Accueil > Affaire des Roms : la France n’est pas exonérée
de Natalie Nougayrède
La question du traitement des Roms par la France n’est pas sur le point de disparaître, contrairement à ce qu’avancent les autorités françaises. La France reste placée sous la surveillance de Bruxelles, et elle n’a en rien été blanchie s’agissant des soupçons de discrimination à l’égard de cette minorité.
La procédure d’infraction contre la France à propos de l’application de la directive européenne de 2004 sur la libre circulation est "seulement mise en attente", a déclaré mercredi 20 octobre la commissaire européenne chargée de la justice, Viviane Reding. Bruxelles se donne par ailleurs encore quatre semaines pour déterminer si les expulsions de Roms hors de France comportaient des actions discriminatoires.
Par ailleurs, dans un texte transmis au Monde mercredi, qui inflige un cinglant démenti à la version officielle française selon laquelle tous les doutes auraient été levés, Rob Kushen, le directeur du Centre Européen pour les droits des Roms, souligne à quel point il reste à la France de faire la démonstration, preuves à l’appui, que les expulsions n’étaient pas discriminatoires.
OPÉRATION DE COMMUNICATION
Selon le directeur de cette organisation soutenue par George Soros, basée à Budapest, et qui fait autorité depuis des années sur la question des Roms en Europe, le président français a déformé les faits pour les présenter à son avantage. Autrement dit, il se serait livré à un exercice de "spin", selon l’expression en anglais pour désigner les opérations de communication.
Mardi, à Deauville, en marge d’un sommet avec la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev, le chef de l’Etat avait commenté l’annonce d’un retrait (en fait, temporaire) de la procédure d’infraction en ces termes : "Je suis très heureux que la raison triomphe (…) La Commission a décidé de ne pas faire de procédure à l’endroit de la France pour discrimination pour la simple raison, comme je l’ai toujours dit, qu’il n’y avait pas de discrimination."
La manipulation de M. Sarkozy, explique M. Kushen, consiste à confondre deux choses distinctes : d’une part, les clarifications demandées à la France par Bruxelles concernant la transcription dans la législation française de la directive de 2004 ; d’autre part, les interrogations sur le caractère discriminatoire des expulsions.
LA PROCÉDURE EST GELÉE, MAIS RESTE OUVERTE
Sur le premier point, la Commission a indiqué mardi qu’elle était satisfaite des réponses apportées par la France. Mme Reding a toutefois précisé que même si la procédure d’infraction était gelée, "elle restera ouverte jusqu’au moment où le gouvernement français aura adopté sa législation".
Sur le second point, celui relatif à des traitements discriminatoires, tout reste "placé sous l’active surveillance de la Commission", note M. Kushen. "Les autorités françaises devraient être attentives au fait qu’elles demeurent sous observation et que leurs mesures n’ont pas été exonérées", ajoute-il.
George Soros avait déjà émis des doutes sur la politique française à l’égard des Roms, dans un entretien accordé au Monde en septembre. Le ministre français des affaires étrangères Bernard Kouchner l’avait ensuite rencontré à New York pour tenter de neutraliser ces critiques. Celles-ci semblent maintenant reprendre de plus belle, à en juger par la prise de position de M. Kushen.
"Les preuves de discrimination sont évidentes", affirme le directeur du Centre européen pour les droits des Roms, qui se réfère à deux documents : "le communiqué de l’Elysée du 28 juillet et la circulaire du ministère français de l’intérieur du 5 août. Dans ces textes, les Roms sont spécifiquement ciblés pour des évictions et des expulsions."
UN ORDRE D’EXPULSION TOUTES LES SIX MINUTES
"La législation européenne", poursuit M. Kushen, "exige qu’aucun ressortissant d’un pays de l’Union européenne ne puisse être expulsé sans un examen précis, personne par personne, des circonstances dans lesquelles il se trouve." Or, le Centre a documenté en France plusieurs cas d’expulsions où cette procédure n’était pas respectée. "Dans une municipalité, trente ordres d’expulsion contre des Roms ont été traités en l’espace de trois heures – un toute les six minutes", décrit-il.
Par ailleurs, "les retours soi-disant volontaires étaient tout sauf volontaires : dans de nombreux cas, les habitations de ces personnes ont été détruites et elles ont été menacées d’expulsion si elles ne consentaient pas à partir "volontairement". Des descentes de la police dans des campements roms ont about abouti à ce que des enfants soient séparés de leurs familles et laissés à dormir dans la rue."
Les autorités françaises ont depuis l’été affirmé que les mesures d’expulsion ne visaient pas que les Roms. Mais M. Kushen observe "qu’il apparaît que toutes les personnes renvoyées en Roumanie et en Bulgarie durant l’été étaient des Roms. Au cours des études que notre Centre a effectuées dans ces pays, nous n’avons identifié aucune personne expulsée (de France) qui n’était pas Rom ".