Accueil > Attentat de Karachi : ce que Balladur a raconté à la Mission d’Information (…)
Attentat de Karachi : ce que Balladur a raconté à la Mission d’Information Parlementaire.
Publie le samedi 27 novembre 2010 par Open-PublishingPROPOS TENUS PAR EDOUARD BALLADUR DEVANT LA MISSION D’INFORMATION PARLEMENTAIRE SUR LES CIRCONSTANCES ENTOURANT L’ATTENTAT DE KARACHI.
Mercredi 28 avril 2010.
Je tiens à m’exprimer sur deux sujets : tout d’abord, comme il va de soi, sur celui qui est l’objet de la mission d’information, les causes de l’attentat de Karachi du 8 mai 2002 ; mais, puisque c’est désormais un sujet évoqué devant l’opinion, je m’exprimerai aussi sur le financement de la campagne présidentielle que j’ai menée en 1995.
1/ Sur les causes de l’attentat qui a coûté la vie à onze de nos compatriotes, je ne suis pas en mesure d’éclairer la mission autrement que par les questions que je me pose.
De multiples explications sont évoquées tenant à la situation internationale, aux rapports entre les pays situés dans cette région du monde, aux entreprises extrémistes liées à l’attentat du 11 septembre 2001, quelques mois plus tôt.
Quant à l’hypothèse avancée par quelques-uns, tenant au fait que des commissions qui auraient été promises à l’occasion de la signature en 1994 du contrat prévoyant la fourniture de trois sous-marins au Pakistan n’auraient pas été intégralement versées à leurs bénéficiaires en raison de leur annulation par le gouvernement français en 1996, elle laisse perplexe : en 1996, si j’en crois ce qu’écrit la presse, la quasi-totalité de ces commissions aurait déjà été versée ce qui limitait le préjudice subi par leurs bénéficiaires ; de surcroît, on a du mal à s’expliquer qu’un motif de cet ordre puisse entraîner, six ans après, en 2002, et par mesure de rétorsion, l’assassinat de onze Français.
Je rappelle, ainsi que je l’ai affirmé à plusieurs reprises, que je n’ai jamais été informé de l’octroi de commissions à l’occasion de ce contrat, que je n’avais pas à l’être car ce n’était pas des sujets qui étaient traités à Matignon sauf difficultés majeures, qu’aucun membre de mon cabinet n’a gardé le souvenir d’aucune discussion sur ce sujet lors de l’examen interministériel auquel il a été procédé.
Je n’ai pris en 1994 aucune décision d’octroi de commissions et, bien entendu, jamais envisagé si peu que ce soit que ma campagne électorale pût être financée de façon illégale par des rétro-commissions.
La presse a fait également état d’autres décisions d’annulation de commissions versées au Pakistan à l’occasion de contrats d’armement qui, cette fois, n’avaient pas été signés par mon gouvernement, décisions qui auraient été prises en 2001, antérieurement à l’attentat.
Si la mission entend être éclairée sur les raisons ayant conduit à l’annulation de ces commissions, c’est à ceux qui exerçaient alors le pouvoir qu’il lui est loisible de s’adresser. Pour moi, je ne dispose d’aucune information sur ce point.
2/ J’en viens au financement de ma campagne présidentielle, manifestement devenu le principal sujet de la polémique qui a été lancée.
L’accusation portée résulte d’un rapport dit Thévenet qui, élaboré en 2002 après l’attentat, fourmille d’invraisemblances et d’absurdités, et a été laissé inutilisé durant six années, ce qui pourrait indiquer que ses destinataires ne lui accordaient guère de crédit. Si, à en croire ce rapport Thévenet, ma campagne avait bénéficié de rétro-commissions à hauteur de 10 millions de Francs, cela constituerait un abus de biens sociaux au détriment de la DCN, délit imprescriptible, alors que le Conseil constitutionnel en a validé le financement par une décision du 12 octobre 1995, parue au Journal Officiel.
Je tiens à rappeler ce qu’était la législation en vigueur : dans la période des années 1980 - 1990, le financement des activités politiques a connu de nombreux incidents judiciaires, suscitant des "affaires" qui n’ont pas manqué de prendre une place importante dans les débats de l’opinion et d’affecter tous les partis. C’est à cette situation que j’ai entendu porter remède en demandant au Parlement de voter la loi du 19 janvier 1995 relative à la transparence financière de la vie politique.
Que contenait cette loi ? Elle prévoyait tout d’abord l’interdiction des dons aux candidats par des personnes morales autres que les partis politiques, c’est-à-dire par les entreprises ; elle prévoyait, en second lieu, en son article 3, la modification de l’article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel en réduisant de 120 millions de F à 90 millions de F le plafond des dépenses autorisées.
