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Les rêves politiques du "modéré" Ghannouchi

par Amilcar

Publie le lundi 24 octobre 2011 par Amilcar - Open-Publishing
9 commentaires

On pourrait croire que Rached Ghannouchi, leader charismatique du mouvement ENNAHDA, en est à ses débuts sur la scène politique. Premières responsabilités certes, mais le programme, quant à lui, était déjà mûr dans la tête de ce grand modéré, dont les œuvres regorgent de passages instructifs. Extraits.

Pour éviter de passer pour un rêveur ou pour un intellectuel utopiste, R. Ghannouchi rappelle, très fair play, l’intention initiale de son chef d’œuvre programmatique : Les libertés publiques dans l’État islamique, Centre d’Études de l’Unité Arabe, Beyrouth, 1993.

« Notre objectif [dans ce livre] n’est pas le plaisir cognitif, mais une révolution islamique qui éradique les fausses divinités et la dépendance subie par la terre d’Allah  » (Les libertés publiques dans l’Etat islamique, op. cit., p. 27)

- Les Droits de l’Homme et la place de la religion dans l’Etat selon R. Ghannouchi :

« [La Déclaration universelle des droits de l’Homme] ne représente pas beaucoup de cultures qui donneraient une place plus grande à l’intérêt collectif, ou laisseraient la place à un contrôle supérieur sur la conscience de l’individu, sur la conscience du législateur et sur le pouvoir de l’État comme le contrôle divin à travers la révélation et l’élévation des valeurs de la charia au dessus de tout pouvoir, et promeut l’époque du prophète et le califat bien dirigé [= les 4 premiers califes] comme point de référence pour tout gouvernement. Ce qui a rendu la révélation possible, et le fait que le sabre soit toujours dégainé contre les despotes » (R. Ghannouchi, Maraya, trimestriel islamiste, Paris, automne 2002).

- La laïcité :

« La société islamique est fondée sur l’interprétation des valeurs organisant la vie des individus et des communautés. De plus, elle organise le côté spirituel de ces derniers. C’est pourquoi on ne saurait concevoir de société islamique laïque, ou de musulman laïc que si ce n’est en renonçant à ce qui est essentiel en islam. Car la foi en Dieu n’est pas essentielle en islam ; l’essentiel, c’est la foi en l’unicité de Dieu. Par conséquent, toute législation qui s’inspire d’autres sources pourrait porter atteinte à cette unicité. Une société ne saurait être islamique qu’à condition de ne pas être laïque et d’accepter l’unicité de Dieu. » (Interview accordée par M. Ghannouchi au quotidien algérien Algérie actualité du 12 octobre 1989).

- La politique internationale d’après un "islamiste modéré" :

« l’islam qui incite ses fidèles à la paix, si toutefois les autres penchent pour elle, la paix avec laquelle on peut recouvrer les droits, refuse à ses fidèles de se laisser tromper en acceptant, tant qu’ils ne sont pas encore tous tués et tant qu’ils ont encore une veine vibrante de l’unicité [de Dieu], que leurs ennemis travaillent nuit et jour pour fabriquer des armes de destruction massive avec l’aide des leaders de l’ordre mondial, tandis qu’eux [= les musulmans] se contentent de roucoulades de pigeons et de gazouillis d’oiseaux qui chantent l’hymne de la paix, pendant que le chasseur, tout proche, taille ses flèches et les pointe sur eux.

Pourquoi l’Inde et Israël s’arment-ils de la force nucléaire, sans parler de la Chine, de la Russie, de l’Amérique, de la France et de la Grande-Bretagne alors qu’on l’interdit au Pakistan et à l’Iran, à l’Égypte et à l’Irak ? Comment l’expliquer, sinon par la volonté que seul l’Islam doive vivre dans une jungle de prédateurs sans griffes, alors que le christianisme, le confucianisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le judaïsme amassent et développent des armes de destruction massive et les pointent sur les capitales des musulmans ? Le parti pris contre l’umma musulmane, l’hostilité de l’ordre mondial envers l’Islam et la conspiration contre lui ne se manifeste pas dans d’autres domaines aussi clairement que dans ce domaine vital. Les musulmans n’accepteront pas la persistance de ce fanatisme religieux et racial contre leur religion, leur umma et leur civilisation. Quoi que nous fassions, nous les musulmans modérés, partisans du dialogue et de la coopération avec l’Occident pour trouver une explication aux pressions que l’Amérique exerce sur l’Est et l’Ouest pour empêcher le seul monde musulman de s’armer à l’exception des juifs et des hindouistes, nous n’en trouverons aucune qui puisse nous convaincre, si ce n’est celle de la conspiration contre l’Islam et sa nation, et la haine raciste contre eux. » (R. Ghannouchi, L’Islam et le nouvel ordre international, hebdomadaire islamiste marocain Arraya, 9 avril 1994, n°91)."

