Accueil > Ce que giscard dit tout haut
À la veille de la première réunion du Conseil européen se tenant après le « non » exprimé par la France et les Pays-Bas à la constitution, les aveux de Valéry Giscard d’Estaing, dans le Monde de mercredi, valent leur pesant de ruse et d’hypocrisie. On lira par ailleurs (voir encadré-ci dessous) la teneur des propos que le président de la Convention chargée de l’élaboration du texte dit avoir tenus à Jacques Chirac pour lui conseiller de ne pas envoyer le texte complet aux électeurs avant le référendum. Mais de ne porter à la connaissance des citoyens que les vingt premières pages, c’est-à-dire la partie consacrée aux objectifs et aux valeurs de l’Union et la charte des droits fondamentaux. Il fallait, insistait Giscard, cacher la partie III, celle qui donnait dans toute sa brutalité le mode d’emploi du libéralisme que le projet, dans son ensemble, prétendait constitutionnaliser. Ce qu’on apprend aujourd’hui de la bouche de VGE a de quoi scandaliser tout démocrate quel qu’ait été son vote au référendum.
– une partie de poker menteur contre les Français
Cette partie de poker menteur contre les Français prolongeait le jeu de cache-cache, que l’ex-président revendique dans le même article, vis-à-vis des membres de la Convention : ceux-ci ne purent débattre de la partie III, laquelle ne fut même pas présentée au sommet européen de Thessalonique (juin 2003) qui approuva la première mouture du projet. Cette attitude fut dénoncée alors par l’eurodéputé communiste français Francis Wurtz s’adressant à Giscard lui-même. Cette extraordinaire forfaiture, aujourd’hui pleinement assumée par le « père » de la constitution, confirme les révélations de l’Humanité, qui le 11 septembre 2003, dévoilait « la face cachée du projet Giscard ». On peut s’interroger néanmoins sur les raisons qui poussent Giscard d’Estaing à reconnaître s’être comporté d’une manière qui fait, à ce point, injure à la démocratie. Il y a sans doute son désarroi, qui est aussi celui de nombreux dirigeants européens, devant le camouflet subi. « Le camp du "oui", reconnaît-il, a été pris par surprise alors qu’il espérait une victoire facile. » Valéry Giscard d’Estaing laisse libre cours à son mépris pour les citoyens incapables de comprendre un « document trop compliqué » et portés « à répondre "non" par préférence instinctive faite de méfiance et d’irritation ». Si donc il fallait faire approuver l’ensemble du projet, confesse le président de la Convention, il valait mieux « recourir à la voie parlementaire ».
– de nouveaux conseils à Jacques Chirac
N’ayant pu obtenir cette ratification par effraction, Giscard ne désespère pas de faire revenir par une porte dérobée une constitution que le peuple a rejetée par la fenêtre grande ouverte. Et de prodiguer de nouveaux conseils de ruse à Jacques Chirac. Son calcul est aussi simple que cynique. Il consiste à laisser se poursuivre le processus de ratification dans les autres pays, à prendre du temps pour « dissiper aux yeux des Français la tromperie de la renégociation miraculeuse » (sic), distinguer le sort des trois parties, ce qui pourrait conduire à retirer formellement la partie III de l’ensemble constitutionnel tout en l’appliquant au titre des traités existants... Le but ultime de la manoeuvre consisterait, au bout d’un certain temps, à faire entériner l’essentiel du projet constitutionnel éventuellement accompagné d’une déclaration de bonnes intentions des gouvernements. Ainsi, en donnant du temps au temps, Giscard parie sur une éventuelle démobilisation populaire pour annuler les effets d’un vote massif et d’une participation record au scrutin.
Giscard d’Estaing dit tout haut ce que d’autres dirigeants français et européens pensent tout bas et présentent de manière plus mesurée. Hier à l’Assemblée nationale, réunie en service minimum sur les suites du 29 mai, Dominique de Villepin s’est prononcé de nouveau pour la poursuite du processus de ratification dans les autres pays, alors que les résultats des référendums français et néerlandais signent juridiquement l’acte de décès de cette constitution. Au Conseil européen, réuni aujourd’hui à Bruxelles, on assistera à ce paradoxe selon lequel les représentants de la France, le président Chirac en tête, ne défendront nullement le vote de la majorité de leurs concitoyens, mais encourageront leurs homologues à poursuivre comme si rien ne s’était passé. Ce seront d’autres chefs d’État et de gouvernement qui plaideront pour que l’Union tienne compte du vote des Français et des Néerlandais. Même le président de la Commission, José Manuel Barroso, pourtant favorable à une pause afin de « sauver la constitution », est obligé de concéder, au moins formellement, la nécessité de « mener un débat européen pour répondre aux questions des citoyens ». Ainsi MM. Chirac, Villepin, Douste-Blazy, et Mme Colonna se présentent aujourd’hui comme plus jusqu’au-boutiste que le très libéral président de la Commission de Bruxelles. Il y a dans ces conditions bien peu de chance que le Conseil européen prenne la mesure de ce qui se passe au sein des opinions européennes. Mais il y a fort à parier qu’elles ne se contenteront pas de modifications à la marge d’un projet qui perpétuerait une politique néolibérale de plus en plus contestée. En rejetant massivement le projet de constitution tout entier, les Français ont exprimé à la fois leur condamnation des politiques menées et leur refus d’un avenir bouché par la concurrence libre et non faussée. Croire qu’ils se contenteront d’une convention relookée et d’un texte retouché, ce serait faire preuve d’aveuglement. Depuis le 29 mais, c’est la question de la refondation sociale et démocratique que l’Union européenne qui est posée.
Jean-Paul Piérot
Messages
1. > Ce que giscard dit tout haut , 19 juin 2005, 22:48
Il y a deux points qu’il faut faire comprendre à tous, surtout à ceux qui ont voté Oui.
Les espagnols n’ont approuvé que les 2 premières parties de la Constitution, le reste leur a été caché.
En demandant la poursuite de la ratification, alors que le peuple a voté son arrêt, le gouvernement français commet une forfaiture.
Plus que jamais, on se rend compte que la démocratie est en danger et qu’il faut continuer à la défendre. J’ajoute qu’à mon avis, c’est un combat qui ne devrait pas être restreint aux gens de gauche.
2. > Ce que giscard dit tout haut , 20 juin 2005, 06:17
Le spectacle donné actuellement à Bruxelles montre l’affligeante réalité de l’Europe