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En pesant sur de nombreuses victimes, cette insécurité comprime la démocratie française.
Banlieues : Mai 68 ou Weimar ?
par Didier PEYRAT
QUOTIDIEN : mardi 08 novembre 2005
Les événements qui se déroulent dans les banlieues françaises prouvent l’échec radical de la droite dans ses politiques de sécurité depuis avril 2002. Mais on aurait tort de ne voir que le bilan piteux de la majorité UMP. Il faut aussi garder les yeux ouverts sur notre criminalité envenimée, et les dégâts qu’elle fait. Face aux propos stigmatisants de Nicolas Sarkozy, il est possible de manifester, de protester, de voter ; il est aussi possible de brûler des milliers de voitures, d’agresser des journalistes, de caillasser des pompiers, de saccager des commerces, de détruire des crèches et des écoles, tout en espérant secrètement que finisse par se produire la « bavure » qui permettra de transformer rétroactivement le sens de toutes ces exactions. Le fait que ce soit systématiquement la seconde option actuellement choisie par nos « émeutiers » rend toute comparaison avec mai 1968 indécente.
Nous savons maintenant que la criminalité est toujours là, tenace, et même envenimée depuis 2002. Elle avait résisté à vingt années de politiques de la ville et à la baisse du chômage entre 1997 et 2002 ; aux démonstrations de virilité télégénique de Nicolas Sarkozy ; comme à l’augmentation des effectifs de police et à la multiplication délirante des infractions dans le code pénal. Mais cette insécurité n’est pas seulement en train de mettre en difficulté le gouvernement actuel. Elle témoigne d’un ébranlement plus profond et en même temps elle l’avive. De cortèges lycéens brutalement dispersés (8 mars 2005) en banlieues périodiquement mises à sac, en passant par les milliers de vols violents de nos espaces publics, elle comprime la démocratie française, en pesant sur de nombreuses victimes. Elle sera exploitée, n’en doutons pas, notamment aux environs de 2007. Mais éludée, contournée, niée dans sa spécificité, elle saura se rappeler, brutalement, à notre bon souvenir.
Cela signifie que, revenue au gouvernement, la gauche n’aurait pas qu’à abolir des lois liberticides ou certains dispositifs douteux mis en place entre 2002 et 2007 : elle aurait à combattre et à faire baisser la criminalité. C’est pourquoi il est décisif d’élaborer une politique de sécurité à la fois clairement de gauche (notamment par le soin apporté à la prévention, le respect scrupuleux du droit et de l’indépendance de la justice) et dépourvue d’angélisme (qui tienne compte en permanence de la réalité de l’insécurité, y compris dans ses aspects les plus durs). Seule une politique durable (c’est-à-dire valable qu’on soit dans l’opposition ou au gouvernement) et non jetable (faite de slogans oubliés dès qu’on est en situation de diriger, parce qu’ils ne tiennent pas la route face au crime réel) est susceptible de faire mentir la malédiction qui semble attachée à la gauche française dans ses rapports avec la sécurité, et qu’on ne trouve nulle part ailleurs en Europe. Les syndicats et partis de gauche devraient aujourd’hui organiser des états généraux de la sécurité en société. Quels seraient les débats qui pourraient y être menés, en essayant de dépasser de vieux clivages ?