On ne sait pas ce qui sortira de ces élections. Ce qui est sûr, c’est que la conscience politique de la Tunisie ne sortira pas grandie d’une assemblée constituante dominée par la "pensée" meurtrière et victimisante du leader d’ENNAHDA, qui s’acharne à expliquer tout phénomène politique ou humain par une charia aux antipodes des droits acquis durement par le peuple tunisien, et qui verrait bien la Tunisie en mini-Iran méditerranéen.

Messages

  • C’est pourquoi on ne saurait concevoir de société islamique laïque, ou de musulman laïc que si ce n’est en renonçant à ce qui est essentiel en islam. Car la foi en Dieu n’est pas essentielle en islam ; l’essentiel, c’est la foi en l’unicité de Dieu.

    Dieu étant créé par des hommes et des femmes, ceux-ci ne peuvent se planquer derrière une vérité immanente indépendante de ceux-ci.

    Leur choix idéologiques n’ont pas de cachette secrète, ils sont bien responsables de leurs orientations et choix politiques.

    Dieu fut créé par les hommes et créé à leur image.

    Rien d’autre.

    Ce qui explique que suivant les époques, au travers de mêmes textes il y eu des lumières de bonté tout autant que de fieffées canailles .

    Ces diverses interprétations montrent que ce qui est déterminant ne renvoie pas à la croyance mais aux structures sociales et familiales sous-jacentes qui cherchent des justifications dans la perpétuation d’inégalités et d’inhumanités.

    Dans les remugles et détours pour reprendre leurs histoires, les peuples en Afrique du Nord sont confrontées aux batailles pour l’égalité et les droits des hommes et des femmes.

    Quand des Islamistes se cachent derrière leurs croyances pour justifier des propositions attentant aux droits des femmes, il ne s’agit pas là de textes religieux dont on a vu qu’ils étaient fruits des hommes, ni de leurs interprétations qui n’ont jamais cessé de fluctuer, mais bien du choix des intérets de l’exploitation et la domination des femmes par les hommes.

    Dans le fait religieux il n’y a que des hommes et des femmes à la maneuvre, des couches et des classes sociales à la maneuvre, des structures familiales et patriarcales qui essayent de se maintenir. Tous ces niveaux essayent souvent de faire appel a des justifications présentées comme hors de ces niveaux, comme des règles intangibles , Dieu étant traité comme l’orbite inexorable et perpétuelle, tout autant que le retour de la mousson, comme des lois surplombant l’humanité.

    Il n’en est rien.

    Il n’y a donc pas de discussion à avoir construite autour de textes religieux pour discuter des droits des femmes. Le centre de la discussion est bien de la lutte contre les oppressions, contre les barbaries du quotidien qui permettent d’affaiblir les peuples face aux grandes barbaries sociales.

    Lutter contre les barbaries du quotidien (les atteintes aux droits des femmes, des hommes, des enfants), tout autant que contre les grandes barbaries sociales et politiques, peut se faire également qu’on croit au ciel ou qu’on n’y croit pas.

    Mais personne ne peut se planquer derrière une croyance au ciel pour promouvoir des atteintes aux droits et libertés, individuelles et collectives.

    Le ciel n’a aucune liberté par rapport aux choix des hommes.

    • On se souvient que la révolution tunisienne ne faisait pas l’affaire de nos gouvernants.
      qui peut donc avancer masqué derrière ce recul de société qu’est l’inoculation de la religion dans la gouvernance d’un pays ? C’est l’impérialisme qui a besoin de stabilité donc de mercenaires à sa solde, pour exploiter en paix. Ce n’est pas pour rien que l’argent vient d’Arabie Saoudite pour les mosquées et les oeuvres sociales et que les cadres politico-religieux débarquent des pays anglo-saxons, sont ou ont été « approchés » par la CIA.
      Nos amis yankees emploient beaucoup de religieux et de religions différents à travers le monde pour diffuser sa bonne « parole. »
      Il y a aussi le Vatican et son panzer pape en Europe de l’Ouest et de l’Est, les infatigables évangélistes qui sévissent et progressent partout même à Cuba, dans une Amérique latine de plus en plus révolutionnaire, le Dalaï Lama CIAiste qui fait la nique à la Chine...

    • Ah oui !

      Le Monde : parole d’évangile et/ou du coran ?

