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réflexion sur tv sans pub (suisse)

Publie le vendredi 11 janvier 2008 par Open-Publishing

Le Temps I Article

La TV publique sans publicité, un modèle pour la Suisse ?

Gilles Marchand, directeur de la TSR, estime que le modèle Sarkozy d’une TV publique sans publicité, en Suisse, signifierait à coup sûr une réduction de l’offre de programme.

Gilles Marchand
Vendredi 11 janvier 2008

Avec un art consommé de l’annonce médiatique, le président français Nicolas Sarkozy vient de lancer l’idée d’une télévision publique française sans publicité. Séduisante hypothèse, souvent caressée en Europe, que son conseiller Marc Benamou commente en appelant à la fin de l’hypocrisie qui consiste à demander tout à la fois à la télé publique une programmation de qualité, originale et des performances d’audience pour alimenter des recettes commerciales.

Une télé publique sans pub aurait ainsi, à première vue, le mérite de la différence radicale avec les diffuseurs commerciaux et verrait sans doute la pression de l’audience s’alléger quelque peu.

Allons jusqu’au bout de ce raisonnement, tordons le cou à toutes les « hypocrisies » et voyons les deux principaux effets qu’une telle mesure entraînerait.

Si la perte des recettes publicitaires n’est pas réellement compensée par d’autres ressources, on assistera irrémédiablement à la marginalisation rapide de la télé publique dont les moyens auront drastiquement diminué. De facto, le spectre des programmes se réduira. Cela se traduira par une diminution brutale des retransmissions sportives, de la coproduction de films, de la captation de spectacles vivants. En effet, le direct, les captations sont, avec les reportages, les éléments les plus coûteux des programmes de télévision. Bien plus chers que les talk-shows qui se déclinent à l’infini, particulièrement dans les grilles des télévisions privées ou sur le Web.

Dans ce cas, la télévision de service public se limitera à l’information et ne touchera plus qu’une faible partie du public. La place sera alors faite aux grands diffuseurs privés qui occuperont le terrain audiovisuel avec les fictions, le sport et les divertissements, en standardisant de plus en plus les formats et les concepts. C’est à peu près la situation américaine, où les télés publiques ne comptent plus dans le paysage audiovisuel. Ce qui est, soit dit en passant, en totale contradiction avec la cause de ceux qui plaident pour un service public de qualité qui touche le plus grand nombre. En Suisse, ces diffuseurs privés s’appellent TF1, M6, plus loin RTL, Sat1 ou encore Mediaset.

Se poseraient alors d’autres questions comme celle du lien social, qui reste au cœur des mandats de service public, mais qui n’est pas nécessairement considéré comme prioritaire par les grands diffuseurs privés ou thématiques.

Autre cas de figure. Que se passera-t-il si l’on compense le manco publicitaire par d’autres recettes, afin de maintenir tout ou partie de l’offre publique de programme ? C’est le schéma anglais ou l’hypothèse esquissée par le Président français.

En France, France 2 dispose à elle seule du même budget que les sept télévisions et les seize radios en quatre langues de la SSR et le service public français génère environ 700 millions d’euros de recettes publicitaires. Cette manne prodigieuse se reportera en bonne partie sur les grandes chaînes commerciales, qui rassemblent entre 10 et 30% de l’audience globale. Et même avec une taxe sur les profits publicitaires qui ne correspondra jamais aux 800 millions d’euros perdus, le cadeau reste inespéré pour TF1 ou M6.

En Suisse, ce mécanisme est-il transposable ? Non, car il n’y a pas de chaîne commerciale généraliste capable de fédérer une audience équivalente. Avec leurs boucles de programmes de deux ou trois heures quotidiennes et leurs concessions locales, les télévisions privées suisses, aussi intéressantes et prometteuses soient-elles, ne peuvent actuellement offrir l’audience massive, nationale ou suprarégionale recherchée par les annonceurs. La recette publicitaire suisse partirait donc en force sur les fenêtres publicitaires étrangères, réduisant au passage la capacité de production audiovisuelle de notre pays.

Quant à l’idée de taxer les télécommunications ou les abonnements internet, ne doutons pas que l’introduction de taxes supplémentaires soit fraîchement accueillie en Suisse !

Le modèle Sarkozy, en Suisse, signifierait ainsi à coup sûr une réduction de l’offre de programme de la télé publique et sa marginalisation rapide. L’enjeu est clair. En Suisse romande, les recettes publicitaires de la TSR s’élèvent à environ 90 millions. Soit un tiers de son budget. Cette recette se fonde sur une part de marché de 30%. Quelle chaîne privée pourrait à court ou moyen terme offrir cette plate-forme, mis à part les fenêtres des diffuseurs français ? En fait, ce modèle serait un appel direct à l’arrivée de TF1 dans le marché publicitaire suisse, avec les conséquences désastreuses que cela aurait pour tous les acteurs médias suisses.

Reste alors l’option BBC. Là, le financement est assuré par une redevance forte et des ouvertures intelligentes à d’autres formes de commercialisation. La BBC se décline sur de nombreuses chaînes thématiques, revend beaucoup de programmes, a une stratégie offensive de produits dérivés, édite des magazines (avec des annonces !) et commercialise ses contenus numériques et interactifs. Toutes ces ouvertures vers des financements alternatifs, qui pourraient chez nous alléger aussi le poids de la redevance, sont actuellement très limitées, voire interdites à la SSR.

Mais dans ce modèle, l’Etat joue un rôle absolument décisif en déterminant l’essentiel des moyens de la télévision publique. Il faut alors mettre en place un dispositif solide qui règle les relations entre l’Etat-actionnaire et la télévision, afin de préserver l’indépendance rédactionnelle et d’éviter des tentations interventionnistes dignes des débuts de l’ORTF...

Dans tous les cas de figure, le débat de fond est celui du rôle confié à l’opérateur public. Car de celui-ci dépend le modèle économique. C’est dans ce sens qu’il faut conduire le débat. Et non en l’empoignant par l’enveloppe budgétaire puis en se demandant ce que l’on peut en faire.

Un système mixte, tel que nous le pratiquons en Suisse et dans la plupart des pays européens, présente de solides atouts. Il impose aux télévisions publiques de rester en phase avec leur public, d’innover, de se renouveler en permanence. Il exige aussi certaine culture de l’efficience, du résultat, sans pour autant que les programmes ne soient évalués qu’avec le seul critère de leur rentabilité.

Les recettes commerciales pèsent pour moins de 30% du budget de la SSR. Mais elles représentent un apport indispensable, vital et un contact précieux avec la réalité des marchés. Dans un pays qui compte moins de 10millions d’habitants, de surcroît divisés en trois zones linguistiques, le modèle mixte est clairement le plus adapté.