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A la prison de Nantes, libération égale détention -
Publie le vendredi 7 juillet 2006 par Open-PublishingA la prison de Nantes, libération égale détention
Un Camerounais est maintenu en cellule pour faciliter son expulsion.
Par Jacqueline COIGNARD
QUOTIDIEN : Vendredi 7 juillet 2006 - 06:00
Que des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire s’assoient très tranquillement sur une décision de justice, les magistrats de Nantes n’en reviennent toujours pas. Et l’histoire de Lyngil K., détenu hors de tout cadre légal à la maison d’arrêt de la ville le temps que la police de l’air et des frontières (PAF) vienne le cueillir, fait le tour du palais depuis quelques jours.
Lundi, ce Camerounais de 26 ans comparaît pour une affaire d’escroquerie (cavalerie avec des chèques volés) devant le tribunal correctionnel de Nantes, après quinze mois de détention provisoire. Il est condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis. A priori, il a déjà fait trois mois de trop. La parquetière de l’audience inscrit « Libéré ce soir » sur la feuille destinée à la maison d’arrêt. Et le président l’informe, devant sa concubine et son bébé qui patientent dans la salle : « Vous retournez en prison pour la levée d’écrou, mais vous ressortez ce soir. »
« Pourtant, une fois arrivé à la maison d’arrêt, vers 19 heures, les surveillants lui annoncent qu’il ne pourra pas récupérer ses affaires, sauf à passer une nouvelle nuit sur place » , raconte Me Marie-Emmanuelle Beloncle, son avocate. Ils lui font signer un accord, se référant à un dispositif prévu pour les détenus libérés à une heure tardive et qui n’ont ni gîte, ni moyen de locomotion. Ce qui n’est pas le cas de Lyngil K.
Mardi à 8 heures, le détenu attend avec son paquetage. C’est alors que les surveillants lui annoncent qu’il ne sort toujours pas, car la PAF va venir le chercher à 11 h 30 : Lyngil K. vit en situation irrégulière en France depuis 2002. Malgré l’intervention de son avocate et du parquet de Nantes, le scénario se déroule comme prévu par l’administration pénitentiaire. Vers 11 h 30, la PAF arrive avec un arrêté de reconduite à la frontière, et il part en centre de rétention.
« En vingt ans de carrière, je n’ai jamais vu ça » , indique une magistrate du parquet, qui s’avoue « effarée par la désinvolture qui nous a été opposée à la maison d’arrêt ». « Nous sommes quand même dans un Etat de droit. On ne peut pas priver quelqu’un de liberté hors du cadre légal », poursuit-elle. Saisi le lendemain par la préfecture d’une demande de renouvellement de la rétention, le juge des libertés et de la détention (JLD) a d’ailleurs refusé de l’accorder, en invoquant la déloyauté de la procédure. Et il a libéré Lyngil K., qui reste par ailleurs sous le coup de l’arrêté de reconduite à la frontière.
Pression. « Je vais déposer une plainte avec constitution de partie civile pour détention arbitraire » , annonce Me Beloncle. L’enquête permettra d’éclaircir les rôles et les motivations des uns et des autres. Contactée hier, l’administration pénitentiaire a indiqué qu’elle « ne souhaitait pas commenter cette affaire ». Le syndicat de la magistrature y voit « une nouvelle manifestation inquiétante de la sujétion de l’administration pénitentiaire au ministère de l’Intérieur » et de la « pression inédite exercée pour obtenir un nombre toujours croissant de reconduites à la frontière » .