule décision concrète qui en soit sorti est de créer rapidement la possibilité pour les militants d’adhérer directement à EE sans passer par une organisation membre, afin d’éviter la fuite des membres de base inquiétés par ces dissensions. Après un bon score aux élections européennes de 1999, emmenés par Cohn-Bendit, les dissensions internes avaient déjà rapidement fait retomber l’enthousiasme chez les Verts et ils cherchent activement à éviter que cela ne se reproduise.

Le côté foncièrement réformiste de la perspective qui anime EE, quelle qu’en soit la variante, est formulé d’une manière que les dirigeants d’EE ne reprendraient pas forcément à leur compte mais pourtant très juste dans la contribution d’Alain Thiriel, l’un des bloggeurs dont les articles sont repris sur le site d’Europe écologie, intitulée « En attendant la révolution… présidentielle 2012 ! », qui s’ouvre ainsi : « Quoi que l’on puisse penser de notre système institutionnel, un changement de régime ne pourra jamais être un préalable à la mise en oeuvre d’un projet de société alternatif. Dès lors, gagner l’élection présidentielle constitue une étape incontournable […] »

Dans les circonstances économiques globales actuelles, où le réformisme ne dispose plus des bases matérielles qu’il avait dans les années 1950 à 70 pour faire des concessions à la classe ouvrière, et où la compétition entre grandes puissances s’achemine clairement vers des confrontations militaires violentes, le seul sens de ces perspectives est de continuer à distraire l’attention de la population, en recouvrant d’un vernis vert les vieilles recettes du PS et du PCF qui ne parviennent plus à mobiliser les masses à elles seules. « [au second tour des régionales] on a réussi à assumer un accord avec le PS qui rendait compte de nos divergences. Sans que cela n’altère notre capacité à travailler en commun » a déclaré Duflot dans un entretien accordé le 18 avril à Médiapart, exprimant clairement le caractère secondaire de ces « divergences ».

Les questions de la crise économique la plus grave depuis 1929 et des tensions internationales qui en résultent n’occupent d’ailleurs aucune place dans les deux lettres de Cohn-Bendit et Duflot, et le programme d’EE aux dernières élections s’il évoque la suppression des services publiques, reste muet sur le reste et notamment les tensions internationales, même la « fermeture des paradis fiscaux » semble pouvoir se faire dans le cadre des états-nations capitalistes actuels.

Quant aux Verts eux-mêmes, leur position sur la guerre en Aghanistan est la même que le PS (qui était au pouvoir avec eux et le PCF lors de l’invasion) : leur communiqué de presse le plus récent sur l’Afghanistan date du 2 avril 2008 et se borne à faire état de divergences purement tactiques : « Les Verts se prononcent contre l’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan, signe de l’atlantisme du président Sarkozy. […]Cette guerre n’est pas gagnable sans un plan d’urgence économique et social, […]. C’est sur ce terrain là d’abord que se gagnera la lutte contre Al Qaïda et ses alliés. » Qui passent sous silence l’objectif principal de ces opérations criminelles, le contrôle de la région du monde la plus riche en ressources énergétiques, et n’appelent pas au rappel des troupes déjà présentes.

Plus largement sur les questions internationales, le rôle volontairement adopté par les Verts est celui d’un conseiller prudent mais parfaitement fidéle de la bourgeoisie, simplement chargé d’apporter quelques lumières sur l’impact que les questions écologiques auront sur la défense nationale. Dans leur contribution au Livre Blanc sur la défense de 2007, ils indiquent par exemple que « une politique de Défense et de sécurité nationale raisonnable devrait tenir compte de la réduction de nos approvisionnements en matières premières. Il en est de même pour nos approvisionnements en uranium pour lesquels la France est notamment dépendante du conflit interne au Niger, entre les rebelles touaregs et le gouvernement nigérien. »

Sur le conflit yougoslave, ils déclarent, « les conflits meurtriers, entre les anciennes régions de la Yougoslavie et l’implosion de ce pays ont été traumatisants pour les écologistes. Si nous avions donné d’autres perspectives politiques, tous ces pays auraient, par exemple, pu entrer dans l’Union européenne, et pas uniquement la Slovénie. » Alors que ce sont justement les politiques de privatisations demandées par le FMI, et globalement similaires à celles exigées par l’UE, qui ont poussé ce pays à se déchirer. Si les Verts français ne sont pas encore allés aussi loin que les Verts allemands, qui soutiennent l’envoi de troupes supplémentaires à l’étranger et ont un programme ouvertement libéral, ce n’est qu’une question d’opportunité. La forte présence de Cohn-Bendit, qui a fait toute sa carriére à cheval entre la France et l’Allemagne, le montre clairement.

Ayants fondé une grande partie de leur idéologie sur le fait que c’est la manière de consommer qu’il faut changer, les Verts se sont associés au boycott d’Israël dans un communiqué du 15 octobre 2009, une initiave qui contribue à diviser la classe ouvrière selon des lignes nationales.

