Accueil > L’opposition vénézuélienne parle de RCTV-1ere Partie

L’opposition vénézuélienne parle de RCTV-1ere Partie

Publie le vendredi 11 mai 2007 par Open-Publishing

L’opposition vénézuélienne parle de RCTV
*

Introduction

La fin de la concession hertzienne que l’Etat avait donné à la chaîne RCTV suscite toutes sortes de réactions de la part de l’opposition vénézuélienne et de ses alliées internationaux. Sous les faux prétextes d’atteintes à la liberté d’expression, l’opposition au gouvernement bolivarien a repris le chemin de la rue ; effectuant sous la houlette de Manuel Rosales et d’autres leaders politiques des manifestations de soutien à RCTV. Au niveau national, ces manifestations, paradoxales pour un pays où "se meurt" la liberté d’expression, ont facilité la résurgence d’actions plus violentes organisées par des groupes radicaux frustrés dans leur désir de lancer une révolution orange lors des dernières élections présidentielles. Ainsi, une bombe a explosé au parlement régional de la région du Miranda le 14 avril dernier. De même, le 26/04/07, un autre engin explosif a explosé dans les environs immédiats de l’ambassade de Bolivie au Venezuela. A ces deux attentats qui, heureusement, n’ont pas fait de victimes, on peut rajouter l’alerte à la bombe dans le Métro de Caracas le 23/04/07.

Au niveau international, les relais habituels des entreprises privées de communications vénézuéliennes sont entrés dans le champ de la Bataille médiatique. Reporters Sans Frontières (RSF) étudie "des modalités d’actions" (El Universal, 26/04/07, p.1-2), la Société Interaméricaine Presse (SIP) monte au créneau, Marcel Granier a entamé une tournée mondiale pour chercher du soutien, non pas pour sa chaîne qui continuera d’émettre par le câble, mais pour calomnier le gouvernement socialiste du Venezuela. Au parlement européen, Marcel Granier s’est réuni avec le président du groupe du Parti Populaire Européen, Joseph Daul et avec le responsable de la commission des Relations Extérieurs du parlement européen, Jacek Saryusz-Wolsky. Il a profité de sa visite à Strasbourg pour rencontrer Robert Ménard et des responsables de RSF, qui en bon lobby gravite autour de ce centre de pouvoir.

Ce qui ce passe réellement au Venezuela autour du non-renouvellement de la concession à la chaîne RCTV a bien été expliqué par plusieurs articles en langue française. Nous nous permettons à la fin de cette introduction de mentionner quelques liens utiles pour comprendre cette nouvelle attaque contre la Révolution Bolivarienne.

On sait aussi que le gouvernement a accusé la chaîne d’avoir participé (et organisé) la tentative de putsch d’avril 2002. On se souviendra peut être du témoignage clé d’Andres Izarra, président de Télésur, et chef de l’information de RCTV aux moments des faits, qui avait démissionné pour protester contre la censure que la direction imposait à ses employés pendant ces jours tragiques. D’autres témoignages d’intellectuels ou journalistes ont été diffusés renforçant les accusations du gouvernement.

Cependant, ces (rares) témoignages auquel on a pu avoir accès en Europe sont tous issus de sources plus ou moins proche de la Révolution Bolivarienne. Ils ont été repris dans les articles que nous mentionnons plus bas.

Il nous a paru intéressant et important de publier une série de témoignage à la charge de RCTV (place de la chaîne dans la politique nationale, lien avec les pouvoirs corrompus de la IVe république vénézuélienne, rôle de RCTV dans le Coup d’Etat,…) issus des rangs mêmes de l’opposition. Témoignages que nous publierons en plusieurs parties. Nous nous proposons donc de donner la parole à ces membres de l’opposition (parfois radicale) au gouvernement bolivarien afin de bien mesurer encore une fois la taille du mensonge de "la fin de la liberté d’expression au Venezuela".

Romain Migus

Textes relatifs au non renouvellement de la concession de RCTV :

• "L’affaire RCTV : rien à voir avec la liberté d’expression" par George Ciccariello-Maher :
 http://vdedaj.club.fr/spip/article....

• "Hugo Chavez et RCTV : Censure ou décision légitime ?" par Salim Lamrani
 http://www.mondialisation.ca/index....

• "RSF insinue que Chavez est trop légaliste ?" par Numancia Poggi
 http://vdedaj.club.fr/spip/article....

• "Les pieds de Garbo", par Thierry Deronne :
 http://www.vive-fr.org/blog/index.p...

• "Un tautologie absurde : éclairage sur le traitement médiatique du cas RCTV et des nationalisations au Venezuela" par Romain Migus.
 http://risal.collectifs.net/article...

