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Contexte espagnol

par Marie-Anne

Publie le mercredi 24 août 2011 par Marie-Anne - Open-Publishing
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En Espagne, le mouvement des "indignés" continue, de manière plus souterraine, son travail d’agitation et de réveil des consciences. Malgré quelques rotomontades syndicales, le gouvernement PS se plie aux diktats du FMI, de la Banque centrale et de l’Union européenne. Le chômage et la précarité explose, tandis que le gouvernement joue sur la précarisation des travailleurs migrants pour abaisser encore le coût du travail. Dans l’Andalousie agricole, le gouvernement facilite avec le cynisme le recours à la main-d’oeuvre clandestine, générant des drames humains.

Que sont devenus les « indignados » ?

En Espagne, le mouvement des « indignados » n’a pas fait feu de paille. Il a perdu de sa visibilité médiatique en quittant la Puerta del Sol, mais il s’est redéployé dans les quartiers où il semble prendre racine. Les « indignés » participent à des manifestations locales et nationales, contre le pacte euro plus, contre le coût occasionné par la visite papale , et vont réveiller les consciences sur les plages. Le 23 juillet, des marches parties de toute l’Espagne se sont retrouvées à Madrid. D’autres marches « citoyennes » doivent aboutir à Bruxelles, rencontrant au passage les « indignés » locaux. Leur ambition : une manifestation mondiale le 15 octobre.

La soumission du PS espagnol et des principales forces syndicales

Ce mouvement des « indignados » se développe d’autant plus que les forces de gauches traditionnelles, le parti socialiste et les principaux syndicats, se sont enfermés dans une politique de soumission aux diktats de la « Troïka » : Union européenne, Banque centrale, FMI.

La contestation espagnole semble avoir été freinée par la présence d’un gouvernement social-démocrate, réputé « de gauche », au pouvoir. Il a fallu attendre février 2010 pour qu’une manifestation unitaire, soit appelée par les deux grandes confédérations syndicales espagnoles, les CCOO et l’UGT, depuis l’accession de la « gauche » au pouvoir en 2004. Les syndicats ont apporté leur soutien au gouvernement jusqu’au moment où celui s’est attaqué aux retraites.

La réaction des syndicats à l’annonce des projets gouvernementaux concernant les retraites a été d’autant plus vive qu’elle n’a pas été précédée de la moindre concertation. Les deux principaux points de ces réformes portent sur le nombre d’années prises en compte pour le salaire de référence, porté de 10 à 25, et sur le report de l’âge légal de départ - 67 au lieu de 65 ans-. Lors du dépôt de projet de loi, fin janvier, les syndicats tempêtent, menacent d’une nouvelle journée de grève générale, mais finissent par signer le « pacte social » qui entérinent tous les reculs sociaux, tant en matière de retraite que de droit du travail.

Sous prétexte de lutter contre le chômage des jeunes et celui de longue durée, ce pacte prévoit une exonération totale ou partielle des cotisations sociales contre des embauches en CDI. Une aumône de 400 € sera versée aux demandeurs d’emplois en fin de droits qui ne disposent d’aucune source de revenus.

Depuis 2002, un « accord interconfédéral pour la négociation collective » est signé entre organisations patronales et syndicales encadre les accords au niveau des branches, des provinces et des entreprises. Le renouvellement cet accord national en 2009, obtenu après un bras de fer, débouche sur un compromis très modéré. L’accord est conclu pour une durée de trois ans, durée estimée pour un retour à une croissance économique stable. Les travailleurs espagnols y acceptent la modération salariale contre l’engagement patronal de contenir la précarité de l’emploi.

En 2011, le gouvernement prépare cependant une réforme de la négociation collective qui doit être mise en application dès l’automne. Le gouvernement veut faciliter la « flexibilité interne » à l’entreprise, tant en matière de temps de travail que de salaire, mais tout devra se faire dans le dialogue...

La situation de l’emploi est catastrophique, 4,6 millions d’espagnols sont inscrits au chômage, et 40% de ces chômeurs ont moins de 25 ans. Mais la préoccupation première du gouvernement espagnol est d’apaiser les marchés dans une tentative vaine pour de réduire le déficit public à 6% du PIB en 2011 et 3% en 2013, après avoir atteint 9,24% en 2010.

