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Et si le retrait de la course présidentielle de l’ancien porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, était plus important pour l’avenir de la gauche...

Publie le jeudi 19 mai 2011 par Open-Publishing
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Et si le retrait de la course présidentielle de l’ancien porte-parole du NPA, Olivier Besancenot, était plus important pour l’avenir de la gauche que les commémorations mitterrandolâtres du 10 mai 1981 ou que la compulsion médiatico-politicienne autour de "l’affaire DSK" ?

De Philippe Corcuff

J’ai été un enfant enthousiaste du 10 mai, lycéen adhérant au Parti socialiste (PS) en 1977. François Mitterrand a pris le PS sur sa gauche en 1971, il l’a laissé bien à droite. Nous voulions rompre avec le capitalisme : les gouvernements socialistes ont accompagné à partir de 1983 sa brutale phase néolibérale. Et le pouvoir personnel d’un politicien habile a prospéré au sein des institutions de la Ve République, jadis décriées. Toutefois notre "homme providentiel" a surtout été ballotté par des circonstances lui échappant, accompagnées par une rhétorique vaguement littéraire, remplacée ensuite par la langue de bois technocratique des dirigeants socialo-capitalistes du FMI et de l’OMC.

Jeunes socialistes, nous avions mal perçu une injonction au cœur du Mai 68 libertaire : pas de politique alternative sans un autre rapport à la politique ! Nous nous sommes rendu compte, depuis, que des logiques de monopolisation des pouvoirs avaient lourdement grevé les possibilités de construction d’une société post-capitaliste démocratique, que cela soit sous la forme soft d’expériences parlementaires ou dans des formes totalitaires. Après presque deux siècles d’échecs des tentatives pour s’émanciper du capitalisme, nous avons maintenant compris que l’anticapitalisme ne peut aller sans critique libertaire de la professionnalisation politique et de la domination des représentants sur les représentés.

Olivier Besancenot vient d’exprimer en acte cette éthique libertaire en refusant d’être pour une troisième fois candidat à l’élection présidentielle. Dès le départ, il avait choisi de garder son emploi à la Poste, les pieds enracinés dans les contraintes du travail salarié et dans les sociabilités professionnelles. Comment être porte-parole des aspirations des opprimés, en se coupant d’eux pour barboter dans les mares voisines des Z’élites politiciennes, technocratiques et patronales ? Comment enrayer les dynamiques d’appropriation hiérarchique des pouvoirs en demeurant un représentant toute sa vie ? Finissons-en avec les hommes (ou les femmes) "providentiels" comme avec les médiocres croche-pattes de couloirs pour savoir qui sera le prochain, tout en tenant en façade des discours compassés ! Une démocratie réellement citoyenne n’a rien d’une oligarchie inamovible.

Dans cette perspective, les élections, délégant le pouvoir à des représentants, ne constituent qu’une composante secondaire, mais nécessaire, d’une démocratie plus large, redonnant au démos les rênes. Il s’agit d’inventer une nouvelle galaxie démocratique dé-professionnalisée mettant en tension les procédures directes, le participatif, le délibératif, le tirage au sort et le représentatif. En attendant, pas de sortie de la double tutelle emboîtée du capitalisme et de la professionnalisation politique sans implication directe du plus grand nombre, si l’on vise une auto-émancipation.

Le retrait d’Olivier Besancenot fait aussi droit aux exigences légitimes de la vie personnelle face aux disciplines organisationnelles. L’émancipation, indissociablement individuelle et collective, ne peut plus, dans nos sociétés individualistes, s’abîmer dans la primauté exclusive des contraintes collectives sur les désirs intimes. Dans son geste, s’esquissent des échanges plus équilibrés entre niveau individuel et niveau collectif au sein des organisations de transformation sociale. Et se dessine une nouvelle modalité de la forme parti basée sur la coopération des individualités, et donc ni leur écrasement au nom de "l’intérêt supérieur de…", ni l’aplatissement de l’espace commun sous le poids des ambitions des "homme providentiels". Encore une fois, une manière de faire avancer en acte un débat de société !

On comprend que nombre de journalistes politiques et d’éditorialistes préfèrent se mirer le nombril en glosant sur Mitterrand, sur "l’affaire DSK" ou sur le futur bébé Sarkozy. Un strabisme corporatif leur fait confondre le petit monde de la politique professionnalisée avec le vaste monde. Une telle vision étriquée de la politique fait peu de place aux citoyens autrement qu’instrumentalisés dans les commentaires des sondages. Le nez médiatique est pris dans le guidon d’une "actualité" tyrannisée par les scintillements sans cesse recommencés de l’immédiat et formatée par les "côtes de popularité", les "petites phrases", les "révélations" de pacotille et autres "images chocs".

Avec la décision d’Olivier Besancenot, "la politique autrement" n’est plus un slogan marketing ou un "créneau" supplémentaire pour professionnels de la politique montants ou aspirants (de la vénéneuse Marine Le Pen au gentil Arnaud Montebourg, en passant par les petit(e)s dernier(e)s d’Europe Ecologie-Les Verts). Quant à la gauche de la gauche, elle a encore moins besoin du énième Tartarin politicien aux discours anticapitalistes si elle veut être à la hauteur de ses espérances émancipatrices. Les défis sont plus profonds et devant nous. Merci à Olivier Besancenot de nous avoir aidés, par la pratique, à les formuler. La gauche pourrait davantage exister pleinement après "les hommes providentiels" !

Philippe Corcuff est l’auteur du B.a.-ba philosophique de la politique pour ceux qui ne sont ni énarques, ni politiciens, ni patrons, ni journalistes (Textuel, 2011)

Philippe Corcuff, sociologue

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