Et toujours, pour ceux qui parlent ou lisent l’espagnol, l’excellent ouvrage édité par le Ministère du Pouvoir Populaire pour la Communication et l’Information :

• "Le livre blanc de RCTV" :
 http://www.minci.gov.ve/doc/libro_b...

*

1ere partie : Rhona Ottolina – A propos de RCTV

Qui parle ?

Rhona Ottolina est une journaliste et femme politique vénézuélienne. Apres une trajectoire au sein de nombreux media commerciaux vénézuéliens, Rhona Ottolina se lance en politique. Elle fut membre du Congrès vénézuélien, et candidate à la présidence de la République en 1993. Elle rassemblera quelques 0,06% des voix. Lorsque Hugo Chavez accède à la présidence de la République, elle en se convertira en une farouche opposante du gouvernement bolivarien. De par sa position médiatique d’une part, distillant le venin de la désinformation quotidienne contre la Révolution ; et d’autre part en participant politiquement au sein d’une organisation civico-militaire, le mal nommé Bloc Démocratique. Elle fut soupçonnée d’avoir participé intellectuellement à l’attentat contre le régiment de la Garde d’Honneur du palais présidentiel en 2003. Comme on peut le voir, il s’agit moins d’une révolutinnaire chaviste que d’une personnalité de l’opposition radicale qui flirte bon avec le terrorisme.

Elle est la fille de Renny Ottolina, journaliste vénézuélien de renom qui dans les années 60 et 70 animait plusieurs show télévisés ayant un réel souci d’éducation citoyenne. Sans en faire pour autant un révolutionnaire, Renny Ottolina s’élevait contre les magouilles de la IV République, et contre le bi-partisme issue du Pacte de Punto Fijo. Comme Producteur Indépendant, il vendait ses populaires émissions à différentes chaînes vénézuéliennes, avant d’être écarté du petit écran en 1973. Il s’est lancé comme candidat aux élections présidentielles de 1978, comme alternative au bipartisme. En pleine campagne présidentielle, il mourut lors d’un "mystérieux" accident d’avion.

Voici donc ci-après le témoignage de Rhona Ottolina sur le poids qu’a eu RCTV dans l’élimination de son père du spectre télévisuel vénézuélien. Nous avons traduit le texte et le reproduisons dans sa totalité afin que le lecteur se rende compte aussi de la position politique de Rhona Ottolina, ainsi que de l’admiration sans bornes qu’elle vouait à son père. Cependant, nous nous permettons, afin de garder une meilleure cohésion du témoignage à charge contre RCTV, de souligner les passages (en gras) qui traite directement de son réquisitoire contre la chaîne de télévision dont la concession expire ce prochain 27/05/07.

Le témoignage :

A propos de RCTV

Nombreuses sont les personnes qui m’ont demandé et invitée à donner mon opinion quant à la convulsion nationale qui se génère autour du cas de la fermeture de RCTV ; sans aucun doute à cause de la relation qu’a entretenue pendant des années mon père avec le canal 2 (RCTV-ndt). Donc, à la lumière de l’histoire, permettez moi de partager avec vous mon opinion et ma position ; de toute façon cela ne changera ni le passé ni le futur. Je vais vous raconter l’histoire, et pour ça, je reprends les paroles de papa lors de sa dernière émission de télévision, lorsque en 1973 lui furent fermées les portes pour toujours de son "Show de Renny" et de "Renny présente", il fut littéralement viré de la télévision vénézuélienne par la volonté conjointe de TOUS les propriétaires de chaînes de télévision ; décision dont la trame et la promotion reviennent à Marcel Granier (Président de 1BC, le groupe médiatique qui détient RCTV-ndt) et Hernan Pérez Belisario (dirigeant de RCTV-ndt) :

"Aujourd’hui, c’est mon dernier jour à la télévision vénézuélienne…les propriétaires des différentes chaînes ont décidé de me retirer la concession que j’avais comme producteur indépendant…elle ne me sera pas renouvelée…ils sont dans leur droit…mais ils ont osé prétendre que je sois leur employé, et que ce soit eux qui me disent, à moi, ce que je dois dire ou ne pas dire à la télévision…En bref, me censurer ! Je suis mort de rire rien qu’à l’idée de penser qu’un Marcel Granier ou un Peter Bottome (actionnaire majoritaire du groupe 1BC-ndt) me disent, à moi, ce que je peux dire ou pas… et qu’ils ne viennent pas me donner des ordres sur comment je peux faire ou ne pas faire mon programme de télévision. Celui qui, au Venezuela, peut me dire à moi comment faire de la télévision n’est pas encore né. Donc, à partir d’aujourd’hui, je sors des écrans vénézuéliens." (Renny Ottolina, dernière émission, 1973)

