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Bilan de 64 jours de grève à La Poste 92

par Jean-Louis

Publie le samedi 31 mars 2012 par Jean-Louis - Open-Publishing
3 commentaires

La grève de 64 jours des postiers du 92 a infligé une défaite à la direction : elle a été obligée de concéder pour Nanterre l’intervention d’un cabinet d’expertise dont les conclusions seront contraignantes y compris en termes d’emploi : c’était une des revendications initiales des grévistes, et cela crée un précédent à La Poste. Pour les autres bureaux touchés par le conflit (Malakoff/Vanves, Montrouge, Fontenay) un report des réorganisations d’au moins 6 mois a été obtenu. De plus, plusieurs collègues ont été CDIsés et les conditions de travail des facteurs remplaçants ont été améliorées. Les chiffres de neutralisation (caisse de grève comprise) sont assez élevés : 50 à 60% des jours de grève ont été payés. Au vu des obstacles, c’est un bon résultat.

Le « nouveau prolétariat » peut se mobiliser et gagner

La médiatisation récente des conditions de travail à La Poste a révélé que le temps où « PTT » signifiait « Petit Travail Tranquille » est bien révolu. Les centres de distribution du courrier sont des concentrations relativement faibles de salariés : concernant les bureaux touchés par la grève, on a affaire à des concentrations comprises entre 40 et 120 salariés... sachant qu’une difficulté supplémentaire existe : la direction mène ses « réorganisations » (plans de suppression d’emplois) non pas seulement centre par centre mais aussi service par service au sein d’un même centre. Dans la grève, c’étaient les facteurs vélos qui étaient visés, avec des effectifs compris entre 20 et 60 dans les différents centres. Les salaires des facteurs sont particulièrement faibles (moins de 1100 euros en début de carrière). La répression est assez forte comme on a pu le constater avec la multiplication des procédures de licenciement et le procès pour « séquestration ». En somme, les conditions de travail à La Poste sont assez comparables avec ce que connaissent un bon nombre de salariés du privé.

L’ensemble des centres touchés par cette grève (à l’exception de Fontenay) ne s’étaient pas mobilisés depuis plus de 10 ans. Cette grève est une preuve que ce qu’on nomme parfois le « nouveau prolétariat », relativement moins concentré, plus fragmenté, moins industriel que par le passé, peut parfaitement se mobiliser et gagner. Il est à noter que les femmes, minoritaires numériquement parmi les grévistes, étaient majoritaires dans l’animation du conflit.

Un certain nombre de camarades argumentent sur la nécessité de se concentrer sur les luttes hors entreprises à cause de la dégradation du rapport de forces, de la fragmentation du prolétariat et de la concentration/dépersonnalisation du pouvoir exercé par le capital financier. Comme si face à ces évolutions, la stratégie payante était celle de l’évitement du cadre de la production, de l’entreprise. C’est en réalité mal poser le problème.

La grève du 92 a réussi à faire céder la Poste en mettant tout d’abord une stratégie d’extension de la grève qui a permis de regrouper plusieurs centres. Fédérer plusieurs centres devient indispensable pour donner suffisamment de courage aux salariés de petites concentrations de se mettre en bagarre. Et de toute façon, si on ne regroupe pas suffisamment de grévistes, il est tout simplement impossible de faire céder le patronat qui frappe plus fort qu’auparavant.

Dans notre grève, cette stratégie du regroupement s’est combinée avec une volonté de mener des actions en dehors des centres : actions coup de poing et soutien de la part d’un certain nombre d’élus et de comités de soutien ont joué un rôle décisif. La réponse face à la division du prolétariat, c’est donc de commencer par regrouper les forces, de surmonter les barrières entre centres, entre métiers, donneurs d’ordre et sous-traitant etc. Si on ne regroupe pas, impossible de faire quoi que ce soit. Mais pour avoir un impact, les travailleurs doivent mener des bagarres qui débordent du cadre de l’entreprise pour gagner un large soutien extérieur en posant les questions politiques qui concernent toute la population. Un peu à l’image de la lutte de Ford à Blanquefort par exemple, dont les manifs et actions menées en dehors de la boîte avaient à la fois donné du courage aux salariés de la boîte et avaient également permis de poser la question de la sauvegarde de l’emploi à l’échelle de toute la région. Mobilisation hors lieu de travail et à l’intérieur se nourrissent... encore faut-il se donner les moyens de mener la bagarre à l’intérieur ! Il est clair que la domination de la bourgeoisie est politique, elle s’exerce dans toutes les sphères de la société et doit donc être combattue sur tous les terrains... mais sans oublier le cadre où la production de richesses et l’exploitation se jouent, à savoir : l’entreprise.

