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Déclaration du MRAP au Pont du Carroussel le 1er mai 2011

Publie le mardi 3 mai 2011 par Open-Publishing

Pour la 16ème année consécutive, nous sommes rassemblés au Pont du
Carrousel, ce 1er mai 2011 pour signifier par nos présences que nous
n’oublierons jamais que Brahim BOUARRAM a été arraché à la vie, noyé
dans la Seine ici même par des manifestants sortis du défilé annuel du
Front National, aux esprits obscurcis par la haine.

Le MRAP tient à saluer une très chaleureusement la présence pour la 3ème
année consécutive de Saïd, fils de Brahim. Saïd, nous sommes ici
rassemblés pour signifier publiquement que nous toutes et tous,
militants contre le racisme et pour l’égale dignité de tous les êtres
humains, sommes pleinement déterminés à faire vivre la mémoire de votre
père et à ne jamais rester silencieux face à la haine raciste dont la
banalisation conduit toujours à l’horreur suprême : le rejet de l’Autre
jusqu’à la négation même de son égal droit à la Vie.

2011 s’inscrit dans une période sombre pour la France et pour l’Europe.
Les propos xénophobes et racistes qui se multiplient dans une surenchère
croissante sont une incitation à de sinistres passages à l’acte. Les
discours de haine et d’exclusion, tels qu’ils émaillent la vie politique
française en cette période pré-électorale, sont hélas à l’unisson des
discours xénophobes et du repli nationaliste qui se manifestent dans
l’ensemble du continent européen. La libération de la parole raciste
est, de fait, encouragée au plus haut niveau de l’Etat : fins
électoralistes obligent en France et dans trop de pays déjà de l’Union
Européenne ! Il s’agit d’inciter les Peuples à se trompter de colère en
imputant aux immigrés misère et injustices sociales.

A cet égard, aujourd’hui n’est vraiment déchiffrable que si l’on se
souvient précisément d’hier. L’année 2010 avait été marquée par un
débat, voulu par le parti majoritaire de l’UMP, sur le thème de
l’identité nationale qui avait ouvert les vannes de la xénophobie. Les
victimes désignées en étaient les immigrés et les Français d’origine
immigrée, à plus forte raison de religion ou de culture musulmane. Les
frontières du tolérable furent alors tellement dépassées que le Premier
Ministre lui-même fut chargé de clore ce honteux épisode. Mais vint le
discours de Grenoble du président de la République, le 30 juillet 2010,
qui livra à la vindicte publique les mauvais Français, trop récemment
naturalisés, ainsi que les Gens du voyage et les Roms d’Europe de l’Est.

C’est sur ce substrat délétère qu’a débuté 2011 en France, avec
l’annonce du rendez-vous du 5 avril (voulu par le parti majoritaire)
officiellement dénommé « Laïcité pour mieux vivre ensemble », mais
visant – en fait – l’islam et les musulmans. Claude Guéant, le nouveau
ministre de l’Intérieur – emboîtant le pas à Marine LE PEN - multiplie,
quant à lui, les déclarations à l’encontre des immigrés et des Français
d’origine étrangère. Il martèle que l’intégration est un échec, espérant
ainsi contribuer au hold up électoral sur les voix FN lors de l’élection
présidentielle de 2012 :

 “les Français “veulent que la France reste la France”,
 “Les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le
sentiment de ne plus être chez eux”,
 “l’intégration est en panne”,
 “ Les agents des services publics ne doivent pas porter de signes
religieux, ni manifester une quelconque préférence religieuse, mais les
usagers du service public ne le doivent pas non plus…”…

« Immigration incontrôlée », thème récurrent particulièrement
irrecevable aujourd’hui :

 irrecevable après la brutale démonstration - politiques populistes
obligent du Nord au Sud de l’Union Européenne - de l’absence de toute
solidarité intra-européenne pour assurer l’accueil digne des quelques
milliers de migrants, essentiellement tunisiens, lybiens ou égyptiens
débarqués à Lampedusa,
 irrecevable après l’épisode de Vintimille qui a vu la police française
bloquer le dimanche 17 avril la circulation des trains depuis Vintimille
(Italie) vers la Côte d’Azur, pour « risque de trouble à l’ordre public
 », protestant ainsi contre les autorisations provisoires de séjour de 6
mois, ( valable dans l’ensemble des 25 pays de la Zone de libre
circulation Schengen) délivrées par l’Italie à quelques milliers de
ressortissants tunisiens parvenus en Italie,
 irrecevable après l’appel Sarko-berlusconien à la révision des Accords
de Schengen - à long terme aussi bien que dans l’immédiat - pour
permettre de rétablir temporairement le contrôle aux frontières
intérieures de l’Union Européenne…

A l’heure où la Tunisie accueille elle-même - à elle seule ! - plus de
200.000 personnes ayant fui la Libye voisine, la France - comme l’Union
Européenne - devrait arrêter de se couvrir de honte en pratiquant le
repli frileux et la fermeture de leurs frontières. Cette mise en acte, à
vingt-sept, de la peur de l’Etranger, ouvre la porte à une « Xénophobie
d’Etat » généralisée. Elle est à l’œuvre à Paris ou à Marseille où se
multiplient les rafles, mises en garde à vue, présentation au juge en
attente de reconduites à la frontière qui se mènent ensuite en toute
discrétion et à l’insu des citoyens !

De telles politiques migratoires de nos États - véritables « pompiers
incendiaires » - désignent l’Autre, migrant, comme potentiellement
dangereux et indésirable : le migrant, défi menaçant pour nos
« identités nationales » - qu’il faut absolument retenir dans son pays
d’origine, même si ses jours y sont en danger - ou qu’il est impératif
de renvoyer par tous moyens.

La parole publique peut être un brûlot aux conséquences irréparables.
Elle le fut il y a 16 ans lorsqu’en queue de cortège d’extrême droite,
la haine aveugle incita certains à jeter Brahim dans la Seine. Cette
parole publique peut à tout moment contribuer à libérer le passage à
l’acte raciste.

C’est précisément pour faire reconnaître la dimension criminelle du
racisme et de la parole raciste que le MRAP mena un combat de plus de 10
ans pour que soit adoptée à l’unanimité du Parlement le 1er juillet 1972
la loi française contre le racisme ( dite loi Pleven). C’est sur le
fondement de cette loi que le MRAP - parfois à l’unisson d’autres
associations des droits de l’homme et antiracistes - ne cesse de
demander à la Justice de condamner tous propos incitant au racisme qui
tue, fussent- ils le fait d’un ministre de la République.

Tous les 1er mai nous serons fidèles à ce rendez-vous d’hommage à Brahim
BOUARRAM, pour que demeure le souvenir de ce crime et que soit
renouvelé notre engagement collectif de ne jamais tolérer et de toujours
dénoncer l’intolérable : le Racisme et la Xénophobie sous toutes leurs
formes, en particulier les politiques migratoires de fermeture et de
rejet pratiquées par la France comme par l’Union Européenne.

C’est aussi dans la fidélité à la mémoire de Brahim que nous demandons
avec force l’accueil des migrants, la solidarité avec les populations
des pays de la rive Sud de la Méditerranée ainsi que la régularisation
des Sans papiers.

Paris 1er Mai 2011