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De « l’ultra Gauche » à « l’ultra Droite » ou la politique de la dérive
par Yann FIEVET
Publie le jeudi 22 mars 2012 par Yann FIEVET - Open-PublishingIl ne manquait qu’une tragédie à la campagne pour l’élection présidentielle 2012. Quand la plupart des citoyens n’y songeaient aucunement, certains la craignaient et d’autres en convoitaient le coup de pouce décisif. Elle survint à Toulouse le 19 mars, la veille d’un nouveau printemps. Et de la pire des façons que nul n’aurait songé à imaginer : le meurtre de trois enfants et de l’un de leurs professeurs dans l’enceinte même d’une école juive. L’horreur absolue du crime imposa le réflexe unanime – du moins en paroles – de la suspension momentanée des hostilités d’une campagne où la violence le dispute trop souvent au criant manque d’imagination. On en profita néanmoins pour nous suggérer de tourner notre regard du côté de « l’ultra Droite ». La minable dérive de la politique sarkozienne ne saurait donc s’interrompre.
Disons-le tout de go : l’ultra-Droite n’existe pas. Tout comme n’existe pas davantage l’ultra-Gauche, épouvantail brandi voilà trois ans par Mme Alliot-Marie dans l’affaire dite de Tarnac. Dans les deux cas, il s’est agi d’instrumentaliser un fait isolé – plutôt anodin dans l’affaire de Tarnac, barbare dans celle de Toulouse – afin d’accréditer la thèse de l’existence d’organisations politico-criminelles fomentant dans l’ombre de la République sa déstabilisation voire sa destruction. Les esprits suffisamment éclairés ne voient dans ces manœuvres stupides que la bouffée délirante d’une démocratie malade. Ce n’est évidemment pas à eux que s’adresse le grossier et imbécile message mais à la nébuleuse des « indécis » dont on nous dit qu’à un mois du scrutin majeur, ils représentent 50 % des citoyens ayant l’intention de voter. Dans l’affaire de Tarnac la stupidité – où le cynisme politique – est porté à son comble : le dossier est vide, il n’existe aucun début de preuve de l’acte que l’on impute aux accusés. Julien Coupa sera pourtant maintenu des mois en détention. Dans les deux affaires, on aura pu admirer la facilité express avec laquelle les médias de masse firent voler de rédaction en rédaction la baudruche coupablement gonflée par le ministère de l’Intérieur. Ce sont là de grands moments de journalisme de révérence, gangrène d’une profession sinistrée.
L’invention du dernier concept à la mode au magasin des fantasmes sarkoziens était habile, convenons-en. La pancarte « Ultra Droite » a deux grands mérites sournoisement calculés. D’abord, elle joue avec la confusion possible entre « ultra » et « extrême » au sein d’une partie de l’opinion. L’océan Opinion, aux rivages flous et profondeurs obscures, sondés malgré tout chaque jour afin de combler le vide du continent Politique, renferme des trésors que les meilleurs inventeurs d’épaves savent faire remonter à la surface au moment opportun. Il suffirait qu’un tout petit nombre de gens fort mal avisés de la chose politique confonde l’ultra-Droite – qui n’existe pas – avec l’extrême Droite largement incarnée par le Front national – qui séduit désormais trop d’anciens supporters de l’hôte de l’Elysée – pour que ces derniers envisagent un maintien salutaire au bercail. Ensuite, en se gardant de désigner l’extrême Droite, la trompeuse pancarte ne froisse pas les électeurs du FN dont les voix pourraient être précieuses, le cas échéant, lors du second tour de l’élection suprême. À part cela, on faisait une trêve !
Nous n’avons pas abordé ici la question du rôle éventuel que pourrait avoir joué dans l’affaire toulousaine le contexte politique et social où le rejet de l’autre, parce qu’il est différent, a fait d’énormes progrès au cours des cinq dernières années. Qui oserait imaginer une quelconque relation entre ce contexte ô combien nauséabond et un crime raciste au plus haut degré d’abjection qui, souhaitons-le, n’en précédera pas d’autres ? Qui oserait établir un lien entre l’invention inédite en 2007 du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et la banalisation de l’exclusion sur des critères raciaux ? Qui oserait donc encore prétendre que les mots peuvent être des armes de destruction du lien social, tels les mots racaille ou karcher ? Qui oserait en appeler à l’Histoire et avancer l’idée que la promotion, tout au long des années 1930, de la figure du Juif accapareur et profiteur a participé de l’indifférence générale quand survinrent les rafles pour le voyage ultime ? Chacun sait, au contraire, que les comportements individuels, notamment les plus pathologiques, n’ont jamais rien à voir avec le contexte socio-politique. Ils sont de génération spontanée !
Mais, chacun sait aussi que, ni les leçons de l’Histoire, ni les avertissements de sages penseurs, ne parviennent jamais à entraver la spirale de la haine lorsqu’elle est vraiment lancée. Et là, subitement, on n’a plus envie de seulement se moquer d’une classe politique à la dérive. On réalise soudain que la société en tant que telle est déboussolée. Trente ans de néolibéralisme ça vous chavire les sociétés les mieux armées pour tenir la vague. Le creusement des inégalités, la mise au fossé des moins « performants » nourrissent des rancœurs que les boucs émissaires désignés essuieront jusqu’au tragique. Pourtant, la campagne a repris son cours ordinaire comme si rien ne s’était passé. Oui, mais voilà : il s’est réellement passé quelque chose…