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Banlieues : 10 questions, la France supprimera-t-elle l’apartheid ?

Publie le mardi 15 novembre 2005 par Open-Publishing
2 commentaires

de Michel Collon

1. La France supprimera-t-elle l’apartheid ?
On assiste à un curieux phénomène : les dirigeants politiques français se précipitent tous à la télé, la bouche en coeur : "Nous vous avons compris, on va faire quelque chose pour vous !" Tous connaissent les causes du problème et tous savent ce qu’il faut faire.

Mais alors, si vous saviez, pourquoi avez-vous fait tout le contraire depuis trente ans, et surtout dernièrement ? Pourquoi, ces deux dernières années, le gouvernement français a-t-il liquidé son soutien aux initiatives locales ? Qui a supprimé 15% des crédits alloués à la lutte contre l’habitat insalubre dans le budget 2006 ? Qui a remplacé les polices de proximité par des CRS avec leurs humiliations systématiques et arrestations arbitraires dont même Amnesty dénonçait le caractère violent et raciste dans un récent rapport ?

2. Que cachez-vous ? De deux choses l’une. Ou bien vous, dirigeants, saviez vraiment quelle était la cause des problèmes, à savoir l’injustice sociale, le « pas d’avenir », et pourtant vous n’avez rien fait, alors pourquoi vous ferait-on confiance à partir de maintenant ? Ou bien vous n’avez pas de solution, parce que l’injustice sociale est au coeur de votre système, et que vous ne voulez pas toucher aux privilèges des puissants, et alors pourquoi vous ferait-on confiance à partir de maintenant ?

3. « La violence ne résoud rien » ? Une fois encore, Messieurs les bourgeois, vous seriez fort aimables d’indiquer aux pauvres quelle méthode de lutte vous leur suggérez puisqu’aucune autre n’a été entendue et que leur situation ne fait que s’aggraver !
Et surtout soyez un peu moins hypocrites ! Par quelle méthode la bourgeoisie française a-t-elle commencé à construire ses immenses fortunes sinon la traite des esclaves, puis le pillage des richesses de l’Afrique ? L’armée française allait-elle apporter des bouquets de fleurs aux Algériens, aux Marocains et autres peuples occupés et massacrés ? Et, aujourd’hui encore, dans quelques néocolonies qui font la fortune des multinationales comme Total et Bouygues, mais la misère des populations locales ?

4. Où est la plus grande violence ? Quel mot employer pour qualifier un système qui, d’un côté accumule des fortunes colossales en détruisant toujours plus d’emplois, et qui, de l’autre côté, entasse des millions de gens dans des ghettos, logements insalubres, tours dégradées, écoles-parkings, stages bidon, petits boulots sans lendemain, harcèlements policiers « au faciès » ?
Chaque année, de plus en plus de gens doivent survivre avec des revenus insuffisants alors que tous les gouvernements ne cessent de baisser les impôts sur les grosses fortunes. Chaque année, des centaines d’êtres humains meurent sur les trottoirs de Paris. Quel mot pour qualifier un système qui ne laisse aucune issue à un jeune : « Je m’en fous d’aller en prison, ma vie est quand même déjà foutue ! » N’est-ce pas ce système lui-même qui est violent ?

5. « On n’est pas aux Etats-Unis, quand même ? », disaient nos médias lors du scandale Katrina - Bush. Mais est-ce que nous n’en prenons pas le chemin à toute allure ? Avec la Constitution Européenne et Bolkestein et aussi toutes les mesures appliquées partout en Europe depuis les accords de Lisbonne (2000), n’assiste-on pas à une offensive générale qui rabaisse les salaires, les pensions, les allocations sociales ? Ne sommes-nous pas en train de rattraper Bush et ses 40 millions de gens sous le seuil de pauvreté ?
Cette obsession actuelle de faire travailler les vieux plus longtemps, n’est-ce pas la meilleure manière de produire une masse supplémentaire de jeunes chômeurs sans espoir ? Est-il normal que les travailleurs de Shell-Hollande soient obligés de faire grève pour préserver leur droit à la pension alors que les profits de cette multinationale ont explosé (18 milliards de dollars en 2004, et 68% de plus cette année) ? Ne faudrait-il pas, au contraire, réduire radicalement le temps du travail, afin de le partager ? Et le seul obstacle, n’est-ce pas le caractère intouchable des super-profits des grosses sociétés, pudiquement recouverts du joli nom de « compétitivité » ?

6. Des êtres humains à la poubelle ? Quand les jeunes brûlent des voitures, ils dérangent et on s’en occupe. Quand c’était leur vie qui partait en fumée et en désespoir, quel média en parlait ? Pouvons-nous encore croire au mythe du prétendu « ascenseur social » quand on entend un des plus grands économistes occidentaux déclarer froidement : « Il y a six milliards d’êtres humains sur terre, dont cinq milliards ne pourront jamais être utilisés » ? Ne vivons-nous pas dans un système inhumain ? Les uns sont exploités jusqu’au trognon, les autres sont « jetés » littéralement à la poubelle ? Faut-il baser la société de demain sur les profits des multinationales ou sur les besoins de l’humanité ?