    • D’un côté Ghannouchi théorise et il est clair qu’il ne veut pas d’une société laïque, de l’autre côté, en campagne électorale et ayant besoin d’alliances avec des partis non religieux, il promet de respecter le statut de la femme qui date de Bourguiba.
      Les articles du Monde et de Politis ne sont pas en contradiction avec cet article et les promesses engagent surtout ceux qui les reçoivent.
      La démocratie est un concept qui doit être décortiqué et confronté à la réalité en permanence (sommes-nous en démocratie ?) mais il est au moins certain que le refus de la laïcité est à coup sur le refus de la démocratie .
      Un état confessionnel, chrétien, juif, musulman,boudhiste , raélien, scientologiste, n’est pas démocratique, par définition, puisqu’il favorise les adeptes de ces religions.
      "In God we trust", n’est-ce pas la devise de la "plus grande démocratie" du monde" qui répand paix, liberté et dollars comme chacun sait.

      "Nous respecterons les droits de la femme sur la base du code de statut personnel et de légalité entre les Tunisiens quels que soient leur religion, leur sexe ou leur appartenance sociale", a déclaré Nourreddine Bhiri, membre de la direction du parti islamiste.

      (Le Monde)

      et :

      Il ne faut pas que la France et les Européens sombrent dans une hystérie qui consiste à dire que les islamistes sont des démons. Ce ne sont ni des anges, ni des démons : ce sont des professionnels de la politique, capables - comme tous les responsables politiques - de tenir un double discours et de faire des promesses. Mais il ne faut pas leur faire de procès d’intention. Il faut rester extrêmement mesuré. ... ...
      ... ... il faut rappeler qu’historiquement, la France était une démocratie avant de devenir une République laïque. Il ne faut pas chercher à imposer des modèles tout faits. La Tunisie se trouve dans une autre ère culturelle et civilisationnelle. Il faut laisser le choix à la société tunisienne de suivre son propre chemin.

      (Politis)

      Oui mais :

      Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 :

      Article 10 -

      Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi

      Constitution du 4 novembre 1848 : Préambule

      « En présence de Dieu et au nom du peuple français, l’Assemblée nationale proclame… »

      Et non pas "Au nom de Dieu..." proposé par l’Eglise.
      La religion catholique n’est plus religion d’Etat car toutes les autres religions peuvent être reconnues. Mais il faudra attendre les années 1880 pour que l’enseignement devienne laïc et 1905 pour que les choses deviennent plus claires. (elles ne le sont pas tout à fait encore)

      Les catholiques comme les protestants considèrent la liberté religieuse comme un droit fondamental source de tous les autres.
      Pour l’islam, (et pour ce que je crois savoir), les lois ont leur fondement dans la parole divine.
      Mais , (nécessaire et non suffisant), la démocratie positionne la religion dans la sphère privée.
      Les catholiques l’ont accepté plus ou moins, pourquoi pas les musulmans ?

      Néanmoins, quelle que soit la religion, la sécularisation correspond à une diminution d’influence. Donc ...

    • La Tunisie vient de sortir de plusieurs décennies de dictature. Elle vient de procéder à l’élection libre d’une assemblée constituante. On ne connaît pas encore une ligne de la future constitution. Et encore moins, bien entendu, de la pratique qui en sera faite.

      Mais il existe déja des donneurs de leçons pour déclarer péremptoirement que la Tunisie est une quasi théocratie islamiste !!!!

      De quelle supériorité morale ou intellectuelle se réclament-il ces donneurs de leçons ?
      Ont ils oublié que plus de 2 siècles après sa Révolution, la démocratie Française évolue entre la Monarchie absolue élective (qui plus est aux mains d’un psychopathe qui ne craint pas de proclamer devant le Pape la supériorité du curé sur l’instituteur) et la bananeraie républicaine des copains et des coquins ?

    • Les médias dominants mettent l’accent sur le risque islamiste en Tunisie et en Lybie, mais personne ne parle de l’enjeu de la Constituante en Tunisie : Quelle constitution pour le peuple tunisien ?
      Y a-t-il des religions plus dangereuses que d’autres ? Je ne le crois pas.
      Un petit rappel : de nombreux pays ont (ou ont eu) comme parti dominant la démocratie CHRÉTIENNE . Est-ce la fin des libertés démocratiques ?

    • Actuellement, la liberté et les libertés, malgré les tensions existantes, sont infiniment plus larges que du temps de Ben Ali.

      Les gens parlent et se parlent, s’engueulent et discourent, font pression et manifestent de façons ou d’autres.

      Les tensions existantes montrent que rien n’est réglé du renversement au fond des possédants, mais quelle comparaison avec la période Ben Ali ?