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Ces 10 millions de Français qui ne partent pas en vacances

Publie le mardi 20 juillet 2004 par Open-Publishing

Un bon indicateur du taux de pauvreté, en attendant
d’en finir avec le mythe des seulement 3 à 5 millions
de pauvres en france.
raf’

de Catherine Rollot

Selon une étude réalisée par la direction du tourisme,
qui devrait être rendue publique à la fin du mois, 35
% des Français renoncent, chaque année, à tout "
voyage d’agrément d’au moins quatre nuits hors du
domicile". 16 % de la population ne sont même jamais
partis en congé.
Les bagages que l’on a du mal à faire tous entrer dans
le coffre, l’arrosage des plantes avant de fermer la
maison, les enfants qui s’impatientent pendant le
trajet, les bouchons sur l’autoroute, le gîte
impossible à trouver à la tombée de la nuit..., près
de quatre Français sur dix ne connaissent pas ces
aléas du départ.

Selon une étude intitulée "Voyageurs et non-partants
en 2002", réalisée par la direction du tourisme, qui
devrait paraître d’ici à la fin du mois de juillet, 37
% des Français ne sont pas partis en vacances cette
année-là. La définition des "vacances" retenue ici est
celle de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) :
"voyage d’agrément d’au moins quatre nuits hors du
domicile".

La proportion des "privés" de vacances ne devrait pas
être très différente cette année, tant elle stagne
depuis quinze ans. "Après des décennies de croissance
régulière, le taux de départ -la proportion de ceux
qui partent en vacances- s’essouffle depuis le début
des années 1990, voire diminue depuis quelques
années", explique Georges Hatchuel, directeur général
adjoint du Centre de recherche pour l’étude et
l’observation des conditions de vie (Credoc). Le
morcellement des séjours, de plus en plus courts, et
donc non comptabilisés dans les statistiques en tant
que vacances, mais aussi la crise économique ainsi que
la montée de la précarité expliquent en partie ce
phénomène.

Tous ceux qui ne partent pas ne sont pourtant pas
obligatoirement des exclus des congés. Des vacanciers
réguliers peuvent se priver une année d’un départ pour
faire quelques économies après un achat immobilier par
exemple, pour se payer un beau voyage l’année
suivante, ou encore à la suite d’un accident de la vie
(divorce, mort d’un proche, problème de santé, etc.).

Restent, si l’on en croit les enquêtes réalisées
auprès de ceux qui ne sont pas partis pendant deux ans
de suite, près de 10 millions de personnes (16 % de la
population) qui ne partiraient quasiment jamais en
vacances et constitueraient le "noyau dur" des
non-partants.

Qui sont-ils ? Pour beaucoup des retraités, des
inactifs, des salariés aux revenus modestes : employés
et ouvriers, mais aussi des jeunes (étudiants et
lycéens). Autre catégorie sévèrement touchée, les
familles nombreuses (plus de trois enfants) et les
familles monoparentales.

Les urbains continuent, comme par le passé, à voyager
plus. "Plus la commune de résidence est grande et plus
la propension à partir en vacances est forte", note
Bernard Chevalier, auteur de l’étude précitée. Dans
les régions à forte attractivité touristique, les
départs sont moindres. C’est le cas le long de la côte
méditerranéenne et dans le Sud-Ouest. Mais ce sont les
habitants du Nord-Pas-de-Calais qui partent le moins
en vacances.

"MANQUE D’AISANCE"

Pourquoi ne partent-ils pas ? Selon une étude de
l’Insee, réalisée par Céline Rouquette en 2000, seule
une personne sur cinq reste par "choix". L’explication
la plus importante est financière : cinq sur dix
disent ne pas avoir les moyens de partir.

De fait, très logiquement, le taux de départ progresse
avec le revenu. Il est de moins de 40 % pour un ménage
vivant d’un smic et de 85 % pour un ménage ayant un
revenu moyen supérieur à 1 500 euros. Les inégalités
devant les départs en vacances se retrouvent tout au
long de l’année. Toutes les enquêtes montrent que les
différentes formes de départ ne se substituent pas
entre elles. Elles se cumuleraient plutôt. 66 % de
ceux qui ne sont pas partis en vacances n’ont effectué
aucun voyage comprenant au moins une nuit hors du
domicile.