7. Une stratégie pour diviser ? Bien sûr, brûler la voiture de son voisin de banlieue, c’est tomber dans le panneau du pouvoir. Car ce voisin qui l’utilise pour se rendre au boulot (et se faire exploiter un maximum), ce voisin aussi est victime d’une politique européenne imposée par les multinationales. Tout comme le petit pensionné plongé dans l’insécurité financière lorsque le pouvoir rogne ses moyens d’existence.
Et le pouvoir ne craint-il pas justement que s’unissent les résistances à cette exploitation ? Le racisme n’est-il pas délibérément alimenté en présentant des statistiques gonflées et faussées sur la petite délinquance tandis que celle en col blanc est protégée ? Présenter les musulmans comme dangereux alors qu’il y a des extrémistes partout, criminaliser le port du foulard, n’est-ce pas volontairement occulter la question sociale derrière un faux problème de religion ? Afin de mieux dresser les victimes de l’exploitation les unes contre les autres.
Enfermer les plus pauvres dans des ghettos, et dresser autour d’eux un Mur de flics, a été la stratégie la plus géniale pour briser la résistance. Aussi longtemps que les petits Blancs s’en prendront aux petits Noirs ou aux petits Beurs, les grands riches (dont l’argent n’a pas de couleur) pourront dormir sur leurs deux oreilles.
Et le gros problème, c’est que la démagogie de Sarkozy marche bien. Alors que ce gros bourgeois prépare une politique antisociale à la Bush, son discours passe bien chez une majorité de travailleurs en France, mais aussi en Belgique. Nous avons un gros boulot, là !

8. Qu’est-ce que Fachozy est en train de faire passer ? Bien sûr, hypocritement, ses rivaux tentent de lui faire porter le chapeau et de l’éliminer de la présidentielle. Mais en même temps, ils sont bien contents qu’il fasse leur sale travail. Car chacun sait que le problème social ne fait que commencer, et que la révolte ne disparaîtra pas. D’où l’utilité de « Monsieur Karcher ».
Bien avant les émeutes, Fachozy avait préparé des lois liberticides qui nous visent tous et qui vont se mettre en place dans toute l’U.E. : écoutes, espionnage d’Internet, extraditions pour délits politiques, expulsions arbitraires... Après avoir délibérément créé la tension, Fachozy va l’exploiter pour faire passer ces lois anti-démocratiques. Qu’il utilisera aussi contre les mouvements sociaux et syndicaux. Et contre notre liberté d’expression (n’oublions pas qu’il a fait emprisonner un jeune immigré pour l’avoir « insulté »).

9. Quelles solutions proposent-ils ? Ceux qui « ont bien compris l’inquiétude des jeunes », assurent qu’ils vont remettre un peu plus de sous pour les banlieues, et y ramener les polices de proximité et assistants sociaux qu’ils venaient de supprimer. Seulement, les flics et les assistants sociaux calmeront peut-être la situation un temps, mais ils ne créeront pas de l’emploi. Pour s’intégrer, il faut un vrai boulot, un vrai revenu.
Mais tant que le système sera basé sur l’intérêt et le profit maximum de quelques uns, comment pourrait-on créer les emplois nécessaires et satisfaire les besoins de la population ? Si nous voulons qu’on cesse de jeter des êtres humains à la poubelle, n’est-il pas temps de remplacer la loi de la jungle par une forme supérieure des relations humaines ? Aujourd’hui, il est parfaitement possible de supprimer la faim dans le monde : cela coûterait moins qu’un quart du budget annuel de l’armée US. Alors ?

10. Les laisser dans leur ghetto ? Il est trop facile de reprocher aux jeunes des banlieues de n’avoir pas de programme, et de se tromper de cible. Au début de l’existence de la classe ouvrière, les travailleurs surexploités ont commencé par briser les machines, ce qui était tout aussi suicidaire. La vraie question est : d’où pourraient leur venir ces revendications claires, cette analyse des causes de leur malheur ?
Qu’a fait le mouvement ouvrier, qu’ont fait les intellectuels progressistes pour surmonter la division entre ces jeunes et les autres couches populaires ? Pour surmonter cette division, il faudra absolument jeter des ponts et communiquer l’expérience des luttes passées. Mais, avant d’être professeur, il faudra d’abord être élève. A l’écoute. Car la « haine » que ces jeunes éprouvent n’est pas un sentiment négatif. C’est l’indignation face à l’injustice. Et ce sentiment a toujours été, à toutes les époques, le point de départ pour résister et pour changer le monde.

http://www.michelcollon.info/

Messages

  • Bonjour Michel,

    Je lis régulièrement tes articles que je trouve souvent justes et pertinents.
    Malheureusement, ils se noient dans la multitude d’exposés, d’analyses, de débats, etc. qui traitent de ces sujets.

