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A Berlin les premiers pas vers la naissance d’un nouveau sujet politique

Publie le lundi 12 janvier 2004 par Open-Publishing



A Berlin les premiers pas vers la naissance d’un nouveau
sujet politique
Gauche européenne : les temps sont mûrs


Berlin
Nous sommes à Berlin, pas à Bad Godesberg. Nous sommes au cœur de l’Europe, de
l’Allemagne, de la gauche continentale, pas dans une petite ville où (comme il
arriva réellement il y a moins de cinquante ans) on se réunit pour prendre acte
de l’"obsolescence" définitive de Marx et de l’idée même de transformation sociale.
Ici, au contraire, pourrait arriver aujourd’hui un évènement destiné, qui sait, à donner
le coup d’envoi à une nouvelle histoire politique : la naissance d’un nouveau
sujet politique à la dimension continentale. Un Parti de la Gauche Européenne,
capable de représenter, de donner une voix, une force à un "peuple" de plusieurs
millions de personnes et, surtout, de travailler pour une autre Europe - contre
la guerre et le libéralisme - si souvent évoquée, ces dernières années, dans
la rue et dans les meetings des mouvements. Une association capable d’agir à l’échelle "minimale" transnationale
nécessaire aujourd’hui, qui peut contraster l’Europe du marché et de la subalternité toujours
bien présente à la puissance impériale des Usa, sans replonger dans les séparations
(et dans les égoïsmes) des vieux états nationaux. Une utopie ? Elle pouvait apparaître
telle à beaucoup : mais c’ est une utopie qui, à partir d’aujourd’hui, a commencé à faire
beaucoup d’avancées concrètes.

Ce soir, en concluant le meeting de deux jours - baptisé "Initiative pour la
fondation du Parti de la Gauche Européenne" - dix Partis, qui appartiennent justement à la
gauche européenne, signeront un document commun et une proposition de Statut :
il s’agit de Refondation communiste, le Pds allemand, le Parti communiste français,
Izquierda unida espagnole, le Parti communiste autrichien, le Sinaspimos grec,
le Parti communiste de l’Estonie, le Parti communiste slovaque, le Parti communiste
bohémien-morave et la gauche du Luxembourg. Le parcours prévoit ensuite, au printemps,
juste avant la campagne électorale européenne, un véritable Congrès constitutif.
Chacune de ces forces, naturellement, vérifiera en temps utile le degré de consensus
et de dissension , de conviction et de préoccupation existant en son sein. Pour
cela aussi, certes, le processus est entièrement ouvert : il n’y a aucune exclusion
ou inclusion préconstituée. Il n’y a pas de "pactes de fer". Il y a autre chose :
un noyau promoteur - les quatre principales forces de la gauche alternative de
l’Italie, de l’Allemagne, de la France et de l’Espagne et des partis importants
comme le Sinaspimos et le Pc autrichien - qui se cimente dans cette entreprise,
l’achemine, la transforme en un investissement politique important. Et Berlin,
certes, est un cadre consistant et sensible de ce choix : ne s’agira-t-il que
d’une coïncidence si ce meeting se tient dans les mêmes locaux - le siège de
l’ancien Parlement prussien, siège aujourd’hui du Parlement de Berlin - où en
décembre 1918, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht fondèrent le Parti communiste
allemand ? En partie, comme il est évident, la coïncidence a été voulue, recherchée.
Ce matin, se déroulera la manifestation qui célèbre, comme chaque année, la mémoire
des deux grands dirigeants révolutionnaires assassinés (par des sicaires sociaux-démocrates)
le 15 janvier 1919. Il s’agit de la 85ème année : ce n’est pas seulement un anniversaire
solennel, disent les dirigeants du Pds, mais aussi une occasion très importante
pour la protestation sociale, spécialement contre le démantèlement de l’Etat
social annoncé par le chancelier Schröder. Et cette convergence aussi - c’est
sûr - n’est pas due au hasard. La "mémoire", nous le savons, n’est jamais neutre.
La mémoire se remplit toujours de contenus substantiels, quand elle est accompagnée
par des tentatives de "parcourir des chemins nouveaux" comme l’a dit hier Lothar
Bisky, président Pds, dans sa remarquable introduction aux travaux de ces deux
journées.

