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Attentat de Karachi : François Léotard renvoie la balle aux chiraquiens

Publie le lundi 31 janvier 2011 par Open-Publishing

Auditionné aujourd’hui par le juge Trévidic, François Léotard, qui fut ministre de la défense d’Edouard Balladur et signa à ce titre les contrats Agosta de vente de deux sous-marins au Pakistan, a livré hier une nouvelle version des faits.

Dans une tribune publiée sur le site Rue89, l’ex-ministre revient sur son rôle dans la signature de ces contrats accompagnés de généreuses commissions payées à des intermédiaires. L’arrêt du versement de ces commissions par Jacques Chirac et Charles Millon, successeur de M. Léotard au ministère de la défense, aurait pu provoquer l’attentat de 2002, qui a coûté la vie à onze Français à Karachi.

>> Lire la synthèse : Karachi, si vous avez raté un épisode

M. Léotard attribue l’attentat de Karachi à deux causes : d’une part, "l’arrêt des commissions". Il assure que les intermédiaires n’ont pas été "imposés" par les autorités françaises, contrairement à ce qu’affirment plusieurs enquêtes journalistiques, qui ont montré comment ceux-ci – dont l’un, Ziad Takieddine, est proche de Nicolas Sarkozy – avaient été amenés dans la négociation tardivement.

Ensuite, et c’est plus surprenant, M. Léotard évoque une "piste indienne", avec "la vente à l’Inde par le gouvernement français de sous-marins plus performants que ceux qui avaient été livrés au Pakistan auparavant, contrairement aux engagements pris".

LA "PISTE INDIENNE" DÉJÀ ÉVOQUÉE PAR LA DCN

Cette hypothèse, révélée notamment par Libération le 3 janvier 2011, a déjà été évoquée par Jean-Marie Boivin, l’ancien responsable financier de la Direction des constructions navales (DCN). Elle attribue la responsabilité de l’attentat de Karachi à une vengeance de militaires pakistanais, furieux que Paris ait cédé des sous-marins au rival indien.

Selon M. Boivin, cité notamment par Mediapart, lors de la signature du contrat Agosta, la DCN aurait signé une "contre-lettre" secrète par laquelle elle s’engageait à ne pas vendre de sous-marins à l’Inde.

La France serait revenue sur cette promesse à la faveur d’un contrat sur la vente de six appareils de type Scorpène, signé en 2001 pour 2,3 milliards d’euros. Officiellement, le groupe Thales était le maître d’œuvre de ce contrat. Pas la DCN. Même si, selon M. Boivin, les mêmes personnes étaient passées d’une entreprise à l’autre pour en assurer la gestion.

RENVOYER LA BALLE AU CAMP CHIRAC

Bref, selon M. Léotard, après avoir, avec "une grande légèreté", mis fin au versement des commissions sur le contrat Agosta, les chiraquiens auraient en outre rompu l’engagement pris auprès du Pakistan. D’après lui, "il y aurait une étrange inversion dans l’examen des responsabilités à considérer MM. Balladur, Léotard ou Sarkozy comme à l’origine de cette tragédie".

Une manière de renvoyer la balle à Dominique de Villepin ou Charles Millon, qui ont tous deux fortement soupçonné que les commissions Agosta ont pu donner lieu à des rétrocommissions : une partie de l’argent serait revenue en France pour financer certains partis, et en premier lieu la campagne de M. Balladur en 1995. C’est pour cette raison qu’ils auraient arrêté le versement des commissions aux intermédiaires.

L’ancien ministre et élu UMP Patrick Devedjian a également souscrit à cette thèse à plusieurs reprises. L’ancien ministre socialiste de la défense, Alain Richard, avait estimé qu’elle était fantaisiste. "Les désaccords politiques éventuellement liés à un contrat d’armement avec l’Inde n’ont pas été retenus comme un risque de sécurité pour les personnels DCN", expliquait-il à Libération en début d’année.

UNE VERSION DIFFÉRENTE DE CELLE LIVRÉE AUX DÉPUTÉS

Mais le plaidoyer de M. Léotard est quelque peu fragilisé par le fait qu’il n’a jamais auparavant fait mention de cette "piste indienne", sinon pour la dénoncer. Il suffit de relire le compte-rendu, révélé par Le Monde, des auditions de la mission parlementaire, qui a reçu celui-ci le 24 novembre 2009.

L’ex-ministre de la défense y estime que, "si l’attentat de Karachi était en revanche le fait de militaires pakistanais" (une piste qu’il jugeait alors peu probable), ceux-ci ne pourraient être que des "éléments dissidents" cherchant à "à affaiblir le général Moucharraf", notamment "parce qu’ils auraient jugé que le Pakistan aurait dû s’élever avec vigueur contre la vente de sous-marins Scorpène à l’Inde".

Il dément toutefois vigoureusement l’existence d’une contre-lettre par laquelle la DCN se serait engagée à ne pas vendre de sous-marins à l’Inde. "Imaginez-vous M. le rapporteur, l’Etat ou les industriels s’engager sur une telle clause qui les priverait de tout marché ?"

Toujours selon M. Léotard, "cette thèse (d’un attentat commis par des éléments de l’armée pakistanaise) ne peut complètement être écartée mais elle est fragile. L’armée se considère en effet comme le pilier de la nation pakistanaise, son rempart face à l’Inde. L’on voit mal, dans ce contexte idéologique, par quel mécanisme intellectuel des militaires s’attaqueraient à leur propre institution".

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/01/31/attentat-de-karachi-francois-leotard-renvoie-la-balle-aux-chiraquiens_1472936_823448.html