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Encore à propos de foot. Combien de fois, le tricolore a couvert les saloperies...

Publie le dimanche 16 juillet 2006 par Open-Publishing

Encore à propos de foot, d’amour de la patrie, de fête populaire et de sort magnifique. Combien de fois, dans l’histoire de l’Italie, le tricolore a couvert les saloperies...

de Maria R. Caderoni traduit de l’italien par karl&rosa

Bon d’accord, je m’expose au lynchage, je n’ai jamais assisté à un match de foot, je n’ai pas le mythe des footballeurs et le championnat du monde - suis-je peut-être différente, une anomalie, étrange, trans, irrégulière, folle, nègre ? - ne m’a pas donné de frissons, peut-être suis-je mal faite mais l’enthousiasme de la nation ne m’a pas un tant soit peu emportée.

Je revenais, ce dimanche fatal de l’Après Evènement, d’un voyage hors de Rome et je me suis trouvée malgré moi dans le tourbillon des milliers de bagnoles folles, de ce fleuve aux mille yeux rouges qui coupaient la nuit et me visaient, perdue au milieu des bras, des drapeaux, des hampes et des hurlements de gens étranges qui en se penchant aux fenêtres venaient sur moi, plutôt que vers moi.

Je l’avoue, non seulement je ne participais pas à l’enthousiasme furieux mais, collée au volant, rapetissée, j’essayais de trouver mon chemin et de m’écarter poliment. Non, je ne participais pas à l’immense joie, à vrai dire j’avais avant tout peur. Je suis là bloquée, prise au piège et recroquevillée, quand un garçon au visage de fou m’assène un coup sur le coffre avec la hampe du pauvre drapeau tricolore et me hurle dessus, « mais pourquoi ne ris-tu pas, pourquoi ne klaxonnes-tu pas, bouge un peu, endormie », pepepepe et il est parti, en klaxonnant, son drapeau au vent.

Je suis rentrée comme j’ai pu, saine et sauve grâce à dieu, et ensuite j’ai tout suivi, les autorités grandes et petites, les ministres blondes et non, le car des azzurri et les héros qui reviennent, le million de personnes dans la rue, l’Italie qui redémarre et le PIB qui monte et l’effet psychologique qui entraîne le monde derrière l’Italie. Et le drapeau tricolore et la patrie et nous sommes tous des Italiens, ceux qui sont fameux, ceux qui sont des « gens bien ».

Pour si peu ? Un match de foot suffit-t-il pour que revienne la rhétorique du « nous sommes un peuple de saints, de poètes, de navigateurs et de footballeurs » ? De la rhétorique trop gratuite, trop bon marché, fausse et - notre directeur a raison - sous le malheureux drapeau tricolore ce ne sont pas les valeurs mais les non valeurs qui font surface.

Curieux. Les dits médias - à commencer par les plus grands - semblent schizophrènes, ne me dites pas de m’enthousiasmer pour le foot ; les voilà les journaux : pour la moitié ce Ballon A Nous est de l’or, de la myrrhe, de l’encens et pour l’autre moitié n’est qu’ excréments, du diable ou non. Divisés en deux et tandis que la première partie ovationne le ballon valeur de la patrie toute entière, l’autre le piétine, le traîne dans la poussière en tant que symbole de marchandisation, de corruption, de fraude colossale et au diable le pauvre De Coubertin et les phalanges de tifosi.

Ces mêmes tifosi qui hier et avant-hier ont été acclamés comme le symbole de la meilleure jeunesse italique (hormis les coups de bouteille au visage et les croix gammées), mais qui à d’autres moments (pas trop lointains) ont remplis des livres et des enquêtes grâce à des gestes pas vraiment louables (la délinquance dans les stades blindés, les tifosi violents, do you remember ?).

Je ne suis pas apodictique, disons qu’il y a du bien et du mal partout ; mais, au moins, ne faisons pas semblant d’avoir soudain à faire avec des « beaux et des bons » tout court, qui devraient nous refléter tous. Doucement, s’il vous plait.

Et après, le tricolore. Notre drapeau bien-aimé. Et l’hymne national. Tout le monde l’a vu. Même eux, nos footballeurs en or rangés sur le terrain sous les yeux du monde entier, justement eux aussi, dimanche dernier, ont eu l’air de toujours, l’air de le chanter, cet hymne, comme une chose sans aucun sens, justement l’aire de dire boh, qui sait ce que cela veut dire, boh, qu’elle tende sa chevelure...

Ils ont raison, je prends un peu ma revanche en chantonnant Gaber, « je m’appelle Gigi, je vis à Milan et je me sens italien et en ce qui concerne l’hymne national j’en ai un peu honte »...

Oui, le tricolore, lui. Mais il faudrait relire les livres d’histoire (pas forcément ceux qu’on utilise à l’école) relire le Risorgimento (et même Gramsci), les dites guerres d’indépendance, l’Unité. Pour une grande partie de l’histoire d’Italie, le tricolore, lui, a couvert un tas de saloperies, de mensonges, d’abus, de tromperies ; ainsi qu’une série désastreuse de guerres maudites que le peuple a dû subir : il a couvert la Première et la Deuxième Guerre Mondiale, les carabiniers du roi avec leurs fusils braqués derrière les fantassins qui hésitaient à se lancer à l’assaut là sur l’Isonzo, a couvert le fascisme, l’Abyssinie, la guerre d’Espagne, El Alamein et les garçons de Salo’. Il a couvert nombre de saloperies et prétendu beaucoup de sang. En avant les Savoie, les soldats paysans et analphabètes furent envoyés à la boucherie avec ce tricolore décoré d’armories vouées à devenir une honte nationale.

Le tricolore, lui, fut sauvé après, étreint dans les mains de ceux qui l’ont brandi contre la politique des classes dirigeantes durant et après le Risorgimento, durant et après le fascisme, pendant la guerre de Résistance. Le tricolore, lui, jeté dans la boue, c’est nous qui l’avons sauvé, nous le mouvement ouvrier, les communistes, les socialistes, les actionnistes, les catholiques, les libéraux, les ouvriers et les intellectuels rebelles.

Mais oui, le tricolore « sauvé » décore aussi nos drapeaux de parti, mais nous sommes suspicieux - nous restons suspicieux - de cette utilisation exagérée et bonne à tout faire du tricolore. Comme nous l’apprend justement l’histoire italique, il peut servir à beaucoup de fins et même à des fins peu édifiantes. Et bien, même si la Cour Suprême a statué aux Etats-Unis que brûler le drapeau n’est pas un délit, nous pensons que ce drapeau a nous, ce drapeau « racheté », est une chose sérieuse.

S’il vous plait, arrêtez, cessez de vous en servir comme d’une misérable feuille de figuier.

http://www.liberazione.it/giornale/060713/archdef.asp