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Caméra d’or pour la réalisatrice israélienne Keren Yedaya

Publie le dimanche 23 mai 2004 par Open-Publishing

Condamnation de l’occupation à Cannes

Michael Moore a reçu la Palme d’or pour son documentaire anti-Bush, "Fahrenheit 9/11". C’est incontestablement un signe politique fort, même si le jury s’en défend. J’en suis ravie.

Mais personne n’a-t-il donc entendu le discours de la réalisatrice israélienne Keren Yedaya, lors de la remise de la caméra d’or ? Discours émouvant de sincérité dans lequel elle a condamné l’occupation et la politique du gouvernement israélien. Discours dans lequel elle a demandé notre aide pour soutenir les Palestiniens et les Israéliens qui luttent pour la liberté.

Stéphanie.

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Prix de la Caméra d’or Jury présidé par Tim Roth.

Or (Mon trésor), de Keren Yedaya (France/Israël) - Semaine internationale de la critique

Grand Prix de la 43e Semaine internationale de la critique
Décerné en partenariat avec Cinepolis.

Ex-aequo :
 Brodeuses, d’Eléonore Faucher (France)

 Or (Mon trésor), de Keren Yedaya (France/Israël)

Prix SACD de la 43e Semaine internationale de la critique
Décerné pour la première fois cette année à des scénaristes des sept longs métrages en compétition.

Ex-aequo :
 Eléonore Faucher et Gaëlle Macé pour Brodeuses (France)

 Keren Yedaya et Sari Ezouz pour Or (Mon trésor) (France/Israël)

Prix de la (toute) jeune critique - 43e Semaine internationale de la critique

Prix du long métrage : Or (Mon trésor), de Keren Yedaya (France/Israël)

Prix Regards jeunes - 43e Semaine internationale de la critique

Prix pour le long métrage : Or (Mon trésor), de Keren Yedaya (France/Israël)

LA GENÈSE D’UN PREMIER FILM

Le pari réussi d’une militante

LE MONDE

Or, film israélien de Keren Yedaya avec Ronit Elkabetz et Dana Ivgy. (1 h 40.) Semaine internationale de la critique à Cannes, le 17 mai.

Féministe et engagée. A 31 ans, la réalisatrice israélienne Keren Yedaya, née à New York et qui vit à Tel Aviv, est connue pour son engagement sans faille pour les droits de la femme ou contre l’occupation des territoires palestiniens. En dix ans, elle a signé trois courts métrages - sur les humiliations subies par une jeune appelée de l’armée israélienne, sur la place des femmes dans la société, sur la prostitution... De petits films primés dans plusieurs festivals internationaux. "Ces dix années ont été assez dures. C’est vraiment difficile de faire des courts métrages et de refuser de travailler pour les télévisions, qui contribuent, dans les documentaires, à uniformiser un langage cinématographique."

En s’inspirant de l’un de ses courts métrages sur la prostitution, Keren Yedaya souhaitait faire "un long métrage radical, simple". Bénéficiant d’une bourse d’aide au développement du Festival du film méditerranéen de Montpellier, elle écrit le scénario d’Or. "J’ai prévu les dates de tournage avant d’avoir de l’argent. Je voulais tourner en octobre 2003 pour pouvoir aller à Cannes si j’étais sélectionnée. J’ai donc choisi les deux comédiennes - la charismatique Ronit Elkabetz et Dana Ivgy, la meilleure amie de ma petite sœur - avant que le budget ne soit bouclé."

Le film a été financé par des fonds français et israéliens. "Virginie Despentes m’avait présenté, au Festival des femmes de Créteil, les producteurs Emmanuel Agneray et Jérôme Bleitrach (Bizibi Productions). Je n’avais que 22 ans lorsque j’ai rencontré dans une cinémathèque Marek Rozenbaum (Transfax), que je tiens pour le plus grand producteur israélien. J’étais très émue qu’il s’intéresse à mon travail. C’est naturellement que je lui ai soumis mon projet." Cette figure de légende de la production israélienne, qui finance à la fois l’entertainment, l’exploitation et des films d’auteur, l’a soutenue.