Ce type de lutte est tout à fait possible, y compris dans des secteurs bien plus précaires que le nôtre. Après tout, l’une des plus grosses grèves en France de ces dernières années a été menée pendant près d’un an par plusieurs milliers de travailleurs sans-papiers du bâtiment, de l’intérim...

Messages

  • Militant CGT depuis 1978 à La Poste, je n’ai jamais trouvé que nous avions un "Petit Travail Tranquille". Nos luttes, après les différentes tentatives de privatisation où le PS au pouvoir, avait fini par nous faire la peau, étaient tournées vers la défense du Service Public vers la conquête des droits pour tous, pour les "non titulaires", d’abord "auxiliaires" puis "contractuels" afin qu’ils aient le statut de fonctionnaires" comme nous. Ayant bossé dans le 92, j’ai pu constater de fortes disparités entre les bureaux et de grandes différences avec la "province" où le respect pour de simples droits "acquis" liés au statut donnaient lieu à de grosses batailles, plus difficiles encore.
    Les DRH ont utilisé les obligations des fonctionnaires liées au statut pour les imposer indûment aux contractuels qui les acceptaient et de même faisait croire aux titulaires qu’ils avaient perdu les droits liés à ce même statut.
    Nos plus grosses batailles locales furent à partir de 1991 menées dans la solidarité avec les contractuels pour la défense de leurs droits tandis que les titulaires "laissaient" partir les leurs dans la résignation.
    Félicitations, que votre exemple fasse tache d’huile.Battons-nous pour la renationalisation de La Poste, avec un seul et même statut : celui de fonctionnaires. L’arrêt définitif de la notation individuelle pour tous. Augmentation des salaires 1700 mini.

  • Très bon résumé Jean-Louis.

    Et il est interessant de voir qu’une série de batailles longues se sont déroulées dans la poste avec ces jeunes nouveaux prolétaires, des batailles combinant des coordinations du combat sur plusieurs bureaux, les batailles de Rodez, Millau et de Decazeville ont fait ces démonstrations spécifiques, avec en appui comités d’usagers , paysans du Larzac venus soutenir.

    Des batailles âpres et longues ont été menées malgré des terrains qu’on disait difficiles, voir impossibles à cause de cette fragmentation en petites unités.

    Cette fragmentation impose davantage de soins à la solidarité, de coordination, de syndicats qui bossent sérieux à relier et à tenir, et également d’un parti (ou des) qui aident , pas seulement sur la solidarité mais dans la ténacité du concret en étant organisés DANS les entreprises (même si avec des formes plus affutées de secteurs), avec des attitudes de camp de classe et de lutte de classe.

    Sur les formes d’organisation et de lutte des nouveaux prolétaires, il est important de réaffirmer que c’est là où se reproduit l’exploitation, le capital, que se joue l’essentiel de la bataille entre les classes, c’est un enjeu qui ne permet pas d’être contourné, même si des médiations peuvent être utilisées pour y pénétrer et y re-pénétrer.

    Après tout, de grands syndicats, et de grands partis des travailleurs se sont construits dans des sociétés où la classe ouvrière était fragmentée dans de petites entreprises, l’existence d’un cœur de grands concentrations sur un même lieu n’a été qu’une partie du prolétariat même dans les périodes les plus "grandes usines".

    Et ce fut d’ailleurs dans un grand nombre de cas (au delà de mythologies particulières).

    L’articulation de la bataille sur le lieu de travail, avec des opérations de coordinations et de solidarité bien organisées, mais soumises au cœur du lieu de travail, est fondamentale.

    Les exemples des batailles de travailleurs de l’hôtellerie aux USA avec toutes les solidarités structurées autour (un jour les églises, un autre jour une fanfare LGTB, un autre jour des associations, un autre jour des étudiants, un autre jour des syndicats, etc), toujours sous contrôle des travailleurs et toujours à, la porte des entreprises, sont parmi ces exemples de batailles tenaces de petits collectifs de travailleurs, construits du lieu de travail, et ayant l’appui d’une classe autour.

    Nous avions eu les exemples des travailleurs sans papier de la restauration et leur interminable grève dans des conditions extrêmement difficiles, sur de petits lieux de travail, etc...

    Cela doit nous informer des possibilités qui s’offrent au camp du travail.

    C’est possible, cela a été fait.

    Ca s’organise et ça se pense, ça se planifie, etc.

    Merci aux postiers du 92.