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Dix ans après la catastrophe de Bhopal : Persistante impunité du pollueur

Publie le mercredi 30 avril 2008 par Open-Publishing

Blaye août 1997 - DES milliers de morts pour rien ? Plus de dix ans après la catastrophe industrielle de Bhopal, en Inde, les leçons n’ont guère été tirées d’une tragédie dont la grande firme américaine Union Carbide est responsable. L’expansion dans le tiers-monde demeure vitale pour les sociétés multinationales, qui n’ont généralement guère de mal à obtenir l’appui des dirigeants pour la construction de leurs installations polluantes.

L’action des organisations locales et internationales n’en est que plus précieuse, qui vise à ne pas enterrer Bhopal dans l’oubli.

Alors que la libéralisation, les privatisations, la mondialisation battent leur plein et que les firmes multinationales investissent à qui mieux mieux dans les industries dangereuses, s’impose plus que jamais le devoir de mémoire à l’égard de la catastrophe survenue dans la ville indienne de Bhopal. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une énorme fuite de gaz toxique se produisait dans l’usine de pesticides d’Union Carbide le pire désastre industriel jamais enregistré, qui ne toucha guère les structures mais fit 6 600 morts au dire du pouvoir, trois fois plus selon les organisations non gouvernementales Six cent mille personnes souffrent de graves séquelles et requièrent des soins ; l’isocyanate de méthyle continue de tuer cinq personnes chaque semaine. L’usine étend toujours son ombre sinistre sur le bidonville de Jaya Prakesh Nagar, mais les enseignes criardes et les publicités tapageuses vantant les pesticides ont été enlevées.

Sur les murs du bâtiment abandonné, des dessins croquent un Warren Anderson au gibet (il s’agit du président d’Union Carbide au moment du drame) et les graffitis dénoncent : « UC Killer ! » (« Union Carbide la tueuse ! »). Il n’y a aucune plaque commémorative cependant. Seule la statue d’une mère portant un bébé mort dans ses bras témoigne, oeuvre d’une artiste néerlandaise dont les parents ont péri dans les chambres à gaz nazies. Les officiels semblent avoir depuis longtemps oublié la tragédie qui a frappé les pauvres parmi les pauvres, les plus exposés aux gaz mortels, ceux qui dormaient dehors ou dans des huttes mal fermées ; quant à Union Carbide, si elle a vendu toutes ses usines de produits agrochimiques et licencié près de 80 % de son personnel, son nouveau président, M. Robert Kennedy, n’en affirmait pas moins en 1990 : « Bhopal, c’est de l’histoire ancienne maintenant.

L’incident de Bhopal n’a guère affecté notre capacité à faire des affaires . » Les conditions du désastre étaient réunies depuis longtemps ; la presse et le personnel n’ont cessé surtout après la fuite de gaz de 1982 et la mort d’un ouvrier de tirer la sonnette d’alarme. En vain, tant étaient fortes les protections dont jouissait l’usine . La tragédie est, en réalité, le résultat d’une technologie défectueuse, d’années de mauvaise gestion d’une installation dangereuse fonctionnant au tiers de sa capacité, d’une complicité entre les autorités et la direction fermant les yeux sur les atteintes à la sécurité, de l’absence de services de secours, la population ignorant tout de son côté des activités de l’usine. Au coeur du désastre, se trouvent aussi les politiques qui encouragent les projets industriels centralisés et les institutions bureaucratiques faisant prévaloir l’accumulation de textes sur l’application effective de la législation, tout autant que les impératifs d’une « révolution verte » et d’une agriculture calquée sur le modèle américain, dépendant fortement des produits agrochimiques, des tracteurs, des semences améliorées et du matériel d’irrigation que seuls peuvent se procurer ceux qui ont des moyens financiers.

Il faut aussi incriminer la passivité des pouvoirs publics face à l’externalisation des risques industriels, à l’échelle internationale, par les firmes multinationales. Il aura fallu cinq ans au gouvernement indien pour arracher 470 millions de dollars (soit près de 2,5 milliards de francs) à Union Carbide alors qu’il réclamait au départ sept fois plus. La firme américaine n’a pas lésiné sur les arguties juridiques : elle a d’abord contre-attaqué en rendant l’Etat indien responsable de la tragédie ; elle a ensuite avancé la thèse du sabotage, pour finalement proposer 300 millions de dollars à condition que soient abandonnées les poursuites. De plus, la firme a constamment refusé de se plier aux injonctions de la Haute Cour de l’Etat du Madhya Pradesh lui enjoignant de payer 190 millions de dollars à titre de provision (avant faire droit).

Et pourtant la Cour suprême devait avaliser, le 14 février 1989, cette transaction et laver de toute responsabilité la firme américaine et ses dirigeants. On a calculé que l’indemnisation de 470 millions de dollars ne grève que de 43 cents (2,27 francs) chaque action de la firme américaine. Somme dérisoire face à l’énormité des pertes en vies humaines, auxquelles il faut ajouter les atteintes à l’environnement, les soins prodigués aux survivants, les effets à long terme des gaz... On comprend l’indignation des organisations de la société civile qui ont contraint la juridiction suprême à revoir, en 1991, son arrêt.

La Cour dut rétablir d’abord la responsabilité pénale d’Union Carbide, délivrer ensuite un mandat d’arrêt contre M. Warren Anderson que nul ne semble pressé de mettre à exécution et geler enfin ses avoirs en Inde. En raison de nombreuses protestations, la Cour suprême avait déjà dû censurer le gouvernement qui avait signé l’accord amiable d’indemnisation sans se donner la peine de consulter les victimes

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