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Chiapas : qui sont les véritables terroristes de l’environnement ?

Publie le vendredi 27 juin 2003 par Open-Publishing

La Lacandona : "qui sont les véritables terroristes de l’environnement ?"
(traduit du castillan)

Carmelo Ruiz Marrero
CLARIDAD - hebdomadaire édité à San Juan, Puerto Rico
27 juin 2003

Depuis la fin de la guerre froide, nous observons que le gouvernement des
Etats-Unis a eu recours à un large éventail d’arguments et d’alibis afin de
justifier ses guerres et ses opérations militaires à l’étranger, maintenant
qu’il ne peut plus invoquer la fameuse menace communiste.

Au Panama, il était question de combattre le narcotrafic ; en Irak en 1991,
il fallait libérer un petit pays occupé ; à Haiti, il fallait faire tomber
une dictature et restaurer la démocratie ; en Somalie, il s’agissait
d’apporter des vivres à des affamés ; au Kosovo, il devait être mis un
terme au génocide ; en Afghanistan, c’est le combat contre le terrorisme et
à nouveau en Irak en 2003, cette fois pour éradiquer les armes de
destruction massive. Le Pentagone et les agences d’investigation continuent
d’élaborer de nouvelles missions (de nouvelles excuses) pour justifier
leurs budgets et leurs interventions dans les affaires internes d’autres pays.

Et si on envahissait un pays sous prétexte de protéger l’environnement ?
Est-ce que les forces armées des Etats-Unis laisseraient s’échapper
l’opportunité de s’afficher comme des héros écolos ?

Le Commando Sud et le Couloir Biologique

En 2001, le Commando Sud du Pentagone a entrepris des manoeuvres dans une
zone de la jungle guatémaltèque proche de la frontière mexicaine, la région
d’El Petén. Les manoeuvres, baptisées "Horizons Nouveaux", relevaient selon
les publicitaires du Commando Sud d’une action strictement humanitaire. Les
communiqués de l’ambassade yankee disaient qu’ils étaient là-bas pour
remettre des routes en état, apporter une assistance médicale, construire
des écoles et creuser des puits.

Mais tous les Guatémaltèques n’ont pas été impressionnés par la prétendue
générosité de Washington. César Montes, secrétaire de l’Unité de la Gauche
Démocratique, a qualifié ces manoeuvres de "honte historique du nouveau
millénaire" et a dit que la présence de troupes rassemblant 12.000 soldats
américains dans son pays équivalait techniquement à une invasion.

L’opération "Horizons Nouveaux" s’est déployée notamment alors qu’ils
étaient en train de formaliser le Plan Pueblo Panama (PPP) et le Couloir
Biologique Méso-Américain. Le PPP est un plan de grande envergure pour
développer une infrastructure au Mexique et en Amérique Centrale dans le
but d’optimiser l’exploitation des ressources naturelles et la main
d’oeuvre bon marché de la région, alors que le Couloir Biologique vise à
consolider la préservation des zones naturelles de la région. Les trois
initiatives peuvent paraître sans rapport les unes avec les autres, mais
dans l’isthme méso-américain, d’aucuns les suspectent de dissimuler des
stratégies et des mécanismes de contrôle nouveaux.

Dans le quotidien mexicain la Jornada du 18 février 2002, Juan Antonio
Zuñiga a observé au sujet des manoeuvres du Commando Sud, du PPP et du
Couloir Biologique que "les intérêts des forces armées américaines et de la
Banque Mondiale semblent coincider avec la proposition de l’administration
du président Vicente Fox d’introduire la globalisation dans le sud-est du
Mexique, reposant entre autres sur des motifs écologiques."

Le Couloir Biologique "fait référence à l’investissement de capital en
faveur de la ’conservation et de l’utilisation durable’ des ressources
naturelles", selon l’économiste Gian Carlo Delgado Ramos, du Centre
d’Investigations Interdisciplinaires de l’Université Autonome Nationale du
Mexique (UNAM). "Dans ce shéma ’l’utilisation durable’ signifie
l’exploitation de ressources stratégiques (biodiversité, forêts, l’eau,
etc...) par un groupe sélectif d’entreprises, étrangères pour la plupart."

Ecologie et sécurité nationale

La région d’El Petén est située proche de la forêt lacandone de l’Etat
mexicain du Chiapas, où se trouve L’Armée Zapatiste de Libération Nationale
(EZLN). Depuis l’année passée, divers secteurs acquis à la stratégie
néolibérale de Fox et Bush ont demandé au gouvernement mexicain
d’intervenir dans la forêt lacandone afin de mettre un terme à la
déforestation.