En fait, la classe ouvrière n’est que peu convaincue par cette nouvelle version du réformisme : contrairement à l’impression générale que cherchent à donner les médias, le succès de l’écologie "politique" corresponds plus à un déplacement du vote des électeurs traditionnels de gauche et du centre-droit, qu’à un regain du militantisme populaire, en témoignent les records d’abstention établis aux deux derniers scrutins (59,5 % aux européennes et 53,67 % au premier tour des régionales).

C’est ce qui a motivé un changement de la position classique des Verts sur un certain nombre de questions sociales, notamment par Duflot qui a besoin de se démarquer d’un Cohn-Bendit qui s’était chargé de l’élargissement d’EE vers la droite en entretenant des liens avec des personnalités du mouvement écologiste très marquées à droite comme Corinne Lepage (ministre dans le gouvernement Juppé en 1995-97 et proche de François Bayrou) ou Antoine Waechter (ex dirigeant des Verts qui insitait sur l’indépendance des partis écologistes face à la gauche et à la droite dans les années 80, mis en minorté il avait quitté le parti en 1994 pour finalement soutenir Bayrou à la présidentielle de 2007 avant d’intégrer EE pour les régionales de 2010 en acceptant une fusion avec la liste PS). Ce qui laisse envisager une future alliance Modem-Verts-PS.

Ces questions sont reprises dans l’entretien accordé à Médiapart, Duflot essaye d’y présenter son mouvement comme le meilleur allié de la classe ouvrière : parlant de la fermeture d’une raffinerie, elle dit : « Pour la première fois, un appel syndical [cosigné par les Verts] qui demande d’engager une évolution de l’activité industrielle vers autre chose. Les choses bougent. L’image des écologistes qui sont là pour faire fermer des usines et foutre tout le monde au chômage est totalement erronée. »

« Il faut aller vers la conversion écologique des activités industrielles. Les écologistes sont les seuls à avoir une politique industrielle aujourd’hui, » « si on ne parvient pas à financer les retraites, c’est d’abord parce que les jeunes ne connaissent que les petits boulots, la galère et le chômage, » enchaîne-t-elle. Le programme d’EE mentionne effectivement « des contrats de conversion écologique et sociale dans chaque grand secteur industrie », un « Revenu minimum d’existence », un « Revenu maximum acceptable », un « Moratoire sur les nouvelles libéralisations pour protéger les services publics » ou encore une « Clause de non-régression sociale ».


Cependant, quand elle est interrogée sur le moyen de financer tout cela, Duflot ne peut que citer les vieilles recettes de l’âge d’or du capitalisme américain : « on a oublié que sous Roosevelt aux États-Unis, la tranche la plus élevée des impôts sur le revenu était taxée à 80%. Avant de dire on est ruiné, il y a la question de la répartition des richesses. » Aucun État n’est dans une position comparable aux État-Unis des années 30 aujourd’hui.

Dans le contexte de crise actuel et de soumission totale des États aux marchés financiers, cette perspective fait des Verts un soutien de plus aux coupes sombres prévues dans toute l’UE, une tribune signée le 25 mars dans Le Monde par plusieurs dirigeants dont Cohn-Bendit prétendait que : « Le nouveau gouvernement grec avec le soutien de sa population a déjà annoncé des mesures courageuses afin de réduire son déficit […] la famille européenne, elle, ne cesse de débattre de la stratégie à adopter alors qu’un de ses membres menace de faire faillite. »

Enfin, cela reste parfaitement compatible avec des alliances avec le PS – ce que Duflot tente vaguement de justifier en évoquant le « changement de générations » dans ce parti. Au second tour des régionales, il n’y a qu’une région (la Bretagne) sur 22 où les Verts n’ont pas fusionnés leur liste avec le PS.

Interrogée sur les liens avec le PS, Duflot évoque la possibilité de prendre ses distances avec lui d’une manière plus marquée que par le passé s’il devient trop impopulaire : « il faut s’appuyer sur une présence forte au Parlement, c’est pourquoi notre participation gouvernementale doit aller de pair avec l’existence d’un groupe autonome à l’Assemblée. Après il y a eu des interrogations et des débats internes, notamment en 2000 sur la sortie du gouvernement, mais le lien entre les élus et le parti n’était sans doute pas assez fort ».

Mais cela ne remet pas en cause l’alliance fondamentale avec ce parti sur la base du plus petit dénominateur commun : « J’ai le sentiment qu’il y a chez Martine Aubry cette idée de travailler ensemble dans un bon climat, et l’envie de mettre en échec Sarkozy aide à changer de climat. » C’est-à-dire que tous ces « changements de société » si urgents doivent s’arrêter là où le décidera un parti dont tout le monde sait depuis 1983 et le fameux "tournant de la rigueur" qu’il est dédié corps et âmes à la sauvegarde des bénéfices de sa bourgeoisie nationale. Le cul-de-sac que constitue ce genre de perspective est bien représenté par l’échec des récentes négociations de Copenhague au cours desquelles les intérêts nationaux étriqués ont systématiquement primés sur l’intérêt général de l’humanité.