Cette disposition, introduite à ma demande, avait pour objectif de limiter les dépenses électorales pour éviter les débordements. Mais cette réduction de 120 à 90 millions de F du plafond des dépenses autorisées comportait des conséquences sur le financement de ces dépenses. L’article L.52-8 du code électoral prévoyait la possibilité de recourir à des recettes en espèces à concurrence de 20 % du montant des dépenses autorisées. Dès lors que ces dépenses autorisées étaient ramenées de 120 à 90 millions de F, le montant des recettes en espèces autorisées étaient automatiquement ramené lui-même de 24 à 18 millions de F. C’était la conséquence directe de la décision que j’avais fait prendre par le Parlement de réduire le montant des dépenses globales.
Dès lors, pourquoi aurais-je fait abaisser le plafond des recettes en espèces alors, prétend-on, que j’aurais eu à ma disposition, grâce à des rétro-commissions, un financement très abondant ? Comment comprendre que j’aurais pu recourir à un financement irrégulier pour ces recettes en espèces autorisées par la loi ? Comment aurais-je commis l’imprudence de faire apparaître au grand jour un financement irrégulier à la veille de l’examen des comptes de ma campagne par le Conseil constitutionnel en déposant officiellement des fonds d’origine douteuse dans un établissement bancaire ? Comment aurais-je, de propos délibéré, encouru un tel risque alors que j’avais dû emprunter pour financer ma campagne une somme de 30 millions de F dont le remboursement n’était pris à sa charge par l’État que si le Conseil constitutionnel jugeait mes comptes réguliers ? Tout cela est invraisemblable.
La vérité est claire et simple : j’avais le droit d’utiliser un financement en espèces à hauteur de 18 millions de F. Les sommes déposées au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle ont représenté 10 millions de francs, puis 3 millions de F, soit un total de 13 millions de F à comparer aux 18 autorisés, ce qui signifie que ce financement par espèces a été utilisé à concurrence des 2/3 environ du montant maximum autorisé par la loi.
La réalité que ne veulent pas admettre tous ceux qui, quinze ans après, lancent la polémique, c’est que le financement par espèces n’a nullement été inventé par moi, qu’il est autorisé par la loi à concurrence de 20 % du total des dépenses, et ce bien avant l’intervention de la loi de 1995, et que n’ont été utilisés par moi que les deux tiers de cette possibilité. Reste une question : ces espèces, d’où venaient-elles ?
C’est là que réapparaît l’explication par des rétro-commissions et que certains vont même jusqu’à invoquer l’existence de preuves. Quelles preuves permettent de penser que l’origine en serait douteuse ou frauduleuse ? Il n’en existe aucune.
La vérité est claire et simple : les sommes déposées en espèces provenaient des collectes effectuées dans les centaines de réunions publiques qui ont eu lieu à travers tout le pays et de la contribution personnelle de tous ceux qui soutenaient ma campagne, comme il est d’usage dans toutes les campagnes électorales et pour un montant, je le répète encore une fois, très largement inférieur à celui autorisé par la loi.
Dernier argument : dans les sommes déposées, il y aurait eu pour une part importante de billets de 500 F. Qu’est-ce que cela prouve ? Ces sommes provenaient de la France entière, les montants les plus modestes pouvaient, pour des raisons de commodité, avoir été échangés ou regroupés par ceux qui les rassemblaient. Il n’existe aucune preuve d’aucune sorte que ces fonds aient eu pour origine des commissions venues de l’étranger. La tentative de remettre en cause les comptes de ma campagne, quinze ans après qu’ils ont été validés par le Conseil constitutionnel, ne résiste pas à un examen impartial.
Vous m’avez interrogé, pour en terminer sur le financement de l’APR (Association Pour la Réforme). Là aussi, le rapport Thévenet commet une erreur. Cette association n’a pas été créée pour permettre le financement de ma campagne électorale, mais pour servir de support à mon action publique, une fois l’élection présidentielle passée, et plusieurs mois après mon départ de Matignon, tous les frais de ma campagne ayant été acquittés. Elle n’a jamais bénéficié d’aucun financement par commissions ou rétro-commissions et nul ne pourra en apporter la preuve parce que c’est faux.
Les comptes de cette association ont été audités chaque année puis validés par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Ces comptes ont été conservés depuis quinze ans (bien qu’on n’ait pas été tenu de les garder si longtemps), et ils sont à la disposition de la mission d’information si elle souhaitait les consulter.