1. Combattre la démagogie sécuritaire sans recourir à l’angélisme
La crise de la civilité « enveloppe » la criminalité moderne, qui y puise force et longévité. Contrairement à ce que soutiennent l’extrême droite et la droite, cette crise-là ne peut pas être traitée avec des méthodes guerrières, brutales, exclusivement répressives, peu regardantes sur les moyens employés. C’est pure démagogie que de tenter de ramener le débat public sur l’insécurité à un débat sur les crimes les plus odieux, qui sont les plus rares. Mais, en même temps, on doit ouvrir les yeux sur le fait que, dans l’insécurité contemporaine, il n’y a pas seulement des inconduites, il y a des délits. Pas seulement des délits, des crimes. Pas seulement des amateurs, quelques professionnels. Des individus, mais aussi des bandes et même des gangs. Il faut admettre que ces actes-là, ces individus-là, ces groupes-là doivent faire l’objet d’une répression ferme et claire. C’est une autre démagogie que de laisser croire que la criminalité la plus dure se laissera défaire par des politiques sociales, des programmes de prévention, des gestes de générosité : le dialogue est difficile avec un gang. Elle devra être défaite, déconstruite, par l’action de dispositifs d’investigation, d’interpellation, de jugement, de condamnation et d’application de peines. Y compris dans les discours de gauche, cet aspect-là des choses ne doit pas être caché, comme s’il était honteux : il doit être assumé.
2. Se caler sur la profondeur du besoin de sécurité, pas sur la tactique
Une « pensée » de gauche de la sécurité doit être adossée à la fois aux besoins de sécurité constitutifs de l’« être en société » et aux caractéristiques sociales de la société contemporaine. Travailler pour la sécurité, dans sa ville, sa rue, son école, son pays, en Europe, à temps plein ou bénévolement, ce n’est pas travailler pour un gouvernement, un ministre, un certain type d’organisation sociale ou un « système » contestable : c’est défendre la vie en commun, la possibilité de société. La possibilité de toute société. Le besoin de sécurité n’est pas une mode, il est fondamental. En même temps, comment ne pas voir que la délinquance se nourrit en permanence des écarts sociaux, du chômage, des échecs de formation, du déficit d’intégration des populations d’origine étrangère, de toutes sortes de discriminations silencieuses ? Lutte contre l’insécurité civile et lutte contre l’insécurité sociale doivent être menées simultanément. La gauche (partis et syndicats) doit également être attentive aux impacts spécifiques de la délinquance dans une société clivée, notamment le développement d’inégalités de sécurité, lesquelles coiffent, recoupent et enveniment les inégalités sociales.
3. Prévenir et éduquer mais aussi punir
Pour agir contre l’insécurité, pas seulement par la force, mais aussi par les mots et le sens, il faut admettre que l’entrée dans la délinquance est fondée sur un certain volontariat. Nous n’avons quelque chose à dire aux délinquants que si nous acceptons l’idée qu’ils sont dans leur grande majorité relativement libres d’entrer ou de sortir de la délinquance. Le registre du social ou le registre du psychiatrique ne contiennent pas tout entier le problème de la délinquance, encore moins celui de la crise de la civilité. Il y a bien un conflit de valeurs au coeur de la délinquance. Celui-ci n’est pas un conflit, même déformé, entre forces sociales : il traverse toutes les classes, les communautés, les sexes et les générations. Dans une société de marché, le cynisme, produit du culte frénétique de la concurrence, grignote en permanence la civilité. Mais il le fait par le truchement d’individus qui à un certain niveau le préfèrent, alors qu’ils ont le choix, à certains carrefours, d’établir un autre type de relation à l’autre, comme le prouve le comportement d’individus qui, dans les mêmes circonstances sociales, s’abstiennent de conduites égoïstes ou brutales. En conséquence, il faut accentuer la dimension éducative, c’est-à-dire le travail de restauration de la responsabilité. Ceci doit irriguer les trois volets indissociables d’une politique de sécurité moderne : la prévention, la répression, la réparation.
4. Admettre que le changement social a besoin de sécurité
La délinquance excessive ne mine pas seulement l’« être ensemble », mais aussi le « faire ensemble ». Les atteintes aux biens et aux personnes ne sont pas de la révolte, juste un peu confuse, contre l’état du monde : accumulées, elles constituent un phénomène intégralement négatif. A l’échelle microscopique, elles empêchent des individus concrets de bouger. A l’échelle macroscopique elles bloquent la transformation sociale. La première victime politique de l’insécurité, c’est le mouvement social. En conséquence, la gauche ne devrait « pactiser » ni théoriquement ni pratiquement avec un adversaire parmi les plus redoutables sur sa route. Les cogneurs humilient, compriment, oppriment leurs victimes. Etre « de gauche », c’est chercher à desserrer les étaux dans lesquels des gens sont tenus. Les voyous maintiennent l’ordre et ont besoin de confirmer l’enfermement dans les ghettos où se forge une sorte d’oppression spécifique par la force et les illégalismes. La gauche lutte pour la sécurité, non parce que la droite le lui dicte, mais parce que l’insécurité rend la solidarité plus difficile, le changement social moins désirable.
