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Une autre Europe est possible... une autre gauche aussi !, une tribune d’Olivier Besancenot

Publie le vendredi 4 juin 2004 par Open-Publishing

Pour le porte-parole de la LCR, une orientation anticapitaliste et la voie
sociale-libérale du PS sont incompatibles. L’heure n’est plus au « vote
utile ».

En mai et juin 2003, il y a eu, à trois reprises, plus d’un million et demi
de manifestants ! Des travailleurs qui, comme moi, pendant plus d’un mois,
pour sauvegarder un système de retraites décent, se sont chèrement payé la
droite en journées de grève. Aux régionales, à coup de bulletins de votes,
ils ont remis ça.

Pourtant, si les mobilisations lui imposent des reculs, ce gouvernement,
arrogant, continue sur sa lancée. Dans cette curieuse démocratie à la sauce
UMP, si ce n’est pas la rue qui gouverne, ce ne sont pas non plus les urnes.
C’est toujours le Medef.

Chirac, Raffarin et Sarkozy tapent sur tout ce qui n’est pas encore coté en
bourse : les services publics, la protection sociale, les retraites, le
droit du travail, la recherche, la culture, l’éducation.

Aux régionales, la gauche traditionnelle a bénéficié de la gifle infligée à
la droite. Victime du « vote utile », du traumatisme du 21 avril et de la
réforme antidémocratique du mode de scrutin, la gauche révolutionnaire ne
réalise pas la percée espérée, même si elle consolide et stabilise son
électorat avec près de 5 % des suffrages, soit un million d’électeurs. Nous
n’avons pas boudé notre plaisir en participant à ce mouvement de résistance
croissant, aussi bien dans les urnes que dans les luttes. Chez ceux qui ont
cru voter « utile », personne ne semble enthousiaste à l’idée de voir
Raffarin III, désormais illégitime, être remplacé par la Gauche plurielle
II. C’est pourtant là toute l’ambition du PS. Et si le PCF a, le temps de la
campagne, rougi son programme, sa direction reste tiraillée entre repli
sectaire vers le passé et fuite en avant vers la social-démocratie.

Pourtant, il existe une autre voie, anticapitaliste et unitaire.

La crise sociale et politique s’approfondit. On a maintenant affaire à un
scrutin à trois tours : deux tours électoraux et un troisième tour social,
nourri de revendications sociales et de frustrations électorales. Les
mobilisations du printemps dernier constituaient bien le troisième tour
social de l’élection présidentielle de 2002. Avec la bataille qui s’annonce
sur la Sécurité sociale, il s’agit cette fois de remporter le troisième tour
social des régionales, en battant Raffarin et sa politique, une bonne fois
pour toutes.

Notre système de protection sociale est en danger. Le « plan hôpital 2007 »
prévoit de libéraliser la santé publique. Le « panier de soins » l’oriente
vers un système à l’américaine : les plus pauvres bénéficieront d’une
couverture humanitaire, les plus fortunés d’une assurance privée. Pour nous,
la santé n’a pas de prix. N’importe qui doit pouvoir avoir accès
gratuitement aux soins. Agité par la droite patronale et la gauche libérale,
le déficit de la Sécu sert d’épouvantail, alors qu’il est principalement dû
aux mauvais payeurs : le patronat et l’État. S’il n’y avait pas 2,5 millions
de chômeurs en France, personne ne parlerait du trou de la Sécu : il y
aurait autant de cotisants en plus ! Chaque année, 19 milliards d’euros sont
offerts au patronat sous forme d’exonérations de cotisations. Plus que le
trou de la Sécu ! Plus que la somme nécessaire pour créer les 120 000
emplois que réclament d’urgence les syndicats dans la Santé !

Défense de la Sécu, sauvegarde du statut public d’EDF, soutien aux salariés
contre les licenciements : toute la gauche sociale et politique devrait se
rassembler pour résister dès maintenant. Mais déjà, la direction du PS
craint d’être victime de son succès et nous demande d’attendre patiemment
2007.

Les élections européennes seront l’occasion de sanctionner une nouvelle fois
la droite. Mais, cette fois-ci, en changeant le rapport de force à gauche.
Car une autre Europe est possible. Les traités de Maastricht et d’Amsterdam
la réduisent à un grand marché économique où les peuples ne peuvent se
partager que la misère. Il est nécessaire d’initier une véritable révolution
démocratique et sociale en uniformisant, vers le haut, la législation
sociale. Des critères de convergences sociales et démocratiques pourraient
permettre d’instituer un salaire minimum européen, l’interdiction des
licenciements collectifs dans les entreprises bénéficiaires en accordant un
droit de veto aux comités européens d’entreprise sur les plans sociaux, un
moratoire sur les OGM, le droit à l’avortement partout, des services publics
européens, la suppression des paradis fiscaux...

Le projet de Constitution, remis en selle par le nouveau gouvernement (de
gauche !) espagnol, est une sorte de super-traité libéral qui nie les droits
sociaux fondamentaux. Il entérine cette Europe de la finance que nous
combattons les uns et les autres au sein du mouvement altermondialiste. Son
préambule annonce la couleur : respect des « lois du marché, de la
concurrence ou de la propriété privée ». Inférieure aux législations
nationales, la charte des droits fondamentaux ne mange pas de pain. Pas de
droit à l’emploi, mais le « droit de rechercher un emploi » ! Pas de droit à
la protection sociale mais le « droit d’avoir accès à la protection
sociale » ! Pourtant, à gauche, le PS et les Verts défendent ce projet. Un
« non de gauche » à cette Constitution implique un refus catégorique de tous
replis nationalistes et chauvins. Mais, pour que l’idée même de l’Europe ne
soit pas définitivement discréditée, il est urgent de changer d’Europe. Pour
cela, les acteurs des mobilisations européennes ou françaises et les
organisations de la gauche anticapitaliste doivent s’entendre pour ne pas
laisser la gauche de demain à Blair, Schröder, Strauss-Kahn ou Fabius.
Pendant cinq ans, Jospin a répété à ses alliés, Verts ou PCF, qu’il n’y
aurait pas deux politiques au sein du même gouvernement. Ils ont ainsi dû
voter les lois sur les privatisations, accepter l’impuissance des pouvoirs
publics au moment des licenciements boursiers chez Michelin, fermer les yeux
sur les CRS envoyés sur les chômeurs occupant les ANPE pour la prime de
Noël.

Une orientation anticapitaliste, que LO et la LCR ne sont pas les seuls à
incarner, et une orientation sociale-libérale ne peuvent pas coexister au
sein d’un même gouvernement ni d’un même exécutif, qu’il soit régional,
national ou européen. Voilà le débat politique qui continue à tarauder
légitimement les électeurs de gauche.

L’heure à gauche n’est plus au vote prétendument « utile ». Elle est à dire
ce que l’on pense vraiment, ce que l’on veut pour qu’un autre monde soit
possible.

(*) Olivier Besancenot est porte-parole de la LCR. Il conduit la liste
LCR-LO en Île-de-France aux européennes.