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Une PME a proposé à neuf licenciées de partir en Roumanie pour 110 euros par mois

Publie le jeudi 28 avril 2005 par Open-Publishing

« Maintenant, c’est des salariés qu’on délocalise »

de Marine JOBERT Schirmeck

« Je reconnais que c’était maladroit de ma part. » Après une réunion organisée en urgence hier après-midi à la sous-préfecture du Bas-Rhin, à Molsheim, le PDG de Sem-Suhner, Michel White, a fini par comprendre que sa proposition de reclasser en Roumanie neuf salariées, licenciées économiques, pour un salaire de 110 euros bruts pour 40 heures, n’était pas du goût de tout le monde. D’Adrien Zeller, président du conseil général d’Alsace, à Jean-Louis Borloo, ministre de la Cohésion sociale et de l’Emploi, la proposition, « moralement et humainement inacceptable », a suscité un tollé. « On savait qu’on pouvait délocaliser les machines. Maintenant, c’est les salariés qu’on délocalise ! », vitupère Alain Brignon, de la CFDT, venu en renfort dans cette entreprise dépourvue de représentant syndical depuis plusieurs années.

« Naïvement ». Pourtant, le matin encore, le fils du fondateur de cette usine de transformateurs d’appareils électriques, fraîchement propulsé aux commandes de l’entreprise, n’avait pas du tout l’air de saisir où était le problème. « 110 euros bruts, en France, ce n’est pas assez. Mais en Roumanie, ça suffit », affirmait-il, ajoutant que l’ancienneté de ces neuf femmes, qui travaillent à l’assemblage depuis plus de vingt-cinq ans, était prise en compte dans les 110 euros. Soit un bonus de 30 euros par mois... conformément au droit du travail roumain, qui aurait été appliqué si les salariées avaient accepté l’offre. Aucune n’y a donné suite.

Visiblement peu au fait de la législation du travail, Michel White n’était pourtant pas tenu de proposer un plan de reclassement puisque l’entreprise compte moins de cinquante salariés. « C’est quelqu’un de jeune, analyse le directeur départemental du travail et de l’emploi, Daniel Fierobe. Naïvement, il a cru qu’un chef d’entreprise qui licencie a l’obligation de faire des propositions de reclassement. »

Michel White aurait pu prendre conseil auprès de son père, redresseur de l’entreprise en 1968. Ce dernier a en effet piloté sans encombre plusieurs vagues de suppressions d’emplois depuis 1998.

A l’époque, Sem-Suhner affichait un effectif de 91 salariés. Sept ans et cinq plans sociaux plus tard, le chiffre est tombé à 39. Des licenciements « par paquet de neuf », à chaque fois, pour tenir à distance l’Inspection du travail.

« C’est la faute au marché... », a plaidé, en substance, le nouveau PDG. Fragilisée par le marasme de la téléphonie mobile, étranglée par l’ardoise de 800 000 euros laissée en 2001 par son plus gros client, l’américain Lucent-Espace-Technologie, Sem-Suhner a vu son chiffre d’affaires chuter de 12 à 3 millions d’euros. « Il faut que les Français sachent ce qu’il se passe : aujourd’hui, comme dans le textile il y a quelques années, nous sommes concurrencés par les pays asiatiques à bas coût, ce qui nous oblige à faire fabriquer à l’extérieur. » Entre 50 et 100 salariés roumains travaillent depuis octobre 2004 sur des machines importées de France pour un holding, Système Contact-Médias, créé par les frères White. Pour un salaire de 85 euros bruts par mois. Le marketing, les achats et les petites unités devraient rester en France.

Mais les syndicats soupçonnent la direction de Sem-Suhner de vouloir aller plus loin dans les licenciements. « La communauté de communes a été contactée pour racheter une partie des locaux, détaille Alain Brignon. Ce n’est pas comme ça qu’on donne des gages sur la pérennité d’une entreprise ! »

Mais au fond, pourquoi demander aujourd’hui à des salariées françaises de faire leurs bagages pour la Roumanie ? « Seule notre filiale roumaine a répondu positivement : le bassin d’emploi alsacien est sinistré », assure Michel White, immédiatement démenti par le directeur départemental du travail et de l’emploi. « C’est une affirmation fantaisiste : le bassin d’emploi de Molsheim-Schirmeck a l’un des taux de chômage les plus favorables du département, à 5,6 %», explique le directeur départemental du travail et de l’emploi, Daniel Fierobe. Vigilant, le fonctionnaire a assuré que ses services accompagneraient de façon très personnalisée les salariées qui vont être licenciées, « pour leur trouver des offres durables ».

Lettres d’insultes. Devant l’usine aux airs de préfabriqué, fondée en 1968, la vingtaine d’ouvrières qui travaillent encore dans les ateliers fuient les questions. « Nous proposer d’aller en Roumanie pour 110 euros, c’est nous diminuer. Quand on a donné de soi-même pendant plus de vingt ans, on mérite mieux que ça », lâche Nicole en s’engouffrant dans sa voiture à la pause-déjeuner. Dans les bureaux, le fax crache des lettres d’insultes. « Mais je reçois aussi des mails de félicitations de la part de chefs d’entreprise », assure le PDG.

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