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De la difficulté de se débarrasser d’un grand patron en échec
Publie le vendredi 28 mai 2021 par Open-PublishingIl y a quelque chose de pourri et d’éminemment cynique dans le monde ultra-libéral dans lequel nous vivons. Alors que les employés sont traités comme des vaches à lait, devant toujours être plus rentables (jusqu’à ce qu’ils soient délocalisés), les règles de la compétition et de la performance ne semblent pas s’appliquer aux grands patrons qui jouent aux marionnettistes avec nos existences. Gros plan sur ces grands patrons qui s’accrochent à leur poste alors que leurs mauvaises décisions ont coûté des fortunes à leurs entreprises.
« Selon que vous serez puissants ou misérables ». Les mots de La Fontaine n’ont pas perdu une once de leur impact quatre siècles plus tard. Les règles de la société, qui sont de nos jours celles de la globalisation et de la compétition à outrance, ne s’appliquent pas de la même manière à ceux qui triment et à ceux qui mènent le bal. Il est même assez cocasse de voir à quel point l’incompétence de certains patrons n’a aucune conséquence (pour eux, pas pour l’entreprise et ses employés évidemment).
Un grand patron en échec doit-il être reconduit à son poste par son conseil d’administration ? Doit-il continuer à toucher un salaire outrancier ? Des bonus annuels ? Ces questions devraient être rhétoriques… et pourtant, il est aujourd’hui la norme de voir certains PDG continuer de diriger des entreprises dont les résultats sont plombés par des stratégies hasardeuses ou des mauvais choix de management. Il n’y a pas à regarder bien loin pour voir des exemples de ces patrons qui conservent leur poste d’une manière ou d’une autre alors que leur entreprise est en difficulté.
Le mois dernier, il a fallu un conseil d’administration extraordinaire et l’implication de fonds activistes étrangers pour rendre possible le départ du PDG de Danone, Emmanuel Faber, dont les résultats étaient calamiteux depuis plusieurs années, mais qui n’en conservait pas moins le soutien total du conseil d’administration du géant mondial de l’agroalimentaire. Il a fallu un conseil d’administration extraordinaire et une pression médiatique intense pour faire tomber de son piédestal Emmanuel Faber.
C’est que l’oligarchie financière et industrielle a la tendance naturelle de se serrer les coudes, de ne pas faire de vagues, et de toujours préférer l’entre soi aux influences extérieures. A un autre niveau, le cas du PDG du réassureur Scor, Denis Kessler, grand thuriféraire du marché, est également marquant. Denis Kessler, qui est remis en cause par une partie des actionnaires du réassureur en raison de sa rémunération et des mauvais résultats du groupe, vient d’annoncer renoncer à son poste de directeur général… tout en conservant la place de président. Dans le même temps, les dividendes versés par Scor à ses actionnaires s’élevaient à 336 millions d’euros pour l’année 2021, tandis que les résultats du groupe n’étaient que de 234 millions d’euros. Même d’un point de vue capitalistique, le succès n’est pas au rendez-vous : alors que le cours de l’action Scor était de 43€ en novembre 2018, il gravite autour de 27€ de nos jours... ce qui n’empêche pas l’intéressé de vouloir se maintenir pour assurer la continuité de sa stratégie. Alors que la crise sanitaire menace tant d’emplois en France, certains ne se gênent pas pour « presser le citron ». « Enrichissez-vous » disait Guizot au XIXème siècle… on voit que certains ont retenu la leçon et l’appliquent toujours 180 ans plus tard.
Sorti par la porte, de retour par la fenêtre. Mis sous pression, les grands patrons font parfois mine de se soumettre à ce qui apparait à tous comme une décision de bon sens, mais ils ne renoncent jamais totalement aux multiples avantages que leur confère leur poste. Bien souvent, un PDG sur le départ fait en sorte d’être nommé président du conseil de surveillance, histoire de s’assurer de juteux jetons de présence pour de nombreuses années.
Quelqu’un a parlé de cynisme et d’hypocrisie ? C’est tout simplement le deux poids deux mesures de la société ultra-libérale. Les puissants sont toujours plus puissants, sont toujours plus protégés, tandis que les gueux perdent un à un les acquis sociaux gagnés de haute lutte aux XXe et XXIe siècles.