Le 21 juin, lendemain d’une manifestation dans les rues de Madrid, le FMI communique sur son dernier rapport concernant les « efforts » consentis par l’Espagne : ce n’est pas assez. Le Fonds reconnaît toutefois que "la réponse politique aux défis économiques de l’Espagne au cours de l’année passée a été solide et ample, ce qui a aidé à renforcer la confiance des marchés", mais un tour de vis supplémentaire est exigé, sous la forme de 20 milliards d’euros de réduction du déficit sur trois ans. Tout en faisant l’éloge des réformes accomplies par le Premier ministre socialiste, le FMI considère cependant que la récente réforme du marché de travail a été "limitée" et que les risques sur l’économie espagnole restent "considérables". Le FMI conseille d’approfondir les réformes avec "courage", la reprise étant "graduelle mais incomplète". Il considère que « les régions et les municipalit és constituent les "principales sources d´incertitude" pour l´accomplissement des objectifs de contrôle du déficit, et le gouvernement doit, à cet égard, savoir ses transformer en gendarme des collectivit és locales qui ont pourtant leur autonomie. Le rythme des réformes "reste un défi urgent, il ne peut pas y avoir de relâchement" dans ce domaine, insiste le FMI. Pour cet organisme, il est nécessaire de "renforcer courageusement les réformes du marché du travail pour réduire fortement le chômage", et rendre plus flexible la négociation collective, de renoncer à l’indexation des salaires sur l’inflation et de diminuer encore les indemnités de licenciement.

Les migrants, nouveaux esclaves des temps modernes ?

La situation des travailleurs migrants s’est considérablement aggravée avec la crise. Ils étaient présents dans les secteurs à fort coefficiens de main-d’oeuvre : construction et surtout horticulture dans le Sud du pays.

L’Espagne, quand elle avait besoin d’une main-d’oeuvre abondante, avait pris un certain nombre de mesures pour régulariser la situation de ses migrants. Beaucoup ont obtenu un droit au séjour en mettant à profit la possibilité ouverte pour tous ceux qui pouvaient prouver trois ans de travail en Espagne. En Andalousie, des contrats temporaires de « contratación en origen » (recrutement à l’étranger) légalisent de façon précaire la situation des migrants venus apporter leur force de travail à deux périodes de pointe -les semis et la récolte - de la culture des fraises, très concentrée dans la région de Huelva. Le système est très encadré : des amendes fortes frappent le recours à des travailleurs clandestins, le producteur paye le billet de retour et des critères sont établis pour sélectionner les travailleurs : la priorité est donnée aux jeunes mères, supposées être particulièrement motivées pour rentrer au pays retrouver leurs enfants. La Roumanie et le Maroc sont les principaux pays d’origine, mais le travail attirait également des sénégalais et des nigériens.

En réalité, ces travailleurs -dont beaucoup de travailleuses- sont dans la dépendance de l’employeur, et effectuent beaucoup d’heures supplémentaires non rémunérées.

Mais avec la crise, la main-d’oeuvre étrangère devient la « variable d’ajustement » pour tenter de répondre autant que faire se peut au problème du chômage. Le travail ingrat dans les champs de fraises est maintenant effectué par les licenciés espagnols du bâtiment. Pour près de 80.000 mille contrats établis en période faste, on est passé à 40.000 en 2008, moins de 15.000 en 2009, 5000 en 2010. En 2011, il ne reste plus que 3000 journaliers marocains « de réserve ». Le prochain semis se fera sans eux. Cette année, la première fois depuis dix ans, la Commission des flux migratoires a décidé que l’apport des saisonniers étrangers seraient « résiduel » pour la campagne 2011-2012.

Mais l’Espagne doit négocier avec l’Union européennne les possibilités de bloquer le retour de la main-d’oeuvre roumaine, en la conditionnant à l’obtention d’un permis de travail. L’Espagne avait levé les restrictions à l’accès au marché de l’emploi possibles pour ces nouveaux européens jusqu’en 2013, et doit justifier des raisons qui la font revenir sur sa décision. La Commission européenne ratiocine, demande des chiffres, mais finit par donner son accord le 11 août.

Mais si le gouvernement espagnol joue sur une « gestion de ses flux migratoires » légale, en sous-main il utilise sciemment la situation de précarité et la dépendance des travailleurs migrants, munis ou non de papiers, pour permettre aux employeurs de surexploiter en période de crise la main-d’oeuvre étrangère. La législation concernant le séjour des étrangers s’est durcie, restreignant leurs droits de manière considérable. Les conditions du regroupement familial sont devenues drastiques, l’enfermement dans les centres de rétention est facilitée, l’accès à l’assistance judiciaire est devenu difficile, et les sanctions pour infraction à cette législation ont été aggravées. Les étrangers sont classés dans un système complexe de catégories en fonction de leur qualification, catégories qui déterminent les conditions dans lesquelles ils peuvent obtenir un permis de séjour et de travail. L’Espagne se calque sur les législations les plus droitières en matière d’immigration, telles celles de la France ou des Pays-Bas, en exigeant de ses migrants des « efforts d’intégration », sans définition juridique précise, ce qui donne à l’administration un pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Cette nouvelle législation met le salarié étranger dans la dépendance de son employeur, car le renouvellement de son permis de séjour est lié au renouvellement de son contrat de travail.

