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BIOCARBURANTS : « Avec les biocombustibles, on n’économise pas les émissions de CO2 »

Publie le vendredi 28 septembre 2007 par Open-Publishing

« Avec les biocombustibles, on n’économise pas les émissions de CO2 »

Entretien avec Hartmut Michel

Hartmut Michel a reçu le Prix Nobel de chimie en 1988. Il travaille actuellement à l’institut Max Planck. Récemment, une réunion de Prix Nobel s’est tenue à Lidnau en Allemagne. Hartmut Michel y est intervenu sur un thème qui lui tient à cœur, même s’il n’est pas au centre de ses recherches : la mode des biocombustibles et leur effet supposé en termes d’efficacité et de limitation de production de CO2. Ses explications sont malheureusement insuffisamment connues. De manière simple, il s’en explique dans cet entretien. Certes, ici, il ignore les conditions sociales (travail semi-esclavagiste, etc. ) qui règnent dans la culture de la canne à sucre au Brésil. (Réd.)

Selon une directive de l’Union européenne (UE), le 5,75% de tout le transport utilisant l’énergie fossile devra être substitué par des « biocombustibles » avant l’année 2010. S’agit-il d’une stratégie erronée ?

Hartmut Michel : Je recommanderais d’abolir cette directive. Avec les biocombustibles, les émissions de dioxyde de carbone ne sont pas réduites. Or, il est évident que nous devons réduire les émissions de dioxyde de carbone si nous voulons freiner, ou pour le moins réduire, le réchauffement d’ensemble de la planète. Nous devons passer des énergies fossiles aux énergies dites renouvelables. Or, la production et l’usage de biogaz ou de biocombustibles ne sont pas neutres en termes de production de CO2, parce qu’au moins 50% de toute l’énergie contenue dans le biogaz ou le biocombustible provient de sources fossiles.

Pourriez-vous expliquer cela de manière plus précise ?

Pour produire certains biocombustibles, tel l’éthanol, il faut investir beaucoup d’énergie sous forme d’engrais, de transport, etc. Il faut de même en utiliser lors de la distillation de l’alcool. Ce que l’on obtient en faisant fermenter le végétal est quelque chose d’un peu similaire au vin avec 10% d’alcool. Et il faut convertir cela en 100% d’alcool. Pour cela, il faut investir quasi autant d’énergie qu’il y a dans l’éthanol. Et si l’on obtient cette énergie à partir de combustibles fossiles, on aboutit à émettre plus de CO2 que ce que l’on émettrait simplement en l’utilisant sous forme d’essence dans une voiture.

N’est-ce pas quelque chose que l’on pourrait améliorer avec des nouvelles techniques de culture ou avec plus de recherche ?

Le point de départ de ce problème réside dans le fait que l’efficacité globale de la photosynthèse est très basse. Moins de 1% de l’énergie solaire est stockée sous forme de biomasse et il n’y a pas beaucoup de possibilités d’améliorer cela. Le biocombustible que l’on peut produire par unité de superficie et par année contient moins de 0,4% de l’énergie solaire que cette superficie a reçue durant cette période donnée de temps.

Il faudrait donc que l’on cultive des superficies énormes pour obtenir suffisamment de biocombustibles.

Y compris si nous ne comptabilisons pas l’énergie, comme indiqué précédemment, qu’il faut investir pour la production de biocombustibles, il faut avoir à l’esprit que pour répondre à la demande d’électricité de l’Allemagne avec des biocombustibles il faudrait utiliser toute la superficie du pays pour des cultures « énergétiques ». En comparaison, les cellules photovoltaïques sont entre 50 et 100 fois plus efficaces pour ce qui concerne la conversion de l’énergie solaire en électricité et elles ont besoin de beaucoup moins de sols. Des cultures énergétiques sont une manière très peu efficace d’utiliser le sol.

Vous avez aussi fait allusion au risque de déforestation associé aux biocombustibles.

Oui, les biocombustibles sont en train de conduire à la destruction de la forêt tropicale en Indonésie, en Malaisie, dans quelques zones de l’Afrique et du Brésil. Au Brésil, il s’agit du soja : il est toujours plus cultivé et il l’est toujours plus dans des régions forestières. Or, brûler la forêt pour produire du soja implique l’émission d’une quantité énorme de dioxyde ce carbone, libéré dans l’atmosphère.

Dans votre conférence, vous avez indiqué qu’il serait plus efficace – y compris en termes d’émission de CO2 – d’utiliser directement les cultures pour se réchauffer.

Oui, s’il s’agit de cultiver, le gain le plus important on l’obtiendrait en utilisant le bois pour se chauffer et cela à la place du pétrole et du gaz naturel. On garderait le pétrole seulement pour les voitures. De cette manière, on triplerait ou quadruplerait l’efficacité et on ne paierait pas cette sorte d’impôt qu’implique la conversion de la biomasse en biocombustible.

Toutefois, vous avez aussi dit que, pour produire des biocombustibles, certains pays peuvent le faire d’une manière moins chère au plan énergétique que d’autres. Dès lors, les biocombustibles ne seraient-ils pas rentables au moins dans certains pays ?

Si le biocombustible se produit à partir de la canne à sucre dans les pays où cette culture se développe comme si c’était de l’herbe, sans engrais, comme au Brésil, cela peut être un processus rentable. Au Brésil, on presse la canne et le reste de la plante est utilisé pour la distillation d’alcool. Mais en Europe, avec le blé ou la betterave, cela n’est pas rentable. Ici, on ne trouve pas de la canne à sucre.

Et si l’on utilisait des méthodes biotechnologiques, des enzymes qui « digèrent » toute la plante, y compris la lignine, pour augmenter l’efficacité de la production de biocombustibles ?

Avec ce procédé, on ne gagne pas grand-chose. L’efficience de la conversion de biomasse en biocombustible oscille entre 0,15 et 0,30%. Or, les cellules photovoltaïques ont une efficience se situant entre 15 et 20%. Y compris sont intéressantes les autres formes d’appropriation de l’énergie solaire thermique.

Donc, selon vous, il faut développer l’énergie solaire.

La meilleure manière de résoudre notre problème réside dans l’énergie solaire. L’obstacle est que les cellules photovoltaïques sont encore très chères. Nous pourrions en quelque sorte avoir une réserve solaire dans le Sahara, par exemple, et convertir l’énergie que l’on obtiendrait en une autre forme d’énergie, comme l’hydrogène. Cela jusqu’à ce que se développent des « câbles » supraconducteurs à température ambiante.

S’il est si clair que les biocombustibles ne sont pas une option, pourquoi autant de gens l’indiquent ?

C’est une idée très attractive et le terme bio se vend bien avec tout ce qu’il l’accompagne… Mais je ne suis pas le seul qui critique les biocombustibles. Il suffit pour cela d’effectuer les calculs.

(Traduction A l’encontre)

(15 septembre 2007)

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