5. Elargir l’assiette sociale des politiques de sécurité
Une politique de gauche vise à une sécurité pour tous, faite par tous. Il faut donc combattre le snobisme fondé sur le mépris des préoccupations de la population. La gauche ne doit pas, en les insultant (par l’emploi d’un lexique psychiatrique : « obsession », « psychose »... pour qualifier leurs inquiétudes), faire cadeau des victimes à la droite. On ne peut pas s’affirmer proche des gens sur les thématiques de l’insécurité sociale, et s’en éloigner brusquement sur les thématiques liées à l’insécurité civile. Ce sont les mêmes personnes licenciées, mal payées, mal logées qui sont trop souvent volées, dépouillées, brutalisées. Il faut aussi être attentif à la capacité des gens ordinaires, dans leurs pratiques sociales et leurs gestes les plus modestes, à fabriquer de la civilité. Des alternatives, vivantes, à l’irrespect et à la brutalité existent partout dans la société. Prévenir, ce serait d’abord conforter et élargir ces bases d’appui civiles de la sécurité. La liquidation de la police de proximité et la marginalisation des maisons de justice et du droit ont été une régression catastrophique. On ne peut se passer de l’Etat, de ses moyens, de ses pôles de compétences, de ses spécialistes... pour contrer les manifestations les plus dures de l’insécurité. Mais en dernière instance, pour gêner en profondeur la délinquance, ce qui marche, c’est de la minoriser. Des politiques seulement étatistes n’y parviennent pas. Il serait conforme à la vocation démocratique de la gauche qu’elle veille à ce que les institutions de sécurité, au lieu de s’enfermer dans leurs donjons régaliens, ouvrent leurs portes à la société civile.
Messages
1. > Banlieues : Mai 68 ou Weimar ?, 8 novembre 2005, 13:32
Voila bien le discours de la gauche qui capitule ,de la gauche qui a renoncé à tout projet de tranformation sociale,de la gauche qui fait du clientelisme.
L’insécurité elle est d’abord économique ,c’est elle qui est la matrice de toutes les autres formes
de violences qui en découlent.
l’evolution de la "criminalité" se mesure à l’aune de la déreglementation économique et sociale
qui sevit crescendo depuis 30 ans et qui génére et renforce la relégation et la ségrégation.
Si le programme de la droite ne fait qu’évidement aggraver la situation le bilan de la gauche "plurien" n’est pas bien brillant,non pas tant à un niveau local ou malgré l’absence de crédits, l’investissement des acteurs de terrain a été determinant, mais à un niveau national ou
il appartenait à l’ETAT (c’est à dire à la collectivité des citoyens) de prendre en charge le chantier de l’Emploi dans le cadre de ses Services Publics ou des centaines de milliers d’emplois sont plus que nécéssaires.
Au lieu de cela la gauche "plurien" a contribué à liquider les services publics et les emplois qui vont avec pour les jeter dans les bras du secteur privé qui pour des raisons de rentabilité
a erigé en valeurs supremes : précarité et selection par l’argent.
La gauche qui capitule n’a rien compris aux lecons d’Avril 2002,elle prendra un nouveau rateau en 2007 et elle accusera encore l’extreme gauche.
2. > Banlieues : Mai 68 ou Weimar ?, 10 novembre 2005, 21:32
Pourquoi la France a-t-elle un ministre de l’intérieur néo-nazi ?