Plus cyniquement encore, le gouvernement espagnol utilise la détresse des clandestins pour en faire une main-d’oeuvre quasi gratuite pour les horticulteurs d’Andalousie. Une enquête du journal britannique « The guardian » du 7 février 20111 dresse un constat sévère. Les travailleurs étrangers licenciés de la construction se rabbattent vers le sud maraîcher dans l’espoir d’y décrocher une place. Les migrants enfermés dans les centres de rétention des Canaries sont transportés par avion jusqu’à Madrid, puis ils sont ensuite libérés dans les zones où leur force de travail peut trouver à s’employer.

Une religieuse oeuvrant auprès de cette population en détresse raconte que les premiers africains noirs sont arrivés en 2002. Les autorités ont demandé à un guide de convoyer clandestins trente jusqu’à San Isidro, près d’Almeria, et de les libérer jusqu’à la Place principale. Ils n’ont rien, ni argent, ni papiers, on leur a juste dit de partir. Personne n’était informé de leur arrivée, les autorités locales s’en lavaient les mains, la population ne voulait rien avoir à faire avec eux. Les religieuses de la Congrégation de la Miséricorde, désemparées face à cette situation, ont fini par les conduire à une serre désaffectée. D’autres sont arrivés de la même manière, qui ont construit autour des taudis en carton, jusqu’à former un regroupement d’environ 300 personnes, sans aucun assainissement. Certains souffraient de problèmes médicaux graves : tuberculose, sida, hépatite... mais sans existence légale, ils n’avaient aucune chance d’accéder à des soins. Aujourd’hui les religieuses distribuent vivres et vêtements ; elles ont enregistré 4000 migrants pour leur petite localité de 7000 habitants. Les africains trouvent à s’employer dans des serres, ce qui leur permet juste de survivre. L’un d’entre eux est décédé suite à un accident du travail : aucune enquête n’a été déclenchée, l’employeur n’a pas été inquiété.

Cette situation n’est pas unique : à Jaén, au nord-est de l’Andalousie, des milliers de travailleurs ont afflué dans l’espoir de trouver du travail, juste avant Noël, dans la récolte des olives. Sans argent et sans abri, la plupart sont nourris une fois par jour par la Croix-Rouge, qui a eu la capacité de les héberger pendant trois jours. Le coordinateur de la Croix-Rouge d’Almeria estime entre 15.000 et 20.000 le nombre de migrants sans abri dans sa province, dont près de 5000 dans des maisons abandonnées, sans eau ni électricité. Almeria est traditionnellement une des régions les plus pauvres d’Espagne, mais l’essor de l’horticulture dans les années quatre-vingt, conjointement au tourisme, l’ont transformée.

L’enquête du « Guardian » conclut :

* que les travailleurs migrants issus d’Afrique vivent dans des abris de fortunes, fait de bâches de plastiques, sans assainissement ou accès à l’eau potable ;
* Que leur salaire est régulièrement en dessous de la moitié du minimum légal ;
* qu’ils sont sous la menace d’une dénonciation à la police s’ils osent se plaindre.

Le Directeur d’Anti-Slavery International, Aidan McQuade, a déclaré, confronté aux résultats de l’enquête du Guardian, que le fait que les autorités espagnoles ont transféré des migrants en situation irrégulière dans les zones du pays où le travail est nécessaire, aussi là où les travailleurs migrants sont régulièrement payé la moitié du salaire minimum légal, et menacés d’expulsion s’ils s plaignent de leurs conditions de travail, établit une preuve prima facie de collusion officielle dans le trafic de travailleurs migrants dans les fermes agricoles du sud de l’Espagne.

Spitou Mendy, qui était lui-même un migrant illégal en provenance du Sénégal jusqu’à ce qu’il établisse ses papiers lors d’une amnistie, est désormais permanent du Sindicato de Obreros del Campo (SOC). Il pense que les chiffres de travailleurs africains dans la zone ont gonflé à plus de 100 000 à cause de la récession. Les agriculteurs affirment que les supermarchés tirent parti du ralentissement économique pour acheter moins cher, tandis que le coût du carburant et celui des engrais augmentent. Ils déclarent n’avoir d’autres d’autre choix que de réduire les salaires, ce qui est le seul élément de leurs coûts de production qu’ils peuvent contrôler. Les agriculteurs qui veulent employer des personnes légalement et au taux approprié du mal à rivaliser et à faire un profit. « C’est l’agrobusiness qui gagne. Ce sont les capitalistes qui gagnent. Et l’humanité disparait en conséquence. C’est l’esclavage en Europe. A la porte de l’Europe, il y a l’esclavage comme si nous étions au 16ème siècle. »

1http://www.guardian.co.uk/business/2011/feb/07/spain-salad-growers-slaves-charities

http://blog-citoyen.over-blog.fr/

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