Doutes et problèmes
Mais quand l’hypothèse d’un nouveau Parti européen a-t-elle commencé à circuler ?
Depuis dix ans au moins, dit Bisky, au moins depuis l’existence du Gue-Ngl - mais
l’explosion du mouvement no global (ou "altermondialiste") a relancé l’actualité de "nouvelles
formes de dépassement des frontières nationales". Et le président du Pds continue :
l’Europe qu’on est en train d’essayer de construire ne nous plait pas, elle nous
trouve résolument à l’opposition, au moins sur trois fronts cruciaux : le projet
de Constitution, d’ailleurs en échec, la politique étrangère, la guerre et la
subordination aux Usa de Bush, les politiques sociales, ce "fondamentalisme du
Marché" qui non seulement inspire les textes, mais aussi les choix concrets de
privatisation. Mais si nous voulons faire une autre Europe, au centre de laquelle
soient la démocratie et la participation, des choix de paix et de désarmement,
la protection de l’environnement, des droits du travail et des personnes, pouvons-nous
penser nous passer d’une force de gauche, liée aux mouvements, moteur d’une plus
large gauche d’alternative ? La réponse de Bisky est sans équivoque : "les temps
pour un parti de la gauche européenne sont mûrs". Les communistes - et avec eux
les socialistes, les radicaux, tous ceux qui critiquent la globalisation libre-échangiste - ont
besoin aujourd’hui d’ "avancées courageuses" et concrètes, comme le furent celles
de ceux qui trouvèrent la force de s’opposer au nazisme et au fascisme. Rien
n’est moins sûr que ce choix même à l’intérieur du parti allemand, dont une partie,
aujourd’hui encore, semble disponible à se contenter d’une médiation beaucoup
moins engagée, par exemple sur la Constitution européenne. Il ne l’est ni d’une
perspective de droite ni d’une perspective de gauche : il inquiète d’un côté tous
ceux qui voient la Gauche Européenne à fonder mettre en discussion précisément
les rapports avec la gauche modérée ; et il ne persuade pas de l’autre côté dans
plusieurs pays les forces communistes, qui voient dans ce processus un risque
de ternissure de l’identité communiste. Et encore. Les sujets intéressés et de
toute façon déjà engagés ont une histoire, une nature, des cultures différentes.
Ils sont différemment articulés et parfois réciproquement méfiants : qu’il suffise
de penser à la distance entre les partis de la gauche rouge-verte de la Scandinavie
et des forces comme le Parti communiste portugais (présent ici à Berlin en tant
qu’observateur critique : il ne souscrira pas à l’engagement commun), ou aux divisions
qui s’éternisent dans le mouvement communiste (entre le Pcf, par exemple, et
les partis d’inspiration trotskiste, qui participent au groupe de la "Gauche
anticapitaliste" européenne). Qu’il suffise de penser aux doutes et aux critiques
largement répandues même à l’intérieur de Refondation communiste.

Le rôle de Refondation
Et toutefois, comme l’a dit hier Fausto Bertinotti à l’occasion d’une rencontre
avec les journalistes, ce défi est désormais incontournable. A la base de la
proposition du Parti européen il y a deux éléments forts : une idée originale
d’Europe, que le Prc revendique d’ailleurs depuis des années, pas seulement dans
ses programmes électoraux, et une poussée intense des mouvements. D’un côté il
s’agit d’affirmer dans la lutte politique, avec la dimension et la force nécessaires,
quelque chose qui aille au-delà de la nécessité d’une "plus grande justice sociale" :
ce modèle de civilisation européenne qui est fait de pratiques politiques démocratiques,
du rôle de l’Etat social, du refus de la guerre, de la vocation à l’accueil de
tous les peuples, de la construction d’un espace social et d’un espace public.
En même temps se pose la nécessité de remplir en positif ce vide de la politique
qui risque de produire des séparations, des guerres civiles, des intolérances.
Comment faire alors, se demande Bertinotti, à rendre opérationnelles ces intentions ?
Dans l’intervention prononcée au meeting, le secrétaire de Refondation communiste
est allé plus loin : pratiquement il a dit que chacun de nous, hors d’une dimension
européenne, risque la mort, la mort politique naturellement. Un rappel à la nécessité d’accélérer
ce faire commun qui a certainement peu nourri l’agenda réel de la gauche européenne
. Mais est-ce une invitation à forcer subjectivement l’histoire ? "Il y a une
urgence dans le choix concret que nous nous apprêtons à accomplir. Il y a quelques
forces qui ouvrent la marche, empruntent une direction, assument une responsabilité".
Oui, une vérification interne, une consultation démocratique de la volonté du
Parti seront nécessaires : le Pcf, par exemple, fera un référendum parmi tous
ses adhérents, le Prc convoquera une direction et un Comité politique national.
Que proposons-nous ? Pas la naissance d’une "cinquième" Internationale ("qu’il
y a déjà, celle du mouvement pour la paix"), mais celle d’un degré plus avancé de
notre agir politique. Refondation communiste investit beaucoup sur ce choix,
en pleine cohérence avec sa physionomie : celle d’un parti national, qui le restera
certainement longtemps, mais qui pourtant a toujours indiqué comme nécessaire
et même comme "stratégique" la construction d’une gauche d’alternative européenne.

Et si ici à Berlin tout avait vraiment commencé ?

Rina Gagliardi

(Traduction de M.c. et G.R.)

11.01.2004
Collectif Bellaciao