"Ce film ne pouvait se tourner qu’en Israël, note-t-elle. Pour bien critiquer une société, il faut bien la connaître. J’étais sûre qu’en tournant en Israël, Or serait plus agressif, plus beau." Ce long métrage a nécessité 28 jours de tournage pour un budget de 650 000 dollars.

Dans ce pays qui ne compte que 320 écrans de cinéma et où se tournent une quinzaine de longs métrages nationaux par an, les cinéastes doivent jouer des coudes pour mener à bien leurs projets. "J’espère qu’un cinéma un peu plus underground permettra de critiquer la situation politique. L’occupation fait du mal des deux côtés, aux Palestiniens et aux Israéliens."

Nicole Vulser

Semaine de la critique. Un couple mère-fille dans les rues noires de Tel-Aviv, par l’Israélienne Keren Yedaya.

« Or », bijou des bas-fonds

Par Philippe AZOURY

Liberation

Or de Keren Yedaya (Israël), avec Ronit Elkabetz, Dana Ivgy... 1 h 50

Tel-Aviv a un air de Rome suffocante ou de vieux Beyrouth en poussière. Ses rues sont noires et le sol est battu. Or est dehors. Elle n’attend pas le bus, mais ceux qui attendent sur la murette la connaissent bien. Le premier qui lui offrira une cigarette aura la chance d’aller avec elle, quelque part au fond du couloir. Or n’est pas une putain ; la putain, c’est Ruthie, la mère d’Or. Qui ne sait pas trop pourquoi elle va dans le couloir avec les garçons aux cigarettes. Sans doute parce qu’elle est comme une mère poule pour sa mère-la-pute, et qu’il faut bien, un moment, en passer par là.

Ruthie est sortie de l’hôpital. Elle a pour Or les yeux de l’amour mais ses yeux sont fatigués de la lumière des réverbères. Un autre travail n’est pas la chose la plus facile à trouver quand le monde s’est réduit à un espace peau de chagrin, grand comme deux ruelles et une barre d’immeuble. Ruthie n’attend même plus de signes du type qui lui avait promis de venir chez elle, un soir, dîner aux chandelles. Alors, Ruthie met une minijupe et se maquille.

Rendez-vous manqué. Ido a 16 ans et demi, six mois de différence avec Or, qu’il aime éperdument, aussi fort qu’un ado qui travaille dans le snack de ses parents peut aimer sa petite voisine en or. Et Or l’aime aussi. Même quand elle choisit un garçon aux cigarettes, même quand il faut descendre à l’étage en dessous, chez le propriétaire, régler le loyer alors qu’il n’y a pas d’argent en poche. Alors, Or, un matin, oubliera son rendez-vous avec Ido. Parce qu’il y a d’un côté Ido et son amour tendre, de l’autre la survie, et que les deux ensemble font beaucoup pour une nana de 17 ans qui vit au milieu des ordures du monde. Nous sommes faits d’or et de merde, et c’est comme ça.

Keren Yedaya (31 ans, vivant à travaillant à Tel-Aviv) a réalisé trois courts métrages avant Or. Le film, qui domine sans peine la Semaine de la critique, a quelque chose d’époustouflant sans jamais rechercher le coup de force. Il est stylisé, parfait plastiquement, avec cette photo impeccable de Laurent Brunet, qui regarde vers une forme de Nan Goldin orangé sans jamais perdre de vue l’aspect anodin des choses, sans jamais la ramener une seconde.

Une évidence. Dans le plan, la moiteur de Tel-Aviv s’impose, à l’encan des sentiments de ce couple mère-fille qui ne demande aucune explication rationnelle à ses pulsions, ne convoque aucune fatalité pour excuse, dispose entièrement des corps tout en sachant qu’il n’existe, hélas, aucune autre monnaie d’échange. La durée des plans, la distance atone du regard inventent une évidence. Aucune intervention superflue ne vient là ennuyer, ou imposer du discours. Le film, dans sa patience, en devient rapidement envoûtant. Le sentiment d’avoir habité le corps d’Or, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ne nous a toujours pas quitté.