    Comment dire plus efficacement ?

    De quoi parle-t-on vraiment, réellement ?

    Attention !! Je rappelle mon début, "tout ce que tu dis est juste et fondé".
    Mais il manque quelquechose.
    Quelque chose qui permet d’atteindre sa cible.

    Sans vouloir donner de leçon, je propose, car dans toute suggestion, il y a quelquechose à tirer.

    Je fais une hypothèse.
    L’inconvénient de la dénonciation, c’est d’être perçue aussi légitime que celle qui s’exprime en face.
    D’un côté, il y a une mise en parole, de l’autre une mise en acte.

    Dire que notre société a un (ou des) problème c’est poser un certain regard, un certain parti pris.
    Le coupable, c’est le système. Mais nous n’avons aucune preuve ou garantie qu’un autre système n’aura pas, lui aussi, ses propres contradictions, et même pire.
    (Je me fais volontairement l’avocat du diable).

    Je trouve qu’il y a une contradiction entre la lucidité sur les vrais responsables (et leur motivation)de toutes ces souffrances et injustices et dans le même temps, proposer des remèdes que tu sais pertinemment qu’ils ne suivront pas.
    Schizophrénie quand tu nous tiens ...

    Pour moi, le fond du problème, c’est que nous ne savons pas comment changer cette situation (ou système) parce que nous ne savons pas dans quelle direction aller (donc les propositions partent dans tous les sens).
    Doit-on changer ? le peut-on ? vers quoi ?
    Peut-on savoir à l’avance comment doit évoluer notre société ?
    Y a-t-il un ordre à établir ? Peut-on, avec notre esprit, englober toute sa complexité du monde ?

    L’avantage qu’on ceux qui défendent ce système (capitaliste ou libéral), c’est qu’il savent exactement ce qu’ils veulent (+ de profil sur le dos des autres), quit à partir dans une escalade qui met en péril l’avenir de notre planète, et donc de nos enfants.
    Mais avec ce système, ils parviennet à entretenir l’espoir dans l’esprit des plus démunis.

    Nous, avec nos dénonciations, nous faisons moins rêver.
    Ce n’est pas le discours qui fait prendre conscience, c’est la souffrance du ventre.

    Karim

    • Le problème, c’est le système...

      Mais qui constitue le système ? C’est nous ! Il faudrait peut être prendre conscience que ceux qui profitons du système, c’est nous en premier lieu.

      Oui, il peut y avoir (et il y a malheureusement) des dérives. Certains se remplissent les poches de façon malhonnète dans les plus hautes sphères. Mais de grâce, ces phénomènes demeurent marginaux. Que cela coûte quelques dizaines de millions d’euros chaque année à la france serait déjà une exagération. En revanche, combien coûte nos conforts quotidiens ? Nos frais médicaux remboursés, nos allocations, qui bien sûr nous paraissent minimaux ? Des milliards ! Des centaines de milliards ! Il faut remercier la France et cesser de se plaindre. Oui, la vie n’est pas facile, particulièrement pour certaines minorités. Nous souffrons ! Mais enfin, pour qui la vie est tendre, à part les acteurs hollywoodiens ? En vertu de quoi on devrait nous prodiguer tout ce dont on à besoin sans contrepartie, sans effort de notre part. Et surtout, qui nous donnerait ce que l’on demande ? Seuls nous le pouvons ! La richesse de la France, c’est nous ! La france vit au dessus de ses moyens. Les français n’ont jamais été aussi peu productifs. Notre économie s’essoufle.

      Indépendemment des choix éronnés des politiciens, nous avons une résponsabilité collective et citoyenne : celle de faire fleurir la france ! De la faire fonctionner, si difficile cela soit-il ! Cessons de pleurnicher, et de nous morfondre. A cette logique improductive de l’auteur de l’article qui nous dit "regardez, nous sommes traités injustement, certains ont tout nous n’avons rien", je dis non, et réponds "nous sommes un pays fort, il fait bon vivre en France, bien mieux que dans nombre d’autres pays, nous sommes libres ; volons-nous ne plus être lesés ? Très bien ! Cessons de vociférer, élevons nous par l’esprit, organisons nous, travaillons dur, afin d’être crédible, d’être écoutés, et de pouvoir fair entendre notre voix dans le processus républicain." C’est cet optimisme qui fait défaut ici, ou plutôt c’est volonté d’agir pour changer les choses, par des actions durables (et nons vouloir obtenir des acquis immédiats). Non, il faut se rendre à l’évidence, nous n’obtiendrons pas ce que nous demandons juste parce que nous crions et manifestons. Il faut se donner les moyens de ses ambitions, proposer et non pas se borner à critiquer.

      Mr. Collon à beau jeu de critiquer la France, de Belgique ; j’invite toutes les personnes qui pensent que qq chose ne va pas, à se retrousser les manches pour changer les choses ! Je compte sur vous...