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un film à voir (APRES LE KEN LOACH)

Publie le vendredi 11 janvier 2008 par Open-Publishing

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CINEMA. « La France » de Serge Bozon invite à toutes les rêveries en confrontant une Sylvie Testud travestie à une patrouille de soldats perdus de la guerre de 14-18.

Norbert Creutz
Vendredi 11 janvier 2008

Une jeune femme décide de partir à la recherche de son mari disparu sur le front de la guerre de 14-18. Non, ce n’est pas Un long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet. Plutôt son exact opposé ! Au lieu du film le plus cher de l’histoire du cinéma français, sans doute l’un des plus fauchés - compte tenu de ses ambitions. Au lieu d’un inventaire d’antiquaire fétichiste rehaussé d’effets spéciaux dernier cri, une invitation au rêve par un cinéaste qui ose faire confiance au spectateur. Au lieu d’un film français lorgnant désespérément sur le marché américain, un film qui se résigne à son territoire tout en s’autorisant des échappées mentales vers tous les ailleurs.

Provocateur, le titre de La France de Serge Bozon ne doit pas être compris autrement : loin d’un cri de ralliement pour le repli identitaire, il désigne au contraire une terre-patrie problématique, certes belle mais à laquelle il s’agit autant que possible d’échapper. Et le cinéaste ne s’arrête pas en si bon chemin ! En fait de Première Guerre mondiale et d’automne 1917, on n’apercevra guère qu’une tranchée, un mirador, des tombes et quelques soldats allemands à cheval tandis que la petite troupe de soldats français à laquelle se joint l’héroïne rêve d’Atlantide et pousse la chansonnette pop sur des instruments bricolés « d’époque »...

Mais reprenons au début, qui voit Camille recevoir de son François adoré une lettre de rupture au ton définitif. Sonnée mais incrédule, elle se déguise en homme pour se lancer à sa recherche, à pied à travers champ, et tombe bientôt sur une dizaine d’hommes menés par leur lieutenant, qui ont été coupés de leur régiment. A partir de là, tout pourrait virer à la bidasserie style La 7e compagnie de Robert Lamoureux, avec l’héroïque petite troupe faisant la nique aux Allemands. Mais non, car de même que le mystérieux « jeune homme », ces mâles poilus cachent un lourd secret, qui mène le film sur un terrain nettement plus poétique et métaphorique.

L’absence stimulante

Ici, chaque péripétie comporte un petit je-ne-sais-quoi d’incomplet, de mystérieux. Dans le croisement de ces deux trajectoires qui s’ignorent, chaque phrase prononcée paraît cacher un monde de non-dits, chaque plan sur cette France étrangement dépeuplée appeler un hors-champ. Tout le film est comme aimanté par l’absence du front et de l’être aimé. Mais peut-on vraiment bâtir tout un film sur l’absence ?

Sans doute pas. Heureusement, il y a aussi une image très travaillée (due à Céline Bozon, sœur de l’auteur), un scénario très écrit (cosigné par Axelle Ropert, autre collaboratrice de toujours) et surtout l’irremplaçable Sylvie Testud. Lointaine héritière de la Sylvia Scarlett interprétée par Katharine Hepburn pour George Cukor, l’actrice détone de manière toujours captivante dans le groupe mené avec une douce autorité par Pascal Greggory. Et quand surgit Guillaume Depardieu, en soldat blessé revenu de loin, on saisit encore mieux la finesse de ce faux petit film.

Les uns s’arrêteront à l’hypothèse (défendable) d’un propos crypto-gay, les autres aux mânes diffus de la nouvelle vague. Mais La France va plus loin. Dans son inéluctable plongée vers la violence, entrecoupée de drôles de décrochages musicaux (des ballades écrites au féminin évoquant les amours d’une aveugle aux quatre coins de l’Europe !), ce film effleure avec une rare délicatesse toutes les grandes questions existentielles : guerre et paix, amour et amitié, patrie et utopie, vie et mort.

A l’origine identifié comme le chef de file d’un petit groupe de dandys cinéphiles réunis autour de la revue La Lettre du cinéma, Serge Bozon s’affirme à 35 ans comme un cinéaste à prendre au sérieux. Et si ce lointain héritier de Jacques Tourneur, via Jean-Luc Godard et Jean-Claude Biette, était l’un des plus sûrs espoirs du cinéma français ?

La France, de Serge Bozon (France 2007), avec Sylvie Testud, Pascal Greggory, Guillaume Verdier, François Négret, Laurent Talon, Guillaume Depardieu. 1h 42.