En 1973, Renny Ottolina fut remercié de la télévision vénézuélienne. Ce fut le coup le plus dur qu’on ne lui ait donnée dans toute sa vie. Il en fut ainsi parce que c’est comme ça que l’a voulu Marcel Granier. En 1973, son contrat comme Producteur Indépendant expirait, comme tous les deux ans depuis 1961. Avec le temps, Marcel Granier disait que Renny représentait une charge politique pour la chaîne et que, par conséquence, il n’était pas rentable. Ensuite, il a soutenu que Renny représentait "un problème" car ils "ne pouvaient le contrôler", et selon Marcel Granier il menaçait les intérêts de la chaîne. Selon Marcel Granier, il fallait virer Renny de la télévision, mais pas seulement de la 2e chaîne (RCTV-ndt) mais de toutes les chaînes de télévision. Renny était devenu une menace, selon lui, et on ne pouvait le laisser continuer. Ainsi, Marcel Granier, et Hernan Perez Belisario se mirent à la tâche de réunir tous les propriétaires de chaînes télévisées et de leur vendre l’idée selon laquelle ils devaient agir ensemble et ne pas renouveler de concessions ou d’espace de télévision à Renny Ottolina pour produire ses programmes indépendants. Ils en ont conclu que si Ottolina voulait faire de la télévision, il devait accepter de travailler comme un employé de la chaîne, assujetti aux restrictions que la chaîne impose. C’est-à-dire que Renny aurait dû abandonner sa propre émission indépendante, sans censure ni restrictions, et devait accepter de se soumettre aux restrictions et à la censure de la chaîne.

Et aujourd’hui, les mêmes osent se réclamer de la liberté d’expression !
Marcel Granier savait que jamais Renny n’aurait accepté ces conditions. Et ça, chers Vénézuéliens, c’est une histoire bien réelle.

C’est l’unique raison pour laquelle les Vénézuéliens arrêtèrent de regarder "le show de Renny", et pour laquelle on les a empêchés de voir Renny à la télévision. Marcel Granier a enlevé sa concession à Renny.
Renny avait bien plus d’audimat, avec son heure quotidienne que tous les autres programmes de la chaîne, c’est sûr il était le meilleur ; et Renny utilisait pleinement son doit à la liberté d’expression dans son émission et au dehors…ça ne pouvait pas être autrement ! …mais ça, ça dérangeait Marcel Granier.

Renny disait ce qu’il pensait. C’est une critique sévère du Gouvernement (d’alors, Renny Ottolina meurt en 1978-ndt), de l’Université, de la corruption galopante, des abus de pouvoir, de la négligence des citoyens, des amitiés dans le partage des privilèges, de la discrimination entre citoyens de première et de seconde zone selon leur affiliation à tel parti et leurs connaissances politiques, de la fainéantise des travailleurs public, des citoyens qui ne respectaient pas les normes civiques…etc, etc…Il n’y avait aucun thème d’intérêt général que Renny n’abordait pas. Et c’est pour ça que Renny était le plus grand critique de la médiocrité et de l’irresponsabilité à la télévision vénézuélienne.

Il dissertait sur l’importance de la responsabilité des media par rapport au public. Il dénonçait l’immense pouvoir des media comme si c’était sa mission, et par respect pour le public. Ca le préoccupait de voir que les chaînes de télévision étaient plus préoccupées de vendre et de gagner de l’argent grâce à la vulgarité et à la bassesse d’émissions qui, loin d’élever, dés-éduquaient, détruisant l’éducation en enseignant y en exaltant les plus bas instinct de l’être humain, au lieu de contribuer à élever et améliorer la condition du Peuple.

Papa a toujours été préoccupé par l’irresponsabilité des media audiovisuels qui, au lieu de tirer vers le haut, choisissaient toujours de s’égaler dans la médiocrité et de maintenir le téléspectateur ignorant et stupide afin de pouvoir l’utiliser. Il l’a ainsi démontré dans son (article ndt) "Procès de la Télévision Vénézuélienne".Il n’y avait aucun moyen pour qu’ils fassent taire Renny afin de faire passer les intérêts subalternes de la chaîne au dessus des intérêts du pays ; et ça dérangeait Marcel Granier.

Mais Renny éduquait, enseignait les bonnes modalités, stimulait la bonne conduite citoyenne et réclamait, autant aux media, qu’au Gouvernement et aux gouvernants de la responsabilité publique, de la décence, et de l’intégrité. Il faisait aussi des appels constants au citoyen lambda pour qu’il soit un bon citoyen ; car Renny disait que seule une prise de conscience collective et de bons citoyens, pourraient nous faire commencer à construire un meilleur pays.

