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Chercheurs et intermittents doivent converger.

Publie le lundi 2 février 2004 par Open-Publishing

À l’heure où le mouvement des chercheurs prend une ampleur
insoupçonnée, ses résonances font écho à un autre mouvement inédit et
inventif, que personne n’avait vu ou voulu voir venir et qui a
aiguillonné le pays pendant un an, celui des intermittents du
spectacle.

Deux univers distincts, la rigueur des chercheurs et la créativité
des intermittents ? On pourrait le croire, à n’y trop regarder de
près. Car, en fait, bien évidemment, les similitudes ne manquent pas.
Comme vous, nous avons longtemps pensé que nos combats, quelle que
soit la haute idée que nous nous en faisions, ne bouleverseraient pas
une société complaisamment décrite comme apathique. Qu’ils
n’effraieraient pas ce gouvernement effrayant et anxiogène. Tout au
plus, un signe discret pouvait être envoyé, une main sur le c¦ur, un
soutien de principe (comment déclarer ouvertement que les artistes ou
les chercheurs sont inutiles ?) , mais il ne fallait rien espérer de
plus et nos actions prenaient souvent la forme de barouds d’honneur
auquel peut être nous même ne voulions pas croire totalement, à force
de ployer sous un mépris d’en haut autiste à tout ce qui n’est pas
sécuritaire ou productif.

Comme vous, le gouvernement nous demande de nous vendre au profit,
remplaçant la recherche créative fondamentale par l’application
directe de thématiques déjà financièrement éprouvées, remplaçant les
créations indépendantes par le rentable TF1.
Comme vous, le temps qui nous est nécessaire à produire notre travail
est long, et s’oppose frontalement, même si discrètement, à la furie
du libéralisme bien mal digéré de l’équipe au pouvoir. Ce temps long
est en soit une résistance. Votre liberté de création est la vigie de
nos libertés individuelles, notre liberté de recherche est un
questionnement permanent de l’éthique de nos sociétés.

Mais le vent tourne. Les citoyens de ce pays signent en masse la
pétition des chercheurs, ils comprennent bien que le discours
gouvernemental, réduit à un pathétique appel au renfort du privé, est
inepte. Ce sont certainement ces mêmes femmes et hommes qui n’ont
cessé, l’an dernier de ressentir comme une blessure l’agression qui
vous a été faite, la brutalité qui l’a accompagnée. Ce sont
certainement les mêmes qui ressentent confusément qu’on réduit
progressivement ce pays à peau de chagrin, au mépris de tout honneur
démocratique, puisque les budgets votés par nos représentants élus,
sont gelés d’un trait de plume par des décrets autoritaires. Vous et
nous sommes le laboratoire d’essai sur lequel le gouvernement se fait
la main, en nous épuisant, en mentant éhontément sur la réalité de
nos vies et sur les conséquences de leur politique prédatrice. Et
s’il se cassait les dents sur les grains de sable que nous sommes ?
Et si nous étions ceux qui trouvions les mots et les modes d’actions
pour sortir notre pays de son supposé engourdissement ?

Évidemment, converger n’est pas simple. Il faudra trouver les mots
pour se parler, dégager des pistes communes, mais quel défi, quelle
aventure si nous y parvenons ! Nous avons dans les mains la
possibilité d’un mouvement totalement impensable il y a peu, les
bases d’une mobilisation qui, par ce qu’elle est surprenante,
pourrait faire jaillir comme jamais les questions fondamentales pour
une société : pourquoi vivons nous ensemble ? Quels sont nos projets
collectifs ? qu’est ce qui fait que nous ne sommes pas qu’une
collection d’individus, voire de consommateurs, mais des femmes et
des hommes libres de repousser les limites de la fatalité économique
à laquelle on voudrait nous soumettre ?

Voilà pourquoi nous vous appelons a la convergence. La recherche,
toute la recherche, toute disciplines confondues, toutes structures
confondues et les intermittents. Non pour en exclure les autres
mouvements sociaux, mais pour prouver que si des univers aussi
dissemblables que les nôtres sont capables de s’entendre, alors tout
est à espérer. Espérer convaincre que nos métiers, rendus possibles
dans des sociétés riches, en sont justement un trésor, la garantie de
liberté pour tous. Qu’ils fonctionnent sur une économie particulière
où celui qui donne ne s’appauvrit pas aux dépens de celui qui reçoit,
et qu’en cela, ils sont une entorse permanente à l’ordre économique
ambiant qui voudrait placer sous coupe réglée tous les pans de la
société. Que nous, si souvent petites mains mais si souvent taxées
d’élitisme, sommes la preuve qu’il n’y a pas de France d’en haut ou
d’en bas, mais seulement des esprits bien déterminés qu’on voudrait
ranger dans ces cases pour mieux nous caricaturer et mieux nous
soumettre. Que nous sommes à la disposition de la société pour
l’aider à comprendre le monde et s’y sentir bien, lui fournir des
raisons d’espérer quand d’autres ne cessent de lui faire peur. Qu’il
est faux de dire que le changement nous fait peur, que nous serions
des archaïques indécrottables rétifs à toutes les évolutions, mais
qu’au contraire, c’est le changement pour le changement qui est
stupide et que tout l’intérêt est de savoir vers où l’on veut nous
emmener.

Rencontrons nous, venez dans nos labos, sur nos terrains, et
accueillez nous dans vos ateliers et vos salles, en un mot surprenons
ceux qui nous croient si prévisibles !

Car une fenêtre de tir s’ouvre. Les élections arrivent. Prenons au
mot les participants au concours de beauté qui s’annonce, unis, nous
serons plus fort pour casser le ronron lénifiant qui se prépare, la
panoplie usée jusqu’à la corde, des débats choisis en haut lieu, des
polémiques pour faire diversion, des positionnements attendus et des
réponses toutes aussi conventionnelles. L’enjeu, c’est de contrarier
ces petits plannings et contraindre ceux qui aspirent à nous
représenter à se positionner par rapport à ce que nous sommes et à ce
que nous représentons. Que nous sachions et fassions savoir qui parmi
eux se donnent les moyens, chiffres et mesures à l’appui, de protéger
notre liberté qui a son prix, et qui parmi eux, par opposition, prend
la responsabilité de nous considérer comme secondaires. Que les mots
en l’air deviennent des engagements, des contrats fermes entre eux et
nous.

Que nous n’ayons que peu à attendre de ce gouvernement boutiquier et
sans colonne vertébrale, beaucoup des nôtres en sont convaincus, mais
les élections sont justement la possibilité de sortir de ce face à
face éreintant et de contraindre tous les candidats, par l’_expression
populaire, à nous écouter.
A nous de placer la société face à ces choix, à nous de persuader de
l’impérieuse nécessité qu’il y a à nous comprendre, et à nous donner
une place digne, parce que cela conditionne la dignité de tous.
A nous aussi, de déjouer les caricatures que l’on trace de nous, de
prendre notre bâton et de faire entendre notre voix. Et vous,
intermittents qui nous avez tant impressionnés par vos capacités de
lutte, mais que l’on sent, peut-être a tort, résignés et las,
regardez de notre côté : les chercheurs citoyens arrivent.

Convergeons@hotmail.com

Thomas Heams (IC), Olivier Delelis (IC), Vincent Feuillet (IC), et
Yvan le Masson (IP) sont chercheurs en formation