Il ne fait aucun doute que la déforestation est un problème urgent dans la
Lacandona. Il y a deux siècles, la forêt couvrait deux millions d’hectares
et sa surface s’est petit à petit trouvée réduite à 500 mille ha. en raison
de l’augmentation d’activités telles la coupe d’arbres destinée au commerce
du bois et l’installation des ranchs consacrés à l’élevage.

A l’intérieur de la jungle assiégée se trouve la réserve naturelle de
Montes Azules (331.200 hectares), établie par le gouvernement en 1978 et
reconnue par le Programme pour l’Environnement des Nations Unies. Dans
cette réserve, 20.000 hectares ont déjà été dévastés et 20.000 autres sont
sur le point d’être détruits, selon les sources de l’agence de presse IPS.

En décembre 2001, Adolfo Aguilar Zinser, l’ancien chef de la sécurité
nationale et représentant le Mexique au Conseil de Sécurité de l’ONU, a
déclaré qu’il était impératif d’utiliser la force militaire contre le
"terrorisme environnemental". Par la suite, en mars 2002, la Jornada a
rapporté que le groupe écologiste Conservation Internationale (CI) avait
sollicité du gouvernement mexicain l’expulsion de l’EZLN de la forêt
lancandone.

Lors d’un entretien avec Claridad le mois dernier, Ignacio March, directeur
de CI au Mexique, a réfuté les accusations de la Jornada mais a souligné
que quelque chose devait être entrepris pour mettre un terme aux invasions
à Montes Azules.

Depuis que Fox a entamé son mandat présidentiel en décembre 2000, dix
communautés "d’envahisseurs" se sont installées à Montes Azules, portant à
45 le nombre de communautés y vivant et rassemblant une population totale
de 35.000 personnes.

Ces communautés sont composées d’indigènes et de paysans sans terre venus
d’autres endroits du Chiapas, fuyant la famine et la violence des
paramilitaires. Ils sont pour la plupart des sympathisants de l’EZLN et
d’autres sont affiliés à l’ARIC-Independiente, une organisation de base
qui, contrairement aux Zapatistes, revendique la non-violence.

Qui sont les véritables envahisseurs ?

Certains secteurs progressistes mexicains voient dans l’empressement du
gouvernement d’expulser les "envahisseurs" de la Lacandona une parade du
néolibéralisme et de la contre-insurrection et que le véritable objectif
consiste à dépeupler la région dans le but d’y exploiter ses ressources
naturelles, en collision avec le PPP et le Couloir Biologique.

Delgado Ramos observe que le véritable agenda du gouvernement concernant la
Lancadona n’est ni humanitaire ni écologiste mais plutôt de "faciliter le
pillage, la privatisation et l’exploitation intensive des atouts naturels,
matériels et humains de la région par des multinationales impliquées dans
la bio-génétique, l’agrobusiness, le marché de l’eau, de l’électricité, du
pétrole, de l’industrie minière ou encore dans des projets d’écotourisme
via des multinationales de chaines hotelières, la majorité de ces activités
étant fortement promue depuis le Couloir Biologique".

Le journaliste américain Bill Weinberg qui a rendu visite récemment aux
communautés "envahisseuses" est resté stupéfait devant le niveau de
sophistication aux plans écologique et politique de ces prétendus
délinquants environnementaux.

Lors de sa visite dans la communauté Nuevo San Gregorio fondée il y a 20
ans, il a découvert qu’ils avaient un plan d’agriculture durable, qu’ils
s’étaient mis d’accord pour ne pas faire de coupe dans la forêt, qu’ils
utilisaient des semences de maïs traditionnelles et non celles vendues par
les agro-industries. Loin d’être d’ignorants provinciaux, les villageois
lui parlaient avec érudition et éloquence de leurs droits constitutionnels,
des conventions de l’Organisation Internationale du Travail et des Accords
de Paix de San Andrés signés entre l’EZLN et le gouvernement.

En avril dernier, 32 communautés parmi celles menacées d’expulsion ont
déposé une plainte formelle auprès de la Commission Interaméricaine des
Droits Humains.

Les communautés "envahisseuses", tout comme l’EZLN n’ont nullement
l’intention de quitter la forêt. Le Sous-Commandant Marcos a annoncé le 29
décembre dernier que les Zapatistes résisteront à toute tentative
d’éviction et que cela ne se produira pas d’une manière pacifique.

Trois mois après ce communiqué, juste à la frontière, des militaires
yankees participaient à des manoeuvres avec leurs homologues mexicains sous
prétexte de renforcer la sécurité et la vigilance... alors même que
commençait la guerre contre l’Irak.

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Carmelo Ruiz Marrero est un journaliste portoricain et professeur à
l’Institut d’Ecologie Sociale (Plainfield, Vermont, US). Il est aussi
titulaire d’une bourse d’études dans le cadre du programme de formation au
leadership environnemental et membre de la Société des Journalistes sur
l’Environnement.