Ce sont donc les catégories qui ont déjà l’habitude de
partir souvent en vacances qui partent le plus en
courts séjours, en week-ends et en excursions à la
journée. Pour aggraver encore les différences, il
semblerait que ceux qui ont "les moyens" (couples sans
enfants et célibataires, retraités, diplômés, cadres
supérieurs et professions libérales) bénéficient plus
souvent d’un hébergement gratuit chez les parents et
les amis. Moins on part, plus il est difficile de
partir, et plus cela risque de coûter cher.

Une réalité souvent vécue comme une exclusion. "Ne pas
partir en villégiature dans les années 1970, c’était
seulement le signe d’un manque d’aisance, estime Jean
Viard, sociologue, directeur de recherches au Centre
d’études de la vie politique française (Cevipof).
Aujourd’hui, le non-accès aux vacances est plus
excluant, car voyager est devenu la norme."

Au-delà de l’aspect purement financier, pour le noyau
de ceux qui ne partent pas, les vacances sont aussi
bien souvent hors de portée culturellement, notamment
par manque de pratique. En 2001, dans un rapport remis
au Conseil national du tourisme sur "l’incitation au
départ des non-partants", Michelle Rigalleau, alors
déléguée générale de l’association Vacances ouvertes,
soulignait le besoin d’information et d’aide à la
préparation au départ.

"Quand on vit depuis des années dans son HLM, sans
avoir d’autre horizon que son quartier, on développe
une peur de sortir, de partir, estime Jean Viard. Très
souvent, les néophytes craignent de ne pas connaître
les codes et rituels des vacances et d’être ridicules.
Certaines personnes qui pourraient bénéficier d’une
aide préfèrent ainsi ne pas l’utiliser, estimant que
les vacances ne sont pas pour elles." Chaque année,
près de 30 % de bons CAF distribués ne sont pas
utilisés par les familles bénéficiaires.

Pour Jean Viard, l’arrêt de la démocratisation des
congés remonte au début des années 1980. "Les pouvoirs
publics ont estimé qu’ils avaient fait leur travail et
que les Français pouvaient désormais se débrouiller
avec leurs vacances. Les aides se sont recentrées vers
les publics les plus en difficulté, laissant sur le
bord du chemin toute une population trop riche pour en
bénéficier, mais trop pauvre pour partir par ses
propres moyens."

La conséquence de ces évolutions a été immédiate. De
1993 à 1999, le taux de départ en vacances des
commerçants et chefs d’entreprise a crû de 3,5 % quand
celui des ouvriers baissait de 3,3 %, pour atteindre
44 %.

Certes, les évolutions culturelles sont passées par
là. Des chercheurs ont montré qu’il existait une
tradition de vacances à la maison dans les foyers
populaires. De même, une partie des familles modestes
ont réussi à accéder à la propriété : pourquoi avoir
une maison si ce n’est pour en profiter pendant les
week-ends et les vacances ?

Reste une différence de taille. Le fait de ne pas
partir en vacances n’est pas vécu de la même façon
s’il est un choix ou une contrainte.

Catherine Rollot

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Les principaux dispositifs d’aide au départ

Les bons CAF.
La Caisse nationale d’allocations familiales distribue
des bons pour payer des séjours en village ou en
centre de vacances. En 2002, 150 millions d’euros ont
été distribués via ces titres de paiement.

La bourse solidarité-vacances.
Créée en 1999, elle s’adresse en priorité à des
personnes à faible niveau de vie. Ce dispositif permet
à des associations humanitaires, caritatives ou de
chômeurs de bénéficier de places d’hébergement ou de
transport à des tarifs préférentiels. 17 000 personnes
en bénéficient chaque année.

La bourse ANCV.
Depuis 1987, l’Agence nationale pour les
chèques-vacances (ANCV) attribue des bourses-vacances
pour aider des personnes en difficulté à partir. Elles
permettent à 22 000 personnes par an d’expérimenter
les vacances.

Le chèque-vacances.
Apparu en 1982, le chèque-vacances est un titre de
paiement qui permet d’optimiser le budget vacances et
loisirs des salariés grâce à une participation
financière du prescripteur (employeurs, comités
d’entreprise, mutuelles des fonctions publiques,
organismes sociaux). Il peut couvrir aussi bien des
dépenses d’hébergement que de transport, repas et
activités de loisirs. En 2001, 1,7 million de salariés
ont reçu des chèques-vacances.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-373178,0.html