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Chemin de croix

Publie le samedi 9 avril 2005 par Open-Publishing

de ROBERTO ZANINI traduit de l’italien par karl&rosa

Nous sommes devenus fous, il est bon de le dire tout de suite. L’édredon de personnes qui couvrent des kilomètres de macadam romain jusqu’aux colonnes de Saint Pierre constitue un évènement plein de significations inextricables, qui inspire la fascination et la peur de quelque chose qui n’est jamais arrivé. Au contraire, l’attention consacrée à ce phénomène est de la pure célébration. Beaucoup de rite païen et autant de liturgie catholique romaine sont enchevêtrés et télédiffusés comme jamais auparavant. La laïcité est allée au diable depuis longtemps et avec elle beaucoup du sens critique indispensable à comprendre la masse humaine qui est en train de se ruer sur Rome.

Le pontificat invasif de Karol Wojtyla ne pouvait pas s’achever de façon plus adaptée, par le plus grand des bains de foule. Ce n’est pas un pèlerinage, mais plutôt un chemin de croix, un chemin de pénitence collectif auquel le pénitent se soumet volontiers. Huit heures de queue c’est bien, douze heures c’est même mieux, après vingt-quatre a-t-on droit à l’indulgence ? La communion des saints est rejointe à travers les portables photographiques, peu de secondes de déclics furieux après bien des kilomètres de queue.

Louée au début, la générosité des Romains et la piété des "pélerins" est devenue monstrueuse. La sûreté publique implore d’arrêter et se prépare à faire face aux ennemis, il ne s’agira pas des divisions du pape mais ils ont un certain poids militaire. Sur les mêmes portables qui mitraillent de photos le catafalque papal, arrivent les messages de la protection civile qui ordonne le couvre-feu à Saint Pierre, ferme les écoles et les bureaux, propose des réquisitions volontaires d’appartements et d’eau potable, range des batteries de missiles et de tireurs d’élite. On agit ainsi pour les grandes calamités et peut-être est-ce le cas. Interdits les spectacles légers, disposés les maxi écrans pesants. Beaucoup verront les funérailles en deux dimensions et il est juste que ce soit ainsi, c’était un pape médiatique. Internet a pris depuis longtemps la place de la grâce.

Des rafales de liaisons avec la place Saint Pierre dans tous les journaux télévisés n’enregistrent pas un évènement, mais elles le sont. Une déviation éclatante, un deuil artificiel braqué comme une arme sur les mécréants, une exagération du raconter qui amplifie par la répétition obsessionnelle les proportions et les effets de l’évènement raconté. A tout bout de champ, quelqu’un se télé désole pour le pape, même celle des programmes de cuisine - excellents. Cela n’a rien à faire avec le sentiment religieux, qui est une chose respectable. C’est la célébration d’un monarque des consciences, qui devient détestable comme presque tous les monarques. Quelqu’un se souvient-il des obsèques de Staline ou de Khomeiny ?

La religiosité est une demande d’indemnisation contre une modernité cynique et tricheuse mais le futur n’est pas destin, il est choix. Le devenir fait peur, si le présent est tout en file à célébrer la mort du successeur de Pierre. L’exaspération collective de cette mort est un mauvais expédient pour remplir un vide. Il n’y a pas de vides incomblables. S’il est légitime qu’on désire de participer à une expérience comme celle-ci, il l’est aussi qu’on y assiste atterris.

A part la morale sexuelle, l’église de Wojtyla était devenue plutôt désinvolte et séculière. C’est l’état voisin qui s’est engagé, par un deuil obligatoire, sur la voie contraire, une voie carolingienne et pré-renaissance qui ne lui fait pas honneur. Le président a dit que les Italiens avaient perdu un père. Celui de l’auteur est vivant, très vivant, et n’a pas besoin de remplaçants.

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/07-Aprile-2005/art5.html