La télévision, ça n’était pas un travail pour papa : c’était sa vie ! Avec la sortie de Renny du spectre télévisuel, on a empêché le pays et les générations à venir de profiter d’un talent exceptionnel ; de se nourrir de l’avant-garde d’un homme qui non seulement donnait du prestige à la télévision mais aussi qui divertissait avec classe et dignité. Il faisait autant rire et sourire, que penser et réfléchir. Renny éduquait, il nous touchait le cœur, l’esprit, et l’intelligence des Vénézuéliens pour qui il était un professionnel qui connaissait et comprenait le ressentir des gens, de son Pays, et la grande responsabilité que détenait la télévision. Et en plus, tout ce que faisait Renny, il le faisait avec une passion et un amour pour sa Patrie que l’on ne peut remettre en cause. Renny aimait le Venezuela. Renny aimait les Vénézuéliens, mais ça irritait Marcel Granier.

Avec sa mise au placard de la télévision, commençait pour Renny le début de la fin. Ca a été comme si l’on avait coupé les mains de Beethoven en pleine création musicale, ou encore les pieds de Pelé, ou empêcher à Margot Fontaine de danser un ballet, ou arracher les ailes d’un colibri. Papa a commencé à mourir le jour où on lui a fermé les portes de la télévision. Et ça c’est Marcel Granier qui l’a fait avec le concours et le consentement de toutes les chaînes de télévisions…parce qu’elles ont toujours fait passer leurs intérêts au dessus des intérêts du pays. C’est une grande hypocrisie que, au nom de la Démocratie et de la Liberté d’expression, l’on invoque –maintenant- le droit de RCTV.… Et qu’il soit bien clair que je ne parle pas de ses employés aussi victimes des manipulations arrogantes et mesquines de la direction de RCTV. De la même manière, je dois souligner la grande considération que j’ai pour les jeunes journalistes qui relèvent la tête et risquent tout.

Disons la vérité tristement : ici, il n’y a jamais eu de liberté d’expression. Et les principaux responsables sont les propres chaînes de télévisions, à réduire à leur convenance la libre expression de ceux qui, nombreux, voulaient s’exprimer, et auxquels rien n’a été permis.

Telle a été la compromission des chaînes de télévision avec tous les gouvernements de quelques bord que se sois, sois de la 4e République ou avec celle qu’on appelle la 5e, … pour survivre et gagner de l’argent.
Et comme ils se sont trompés ! S’il est bien réel que cette attitude pour protéger ses intérêts -au lieu de l’intérêt collectif-, a fonctionné avant…avec ce Régime, plus ils s’agenouillent, plus rapidement ils perdront. RCTV est en train de l’apprendre aujourd’hui…et très prochainement ça sera le tour de Globovision…parce que si ça avait été vrai que les chaînes de télévisions eussent défendus la démocratie et la liberté…et non leur propre existence…elles se seraient unies et ensemble elles auraient livré la bataille qu’elles auraient dû livrer. Brutale, sans garnison propre, et frontale contre toutes les aberrations que petit à petit le gouvernement nous a imposées…en risquant tout pour cette liberté.

Et ils auraient dû les fermer avant…toutes…ensemble…arbitrairement et illégalement…car tous ces écrans sans images et sans sons auraient alors crié beaucoup plus et…bien avant ! Pour défendre la liberté !!
Qu’elle triste quel rôle pathétique elles doivent jouer aujourd’hui, parce que après avoir cédé et cédé, après s’être autocensurées, et avoir compromis leur capacité d’action face au régime, de toutes façons ils (le gouvernement-ndt) vont les fermer mais, pas de manière tranchante et anti-démocratique comme cela aurait été digne et courageux, montrant ainsi la face cachée autoritaire et dictatoriale de ce régime corrompu et communiste…donc cette opportunité, les chaînes de télévision l’ont perdue…toutes…et maintenant, ils les ferment…"légalement"…Quelle blague !

Et oui, tout gouvernement est dans son droit à rénover ou non une Concession ! Et sinon, demandez à Marcel Granier…Quel rôle pathétique ! Pauvre Venezuela !

Ca, mes chers compatriotes, c’est ce que je pense.

Je suis une inconditionnelle combattante de la liberté…la vraie. Pour un Venezuela décent.

Rhona Ottolina

Témoignage en espagnol disponible sur :
 http://venezuela-digital.com/forum/...

Traduction : Romain Migus, Mathilde Gauvain

*
Prochaine partie : Leo Campos – "Nous avons été de la chair à canon".
Sur le rôle actif de RCTV lors du coup d’Etat d’avril 2002.